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L’AN 2000 VUE PAR DES JEUNES (1962) - Analyse d’une vidéo de l’INA

L'Institut National de l'Audiovisuel (INA) fut créée en 1974 en tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Elle s'est décidé in fine à ouvrir une chaîne sur Youtube et de collaborer avec certains youtuber qui se plaignaient de sa censure (tel Usul) pour non-paiement des droits qu'elle est en droit d'exiger.

Toutefois, les vidéos qu'elle nous livre, pour être intéressantes, ne sont assorties d'aucune ANALYSE : pas ou peu de contextualisation. Les changements techno-sociologiques, et politiques, font que parfois nous semblons entendre des 'voyageurs du temps' jadis, tant la distance psychique nous paraît grande.

 

En voici un exemple, tourné l'année de la fin de la Guerre d'Algérie, dernière année où la France fut 'en guerre' avec un grand 'G'. DES (et non 'les') jeunes s'expriment devant un journaliste TV sur leur vision de l'an 2000. Le panel choisi est large et les réponses variées, mais nous font clairement entrevoir que nous avons changé d'époque : mai 1968 est passé par là, puis la crise du pétrole, la crise sociale - le chômage de masse est installé depuis plus de trente ans - la crise politique, actuelle, et enfin, une crise systémique, de civilisation, en germe.

Focus sur une époque révolue : ces 'jeunes' semblent .. d'une AUTRE humanité : ils sont réfléchis et pénétrés, parlent lentement et à basse voix, pèsent avec soin leurs mots entre deux silences. Ils n'ont pas ces intonations appuyées que leur donneront la télévision et la radio. Leur vesture est terne, ils ne bougent pas la tête, n'usent pas des mains pour parler. Vous aurez bien compris : les 'jeunes' n'existent pas encore !

Les 'jeunes' sont une catégorie de population inventée, aux USA vers 1955, surtout par les publicitaires au sein du consumérisme édoniste. Avant, il n'y avait, partout, que l'enfant (dépendant) et l'adulte (travaillant). Ce schéma est squizzé par l'Education publique qu'ils ont reçus (que ce soit un établissement privé n'y change rien) : leur français n'a aucun argot ni d'accent, ces derniers encore très présents en campagne. Ils connaissent pourtant l'un et l'autre mais savent que pour être considéré, écouté, s'élever, il le faut parler ainsi. Cela leur donne un air compassé : ils semblent contenir une énergie n'attendant que d'exploser. Oui, leurs hormones. Et l'annonce de mai 68.

Formatage linguistique mais marqueurs sociaux appuyés : on reconnait, devine, leur profession ou quel seront leur destin : ouvrier, paysan, femme au foyer - une ado tricote un chandail - profession intermédiaire, petit patron, cadre, bourgeois. Seuls ceux à lunettes usent de tournure de phrase complexe, parce que l'intellectuel est censé lire beaucoup, d'où c'est aux meilleurs élèves qu'on proposait, en priorité, de porter des lunettes. L'on ignorait à l'époque que le 1er dégradateur de la vue était l'éclairage par tube cathodique télé ! En gros certains types de lumière artificielle.

CONTEXTE PSYCHO-SOCIAL : L'AVANT 68

On dirait qu'ils ont un peu PEUR, sont impressionnés. Oui ils le sont : nous sommes dans une société d'ORDRE, avec ses hiérarchies rigides et le journaliste est l'homme qui parle dans le poste, la voix du Ministère de l'Information, rattaché alors à celui de l'Intérieur. Mai 1968 libérera les pré-adultes et créera les ados comme sujet politique, les faisant en majorité assez contestataires pour la période 1970-1981, mais ils sont déjà sujet économique dès la vague musicale des Yé Yé, entre 1960-1962. Les grandes questions d'alors sont 'l'argent de poche', avec le recul du travail précoce, et le droit de sortir le soir, surtout pour les filles - les femmes obtiennent d'avoir un carnet de chèque sans accord du mari - puis viendra la mixité à l'école et dans les internats et .. la peur d'enfanter en faisant l'amour : la pilule sera légalisée en 1967 par un gaulliste social.

Toutefois, sous le conformisme et la soumission, symbolisés par les cheveux courts (gars) et long (filles), bien plaqués et coiffés, pas une mèche ne rebique, se devine mieux qu'à présent leur personnalité différentes : ils ont comme une profondeur psychique .. S'il n'y avait pas le son, on les prendrait pour les sujets d'une dictature molle, fasciste ou stalinienne, ou servant une religion sévère. L'une craint de vieillir, ne se voit pas à 'cinquante trois ans' et préférerait mourir avant. Cette angoisse sera utilisée à plein au XXIe s. avec le transhumanisme, une idéologie eugéniste.

L'AN 2000 VU EN 1962 ..

Beaucoup craignent la guerre atomique, maints imaginent des tours partout, la surpopulation, la disparition de la nature. Un seul voit une fédération européenne, un jeune afro-français, deux au moins envisage la disparition des classes sociales, l'égalité des citoyens, mais ceux ouvriers affirment qu'ils le resteront, l'un parce que sans instruction, comprendre ni le BAC ni l'Université, sésame du bon salaire. Deux songent en 2000 à une hégémonie russe, alors l'URSS, bien plus étasunienne et un seul, gaulliste, française. Aucun ne croit à la fin de la guerre, l'humain est ainsi fait, mais en revanche à son impossibilité d'être générale, à cause des arsenaux atomiques d'alors. Peu à celle de la pauvreté, notamment ceux issus de milieu populaire. Un facétieux imagine que nous seront 'tous patrons', avec très peu d'ouvriers, il les avait oublié, parce que les machines feront l'essentiel. On y est, mais du mauvais côté de l'utopie, avec chômage de masse structurel et compétition économique, sociale et technologique.

Cette année-là a vu la fin de la guerre d'Algérie, les 1ères sorties dans l'espace. On n'a pas la preuve que Vénus soit inhabitable, bien qu'on la soupçonne d'être une fournaise aux USA, ni Mars, quoique inquiet de sa mince atmosphère et du peu d'oxygène. Ces jeunes n'ont donc pas de mal à concevoir ces planètes comme habitées. L'un s'en réjouit parce que cela unifiera la Terre. Un ado lâche dépité par sa sagesse que, si des Martiens existent, de toute façon on sera en guerre contre eux. Adieu échanges culturels ! Façon de dire qu'en inventant l'ennemi extérieur, l'on créé une unité intérieure par contrainte et qu’on ne se définit que par défaut (ex ‘en creux’).

CONCLUSION

Au final, ils illustrent à la foi la crainte et espérance qui est la nôtre face au futur proche, mais en ce temps-là les utopies (capitaliste, communiste, autogestionnaire, pacifiste) sont là, tout comme les dystopies (exploitation, guerre inévitable, destructions du monde), ces dernières dominants notre époque inquiète. Les dires de ces adultes ou pré-adultes en devenir soit néanmoins frappé du sceau d'un assez gros bon sens : utopie et dystopie passent souvent sous les fourches caudines du réel immédiat ressenti : nouveau régime, retour à la paix, transformation rapide, émergeance de la classe moyenne, du fait européen édonisme et rigidité, 1ères superettes et 1ères autoroutes etc. Ils sont à l'orée, aux prolégomènes de notre monde actuel.

Les entendre c'est se poser les questions de savoir POURQUOI nous avons pris ce chemin ? Quels en étaient les promesses et les dangers ? En un mot, c'est comprendre, un peu, l'insondable 'merde' à boucles de rétroaction et double-contrainte - que je dis 'oui' ou 'non' le résultat ne me plaira pas - dans lequel nous nous sommes fourrés : produire pour produire, créer des besoins artificieux, gaspiller comme jamais, réifier l'objet, transformer tout en spectacle, dixit Guy Debord, déréguler les flux financiers, délégitimer les corps intermédiaires, évacuer débats et contradictions, promouvoir la 'pensée unique' marchande et comptable etc.

Un seul exemple : chaque solution techno apportée contre le réchauffement climatique, par exemple, aggravera au final celui-ci (climatiseur, voiture électrique) et / ou épuisera les ressources, selon les lois de la thermodynamique. C'est là une sérieuse double-contrainte. Mais ceci est un tout autre sujet. Voyons-les comme les témoins des débuts.

Thierry Kruger

auteur-réalisateur

Tags : Prospective et futur




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1 réactions à cet article    


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    PumTchak PumTchak 22 août 2018 11:43

    En 1947, c’était déjà l’an 2000.


    C’était déjà la vision d’un certain René Bajavel, sans doute le premier collapsologue.

    Sinon, je les trouve sympas les nouveaux pseudos ici. Faute d’avoir le monde qu’on veux, savoir se détendre, ça compte.


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