@yoananda2
"Avant"
(avant l’état de droit) ils avaient le principe de Faide, qui est très
différent »
Oui, c’est
le feud et c’est souvent associé à la loi du talion (Œil pour œil, deuil pour
deuil). Ça existe encore dans certains endroits dans le monde, comme en Albanie
avec le « Kanun », qui n’est évidemment plus légal mais qui est toujours
pratiqué du fait du poids des traditions. Je connais personnellement une dame qui
a fui l’Albanie et qui s’est installée en Belgique pour sauver ses fils qui
allaient être ciblés une fois majeur pour une histoire de clan. C’est aussi comme ça que fonctionnent encore de
nombreuses mafias à travers le monde, particulièrement italiennes. Les prisons
californiennes sont aussi organisées selon ce principe, à la différence que les
clans ne sont pas familiaux mais « raciaux ».
Ces conflits
mènent à des guerres d’exterminations et si aucun clan n’est suffisamment fort
pour éradiquer le clan ennemi, ça mène à un état de guerre qui peut persister
plusieurs générations. En réalité, ce qu’explique Hobbes sur l’Homme qui est un
loup pour l’Homme ( voir
cet article) ne se joue pas au niveau individuel mais collectif , au niveau
des tribus et des clans, et c’est à cette logique que l’Etat va s’opposer en supprimant
culpabilité collective : on ne punit pas
la sœur pour la faute du frère ou l’oncle pour la faute du neveu, la culpabilité
( et donc la sanction ) est individuelle. L’Etat joue évidemment ici le rôle d’un
tiers qui transcende la volonté et les intérêts particuliers et qui sera garant
des normes communes ( les lois) auquel chacun se soumet. Mais attention :
tiers ne veut pas dire neutre. L’Etat n’est évidemment pas neutre. Par contre,
il doit garantir que les normes sur lesquelles la population s’entend soient respectées.
Et bien sûr, il faut qu’une part non négligeable de la population fasse confiance
à l’Etat dans cette mission et veuille de ces normes ( qui évidemment n’ont pas de valeur par elles memes), sinon c’est le retour de la confrontation
tribale, et c’est là qu’on débouche sur la guerre civile (et là je parle de la
vraie guerre civile comme on peut le voir dans certains pays, et la façon pour
ces pays de s’en sortir est de redonner du crédit à l’Etat, ce qui n’a rien de
simple). Je sais qu’on a souvent un problème d’espace-temps tous les deux, mais
là en France, s’il est vrai qu’il y’a une crise de confiance, il y’a des degrés
de défiance et on est très très loin de cette situation. De plus, ce n’est pas
parce qu’il existe une crise de confiance qu’elle ne peut pas se résoudre ( par
la mise en place de nouvelles institutions par exemple).
Sinon, ce n’est pas moi qui ai mis l’histoire
du mensonge sur le tapis, c’est toi. Bah oui, quand tu dis « Du coup, si on ne veut pas
les suspendre, il suffit de dire qu’il n’est pas virulent, et
accuser ceux qui veulent le faire de vouloir rendre la suspension définitive. Malin. »
Clairement, là tu parles de la possibilité de ne pas vouloir suspendre les
libertés en étant suffisamment malin pour mentir en minimisant la virulence d’un
danger. Et je trouve que c’est une vraie problématique que tu poses là. Je t’ai fait juste remarquer
que la possibilité inverse pourrait aussi exister : vouloir chercher à suspendre
à tout prix les libertés en mentant sur la virulence d’un danger afin de
profiter de se débarrasser de gens qu’on n’aime pas. C’est quelque chose de
très classique dans l’histoire politique. Cela dit,
il y’a pas que le mensonge, il y’a aussi la possibilité d’évaluer un danger
différemment. Et c’est pour ça que j’ai parlé des quatre principes plus haut (
que je n’ai pas inventé, ils sont présent dans la philosophie de l’état d’exception
et sont formalisé différemment dans le droit selon les pays).
Quand on aborde
par exemple le principe
de nécessité, il faut
des éléments matériels concrets. Si l’armée Allemande nous envahit, il y’a un élément
matériel concret : une armée d’invasion qui pénètre sur le territoire pour
en prendre possession. Un ouragan, un accident nucléaire, des inondations, ce
sont des éléments matériels concrets qui permettent de reconnaitre l’existence
d’un danger imminent contre lequel il faut agir immédiatement.
Une menace
de l’homéostasie socio-culturelle du pays n’est pas un danger contre lequel il
faut agir immédiatement parce que des centaines de milliers de vie, voir des
millions de vies ou l’Etat lui-même sont menacés à court terme. Ça ne veut pas
dire qu’on ne doit rien faire contre ça (à supposer que l’Etat doive vraiment
faire quoi que soit contre ça, ce qui est discutable) mais que le principe de nécessité,
qui est un principe d’urgence à court terme, n’est ici pas remplit. L’argument « oui
mais peut être hypothétiquement dans 50 ans ce sera probablement trop tard »
ne tient pas. Quand un ouragan frappe une région, ce n’est pas quelque chose d’hypothétique,
il est matériellement là et tout de suite il met d’innombrables vies en danger.
En fait,
pour reprendre ton exemple caricature ON de la menace islamique, en quoi répond-t-elle
au principe de nécessité ? En d’autres termes : en quoi représente-t-elle
une menace imminente et exceptionnelle ? Pourquoi suspendre les
libertés serait le seul moyen de lutter contre elle ? Pour répondre à ces
questions tu devras apporter des éléments concrets pour qu’on se dise par exemple
« Ah, si on ne fait rien tout de suite, dans deux semaines dix milles
personnes seront déjà mortes, et plus on traine, plus il y’aura des morts, et
la seule façon de lutter contre ça, c’est de suspendre les libertés », il
ne suffit pas juste de déclarer « cette menace est terrible, croyez-moi
sur parole, j’ai raison ».