Les
libéraux s’imaginent que leur neutralité axiologique leur confère
une supériorité sur les autres systèmes. Ils
pensent pouvoir faire l’économie de la morale en
confiant au droit l’arbitrage des conflits et la protection contre
la force et l’arbitraire.
Mais en prétendant que le bien ne peut être qu’une valeur
individuelle, ils créent sans le savoir une anthropologie qui n’est
pas neutre, comme ils le croient, puisqu’elle promeut
l’individualisme à outrance.
Après
avoir créé artificiellement cette anthropologie de l’égoïsme,
il leur suffit ensuite d’affirmer que telle est la nature humaine.
Pour
schématiser : je crée un système qui rend les gens égoïstes
et indifférents aux autres, puis j’en déduis que l’être humain
est ainsi fait qu’il ne s’intéresse qu’à lui-même et ne
recherche que son propre intérêt.
Dans
le
libéralisme le pouvoir économique et le pouvoir politique sont
étroitement imbriqués, ce qui a pour conséquence de favoriser le
grand capital au nom de l’efficacité économique. Les effets
pervers du système tels que les licenciements
abusifs et les délocalisations passent alors au second plan. De
plus, les lois ne tombent pas du Ciel des Idées, elles sont
impulsées par des acteurs économiques puissants qui ont une grande
influence sur la sphère politique. La gauche intervient alors pour
tempérer un libéralisme économique trop brutal en exigeant des
mesures de compensation. Pour
donner une image, je dirais que c’est comme un propriétaire d’une
plantation de coton qui serait gentil avec ses esclaves en veillant à
ce qu’ils aient des conditions de vie et de travail décentes, mais
qui ne remettrait pas en question la notion d’esclavage.
Le
libéralisme
a remplacé un système inégalitaire (la monarchie) par un autre
système inégalitaire (le pouvoir bourgeois) : l’inégalité de
naissance n’est plus fondée sur le sang mais sur le patrimoine
matériel (argent, biens immobiliers) et culturel (maîtrise
du langage et bagage de connaissances).
Comme le répète souvent Juan Branco, si vous
naissez
dans le XVIe arrondissement de Paris, et donc dans une famille aisée,
vous
démarrez
dans la vie avec un avantage énorme sur ceux qui naissent dans un
milieu populaire ou
défavorisé.
Une école de qualité permettait de compenser un peu cette inégalité
de naissance, mais maintenant même
ce petit
ascenseur social ne
fonctionne plus.
Marx et
Michéa ont
raison de dire que la notion de liberté selon
les libéraux est
une notion abstraite et fallacieuse (une
« coquille vide ») car
ceux qui y adhèrent feignent d’ignorer l’importance
des
conditions matérielles d’existence des individus.
Le
droit ne suffit pas à créer une société bonne, de même que l’arbitrage
neutre ne garantit pas l’égalité des chances entre les clubs de
football :
les arbitres ont beau être neutres et impartiaux, cela n’empêche
pas les grands clubs de dominer les petits clubs. Mais nous faisons comme si les compétitions étaient équitables. Dans
ma jeunesse, un club comme Bastia pouvait atteindre la finale de la
coupe d’Europe ; de nos jours c’est impossible. Bref, en
définissant la liberté de manière négative,
le libéralisme ne
peut que sécréter
les inégalités et
les injustices.
La
gauche n’est pas (n’était pas) insensible à ces problèmes
mais,
étant libérale, elle est condamnée à combattre les effets dont
elle accepte tacitement les causes. Elle se condamne donc à
l’inconséquence, à cette schizophrénie qui consiste à affaiblir
par des impôts et des charges un système qu’elle a pourtant
adopté.