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Débat Mediapart sur la démocratie

L'émission "Le débat" de Mediapart a réuni ce 23 mars les chercheurs Loïc Blondiaux et Héloïse Nez pour discuter du thème de la démocratie, très peu présent dans la campagne présidentielle. Sont évoqués successivement pendant 45 minutes : les sondages ; le mouvement des Indignés ; la crise de la représentation politique ; le référendum et l'élection ; l'exercice de la citoyenneté dans le cadre des sociétés modernes ; le tirage au sort ; la culture des contre-pouvoirs en France ; le gouvernement représentatif face au long terme ; les problèmes de la délibération ; l'inachèvement de la démocratie dite participative ; les dernières élections législatives espagnoles ; le processus constituant islandais ; les Indignés vs. la politique partisane.

 

De ce débat décousu mais très dense et intéressant, on peut s’atarder sur la définition de Loïc Blondiaux de la démocratie (à 16:00), qu’il dit lui-même très simple et très minimale : "la chance égale pour tout citoyen d’influencer le procession de décision". Elle n’a peut-être l’air de rien, mais elle peut donner en fait beaucoup de grain à moudre. C’est en tout cas une telle définition qui permet à Blondiaux, comme à beaucoup de chercheurs, de maintenir le mot de démocratie pour désigner le régime dans lequel nous vivons, alors qu’on sait que ses théoriciens et ses promoteurs, lors des révolutions américaine et française, s’opposaient vivement à la démocratie et le nommaient "gouvernement représentatif" ; expression que Blondiaux connaît fort bien et réutilise d’ailleurs au moment d’évoquer les autorités qui se sont assises sur le non de 2005.

 

Bruno Bernardi, dans un excellent article, résume bien à ce sujet la thèse de Bernard Manin développée dans les Principes du Gouvernement représentatif  :

L’expression démocratie représentative s’est imposée, et on ne peut rien contre la force de l’usage*. Mais on peut interroger ses implications. Dans un ouvrage incontournable, Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin a montré que l’établissement du régime représentatif dans la modernité (au travers des trois révolutions, anglaise, américaine et française) ne s’était pas fait au nom de la démocratie, pour cette simple raison que la représentation lui est originellement étrangère. Je rappellerai brièvement son propos. Ce livre montre, pour commencer, que le principe de l’élection de représentants, implique, sous une quelconque modalité, un choix et donc l’établissement de distinctions entre les citoyens, une idée d’origine aristocratique qui s’oppose à celle, démocratique, selon laquelle tous ont égale compétence à prendre les décisions collectives. Une conception qui réclame soit la participation de chacun aux décisions du peuple assemblé, soit le tirage au sort comme mode de désignation de ceux qui auront à décider au nom de tous. Cette dernière procédure n’a jamais disparu – c’est le système des jurys – et Yves Sintomer vient de plaider pour sa nouvelle pertinence.
 
En tout cas, l’idée de démocratie représentative n’a pu s’imposer qu’à la faveur d’une requalification de l’idée de démocratie. Chez les anciens, celle-ci désignait une forme de gouvernement : est démocratique le gouvernement auquel tous participent. C’est encore ainsi que Rousseau la définit, dans la troisième partie du Contrat social du moins. Mais pour ceux qui se sont eux-mêmes proclamés « les modernes » (c’est-à-dire le courant central des trois grandes révolutions), la démocratie désigne le principe de la société politique, un principe corollaire de celui de l’autonomie morale : nul ne peut être obligé d’obéir qu’aux lois dont il peut être tenu pour un des auteurs. Dans cette nouvelle définition, l’égale liberté de vouloir se substitue à l’égale capacité de faire. La représentation se présente alors comme la forme sous laquelle l’autonomie politique s’exerce, tous participant également au choix de ceux qui seront amenés, comme leurs représentants, à prendre les décisions et à les mettre en oeuvre. Le gouvernement représentatif est donc une sorte de constitution mixte, observe Manin, entre démocratie et aristocratie ou, si l’on veut, entre égalitarisme et élitisme. On pourrait encore préciser que, dans l’idée de démocratie représentative, démocratie désigne le principe, et représentation la forme du gouvernement politique.

 

De quand date exactement cette confusion du gouvernement représentatif et de la démocratie, deux régimes clairement opposés dans les esprits de tous pendant la Révolution française ? Comme Pierre Rosanvallon l’explique très bien dans son article "L’histoire du mot démocratie à l’époque moderne" dans l’ouvrage collectif La Pensée Politique. Situations de la démocratie (Seuil-Gallimard, mai 1993), ce sont les libéraux du mouvement doctrinaire qui se sont, pendant la Restauration, subtilement réapproprié le mot démocratie. En effet, c’est à cette époque que le mot "démocratie" va commencer à entrer dans la langue politique ordinaire, mais :

... c’est pour y désigner la "société" égalitaire moderne et non plus le régime politique associé aux républiques grecque et romaine, ou l’idée d’intervention directe du peuple dans les affaires publiques. Le mouvement sémantique est accompli en 1835 quand Tocqueville publie la première partie de sa Démocratie en Amérique.

 

Lors d’un débat parlementaire sur la liberté de la presse en 1822, Royer-Collard, chef de file des doctrinaires, s’exprime et commence à poser les jalons du nouvel usage du mot démocratie : pour lui,

... la démocratie est le fait social qui dérive à ses yeux de l’élévation des classes moyennes et de la réduction de l’écart qui les sépare des classes supérieures. La démocratie ne désigne donc pas un régime politique mais un type de société. Le fait démocratique se confond dans cette mesure pour lui avec l’essence du processus révolutionnaire - son "esprit", dit Royer-Collard - qui a été de réduire l’aristocratie. [...]

[Le mot démocratie] triomphe significativement au moment où le terme de république acquiert une connotation d’extrême gauche dans la langue politique. Pour les libéraux doctrinaires, parler de démocratie consistait à revendiquer l’oeuvre sociologique et juridique de la Révolution, tout en repoussant radicalement l’héritage républicain.

 

La récupération du terme est donc singulière, et produit d’ailleurs une confusion certaine, poussant Tocqueville à en donner pas moins de 11 définitions dans la Démocratie en Amérique. Certains auteurs se sentiront obligés de faire une distinction nette entre la démocratie antique (qu’ils détestent) et ce qu’ils appellent la démocratie moderne, qui peut d’ailleurs, selon bon nombre d’entre eux, parfaitement se passer du suffrage universel... Le comble. Albert Laponneraye, farouche républicain, sera l’un des rares à tonner contre cette confusion qui finira, petit à petit, par pousser tout le monde à se dire démocrate. Un basculement se fera avec l’arrivée du suffrage universel masculin en 1848, comme l’écrit Bernard Manin dans le quatrième chapitre des Principes du Gouvernement représentatif ("Une aristocratie démocratique") :

Aux XIXème et XXème siècles, le droit de suffrage fut progressivement étendu dans les régimes représentatifs et le cens d’éligibilité disparut, même dans les pays où il avait existé à l’origine, comme l’Angleterre et la France. Ces deux transformations et, en particulier, l’avènement spectaculaire du suffrage universel, au terme de longs conflits, donnèrent une puissante impulsion à la croyance que le gouvernement représentatif se muait peu à peu en démocratie. Dans ces conditions, l’hypothèse que la procédure élective comportait peut-être en elle-même une dimension inégalitaire et aristocratique ne paraissait guère digne d’être explorée plus loin. Le droit pour tous de choisir librement les gouvernants, sans être contraints par la loi à les prendre dans certaines catégories de la population, constituait si manifestement un progrès de l’égalité politique et de la démocratie que l’éventuelle persistance d’effets inégalitaires et aristocratiques ne semblait pas justifier l’investigation.

 

On retrouve dans cette dernière phrase la substance de la définition donnée par Blondiaux : "la chance égale pour tout citoyen d’influencer le procession de décision". Bernard Manin en discute la pertinence au cours de ce chapitre, en s’attardant respectivement sur les aspects aristocratiques et démocratiques de l’élection, qui en font selon lui une procédure fondamentalement ambiguë. Si les premiers sont indiscutables (par exemple : la nécessité de financement d’une campagne, qui distille les candidats sur le plan social), les seconds le sont beaucoup moins : d’après Manin, "l’élection est démocratique en ce qu’elle accorde à tout citoyen une voix égale dans le processus de choix et de rejet" ; et avec l’élection, ce sont les citoyens qui sont libres de choisir les critères de l’aristocratie qu’ils vont dégager par leurs suffrages.

 

Mais si l’on raisonne par l’absurde, et si l’on admet que le caractère essentiel de la démocratie réside dans la simple égalité de pouvoir, ne peut-on pas dire qu’une dictature est démocratique en ce qu’elle accorde un pouvoir égal aux citoyens, aucun ne pouvant avoir d’influence sur la prise de décision ? On voit bien là que la simple égalité de pouvoir ne peut suffire à caractériser la démocratie : il faut encore s’attarder sur la qualité de ce pouvoir, et que celui-ci soit substantiel. Or, l’élection présente bien davantage de caractères aristocratiques que démocratiques, et confie au citoyen un pouvoir bien plus hétéronome qu’autonome. Tous les pouvoirs de décision ne peuvent être raisonnablement mis sur le même plan suivant l’objet de celle-ci.

 

La "chance égale" qu’évoque Blondiaux est donc parfaitement virtuelle et formelle : non seulement l’élection distingue deux classes de citoyens, les électeurs et les élus, fondamentalement inégaux dans la prise de décision ; mais même en isolant le moment de l’élection, il est bien évident que celle-ci donne des chances égales de jure, mais extrêmement inégales de facto. Selon la définition même "minimale" donnée par Blondiaux, sommes-nous donc vraiment en démocratie ?

_______

* Note personnelle : la tâche d’un intellectuel n’est-elle pas précisément d’aller contre la force de l’usage quand la rigueur l’exige ?

Tags : Démocratie Citoyenneté Elections Institutions Présidentielle 2012 Les Indignés Sondages




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14 réactions à cet article    


  • 2 votes
    Walid Haïdar 24 mars 2012 16:11

    La démocratie n’est-elle pas un processus ?


    J’ai toujours été sceptique sur les essentialismes. Parler de démocratie comme d’un objet éternel ne me paraît pas pertinent. La démocratie se mesure toujours relativement à un contexte, et un processus en cours. Rien ne dit que le meilleur système qu’on puisse imaginer aujourd’hui ne se révèle finalement, à l’épreuve des faits, peu démocratique (on parle par exemple des assemblées citoyennes dans cet entretien, avec la question de savoir si ce système n’est pas ultra aristocratique, puisqu’il privilégie certainement le talent oratoire, qui n’est qu’un talent particulier qui n’a pas forcément à voir avec la compétence ou la pertinence : je ne tranche pas la question, je pointe juste qu’il faut toujours être prudent, et donc ne pas essentialiser ce qui est vraiment démocratique et ce qui ne l’est pas).

    A ce compte là, on constate, comme si bien dans cet entretien, que nous vivons une crise de la démocratie, c’est à dire un moment où les dysfonctionnement, insuffisances et énormes lacunes de notre système d’institutions sensés garantir la démocratie, sont particulièrement, et de plus en plus visibles, palpables, et de moins en moins acceptés.

    Tout ceci se joue dans un processus où une force politique montante, le FdG, propose une constituante, élue au suffrage universel, dont les élus ne doivent jamais avoir été élus et ne pourront plus l’être ensuite.

    Passera-t-on du jour au lendemain de l’anti-démocratie absolue dans laquelle soit disant nous vivons (il est vrai que c’est pas jojo ceci dit), à la pure démocratie vierge de tout vice ? Cette question a-t-elle seulement un sens ?

    Il paraît assez naturel d’imaginer que l’évolution de la démocratie peut se faire par étapes (à moins de vouloir absolument que ça se fasse du jour au lendemain, donc par la violence, et avec grosse instabilité à la clé), en passant par un système mixte avec des chambres élues combinées à des chambres tirées au sort. Je suis persuadé que cette idée va prendre petit à petit, et que s’il y a une constituante, alors comme en 2005 il y aura un énorme débat citoyen, foisonnant sur internet, où bien des gens, examinant les arguments éclatants pour le tirage au sort, vont se dire : "mais oui, biensûr, c’est tellement évident", et que des chambres tirées au sort pourraient alors être mise en place à certains niveaux des institutions, nationales et locales.

    Mais je pense qu’il faut vraiment saisir l’opportunité d’une constituante pour une sixième république, afin de mettre ces belles idées sur la table, et de faire avancer radicalement la démocratie en France.

    • 1 vote
      Erca 24 mars 2012 16:59

      "Parler de démocratie comme d’un objet éternel ne me paraît pas pertinent. La démocratie se mesure toujours relativement à un contexte, et un processus en cours."

      => Je suis plutôt d’accord avec vous. La démocratie, c’est historiquement et avant tout le régime athénien des -Vème et -IVème siècles. A l’époque moderne, on peut certes lui emprunter des idées, des institutions, mais certainement pas la reproduire hic et nunc, pour des tas de raisons. Il me semble donc pertinent, si l’on veut réinventer notre régime politique avec lequel on ne pourra rompre intégralement du jour au lendemain, de réinventer des concepts, comme l’a fait par exemple François Amanrich avec la clérocratie. Les révolutions occidentales modernes ont vu resurgir les concepts politiques de l’Antiquité : s’il est évident que l’homme est toujours influencé par l’histoire et s’inspire nécessairement en bonne partie des expériences passées (jusqu’à parfois se masquer à lui-même ses véritables valeurs et ses véritables projets), il doit aussi introduire une part d’innovation pour être véritablement en phase avec son temps. Les gouvernements représentatifs ont constitué une véritable innovation au XVIIIème siècle : à nous de marquer une nouvelle étape, plutôt que de tenter de reproduire servilement et naïvement un modèle inscrit dans une réalité sociale, culturelle et géopolitique qui n’a plus rien à voir avec la nôtre.

      "Rien ne dit que le meilleur système qu’on puisse imaginer aujourd’hui ne se révèle finalement, à l’épreuve des faits, peu démocratique (on parle par exemple des assemblées citoyennes dans cet entretien, avec la question de savoir si ce système n’est pas ultra aristocratique, puisqu’il privilégie certainement le talent oratoire, qui n’est qu’un talent particulier qui n’a pas forcément à voir avec la compétence ou la pertinence : je ne tranche pas la question, je pointe juste qu’il faut toujours être prudent, et donc ne pas essentialiser ce qui est vraiment démocratique et ce qui ne l’est pas)."
      => Je ne sais pas si vous connaissez le classique de Robert Michels, Les Partis politiques, mais l’idée que vous dessinez le traverse de part en part : les hommes étant ce qu’ils sont, ils ne peuvent jamais prétendre à une organisation purement égalitaire. Comme le disait Rousseau, une démocratie idéale ne pourrait exister qu’avec des dieux. La démocratie athénienne était une forme d’aristocratie : par exemple, les contrôles et les sanctions assorties au tirage au sort, procédure centrale à Athènes, conduisait à un filtrage très important, à un degré comparable avec celui d’une élection. Et comme vous le dites, ce n’était pas n’importe qui qui osait prendre la parole à l’assemblée, devant 6000 personnes. En fait, j’ai l’impression que la distinction que l’on établit entre la démocratie ("pure" si j’ose dire, telle qu’elle a été conçue à Athènes) et ce que l’on a coutume d’appeler l’oligarchie, réside dans la façon de distribuer le pouvoir au groupe dominant : si celui-ci constitue une classe dominante relativement explicite et identifiable socialement en oligarchie, il est beaucoup plus indéterminé en démocratie, beaucoup plus inclusif de jure mais à un degré assez négligeable de facto.

      "A ce compte là, on constate, comme si bien dans cet entretien, que nous vivons une crise de la démocratie, c’est à dire un moment où les dysfonctionnement, insuffisances et énormes lacunes de notre système d’institutions sensés garantir la démocratie, sont particulièrement, et de plus en plus visibles, palpables, et de moins en moins acceptés."
      => Il est clair que nous vivons une crise assez vivace de la représentation politique, mais le gouvernement représentatif est depuis le début traversé par des crises : c’est inscrit dans son génome. Car sa légitimité est essentiellement de nature performative : en effet, les citoyens acceptent le régime tant qu’ils se sentent représentés, mais il peut basculer à partir du moment où ils en décident autrement, bien que les dirigeants aient acquis le pouvoir légalement. Si on a une lecture rousseauiste, on constate que c’est un régime foncièrement illégitime puisque le droit qu’il instaure réside avant tout dans la force de ceux qui sont au pouvoir et que les gouvernés consentent à leur confier. Dans la démocratie athénienne, toute révolution ne pouvait être qu’un coup d’Etat étant donné que le pouvoir n’était pas identifiable et qu’il était disséminé. Dans le gouvernement représentatif, une révolution est légitime à partir du moment où elle a l’appui de la majorité, bien qu’elle soit illégale d’un point de vue juridique. Mais qu’est-ce qu’un droit qui ne s’appuie que sur le pouvoir de la force et le consentement de la majorité ? De la tyrannie et de la fumée (puisque tout tyran ne tient que tant qu’il a un rapport de forces favorable)...

      "Tout ceci se joue dans un processus où une force politique montante, le FdG, propose une constituante, élue au suffrage universel, dont les élus ne doivent jamais avoir été élus et ne pourront plus l’être ensuite."
      => Ne pensez-vous pas qu’une Constituante tirée au sort permettrait de la rendre désintéressée de façon plus efficace ? Dans le cadre que vous proposez, les inéligibles peuvent tout à fait promouvoir des agents à leur solde s’ils ont les manettes d’un parti puissant...

      "Il paraît assez naturel d’imaginer que l’évolution de la démocratie peut se faire par étapes (à moins de vouloir absolument que ça se fasse du jour au lendemain, donc par la violence, et avec grosse instabilité à la clé), en passant par un système mixte avec des chambres élues combinées à des chambres tirées au sort."
      => Cela me paraît effectivement le compromis le plus raisonnable. Il s’agirait d’un amendement majeur du gouvernement représentatif, sans en sortir complètement pour autant.

    • 1 vote
      Walid Haïdar 24 mars 2012 17:47

      @Ecra : "une constituante tirée au sort ne serait-elle pas plus appropriée pour éviter les conflits d’intérêt"


      Absolument, bien entendu, carrément, et tout ce que vous voulez. Mais je parlais d’une opportunité. C’est un peu comme si vous me demandiez pourquoi je n’ai pas pris l’avion et que je vous répondais que j’avais pas d’argent mais trouvé un billet de train par terre.

      Plus fondamentalement encore, je trouve que vous faites abstraction de la réalité concrète, de sa dynamique, de ses élans, et de la particularité de notre monde, techniquement. Tout d’abord, si on doit élire une constituante, il va y avoir une campagne pour cela. Des gens qui vont se présenter, et ça va vivre sur internet, et dans tous les médias (plaçons nous dans l’hypothèse de l’opportunité, c’est à dire d’un événement énorme : le FdG au pouvoir...pas commun). Vous pensez sincèrement que ce débat va échapper à l’idée du tirage au sort ? Moi je suis convaincu que c’est impossible qu’il y échappe, car l’idée est à la fois très forte et correspond à un désir latent mais non exprimé, non formulé même, dans la société.

      D’autre part, oui, en effet, des agents, de la corruption, mais faut pas non plus faire comme si ce serait la norme. sur le long terme, le système électif produit ce biais, mais sur événement ponctuel (la constituante), et dans le contexte particulier qu’on s’imagine, il me semble que les forces de la vie, de l’élan démocratique, seront écrasantes. En Islande, la constituante n’a pas été tirée au sort (nul part elle ne l’a été d’ailleurs). Quid de la constitution Islandaise ? Elle est pas mille fois mieux que la nôtre ? et surtout, l’idée du tirage au sort a bien été mise sur la table ! Il y a un début à tout, et il faut savoir saisir les opportunités.

      A mon avis il est assez dangereux (j’exagère peut-être) de voir les choses sur le plan formel et de façon purement rigide et mécanique, à la lumière du seul droit ou alors de seuls principes qui ne tiennent pas compte du rapport de force populaire et de la dynamique réelle. Je vois une sorte de pulsion de mort dans la négation des énergies informelles qui animent l’engouement populaire, ou du moins de l’incapacité à voir en elles des leviers capables de contre balancer les tendances viciées découlant de l’imperfection des opportunités (j’avoue que cette phrase est surpompeuse mais ce sont les mots qui me sont venues pour le dire).

    • vote
      Erca 24 mars 2012 18:15

      "Mais je parlais d’une opportunité. C’est un peu comme si vous me demandiez pourquoi je n’ai pas pris l’avion et que je vous répondais que j’avais pas d’argent mais trouvé un billet de train par terre."

      => Effectivement, nous ne raisonnons pas sur le même plan. Si je viens sur le vôtre, je peux vous dire que j’ai l’intention de voter Mélenchon, mais que, ses chances d’arriver au pouvoir étant quasi nulles (comme pour tous les autres mis à part Sarkhollande), la différence d’opportunité entre militer pour le Front de Gauche et militer pour une assemblée constituante tirée au sort n’est pas énorme, bien que l’avantage soit pour l’heure clairement à ceux qui sont les mieux inscrits dans le système, je ne me le cache pas.

      "Vous pensez sincèrement que ce débat va échapper à l’idée du tirage au sort ? Moi je suis convaincu que c’est impossible qu’il y échappe, car l’idée est à la fois très forte et correspond à un désir latent mais non exprimé, non formulé même, dans la société."
      => Que la chose soit abordée dans le débat, c’est une chose. Que ceux qui détiennent le pouvoir constituant décident de franchir le pas en l’inscrivant dans le marbre alors qu’ils ont été élus et qu’ils sont donc issus de structures partisanes n’ayant AUCUN intérêt au tirage au sort, permettez-moi d’y voir une douce illusion. Cela dit, l’avènement d’une Constituante dans les circonstances actuelles serait forcément exaltant, c’est certain. Après, tout dépend des espoirs qu’on pose en elle. Avoir un meilleur régime que l’actuel, plus équilibré, à l’image de nos pays voisins, avec quelques contre-pouvoirs démocratiques comme le référendum d’initiative populaire, OK c’est plus que jouable et je prends. Mais ça n’aura rien de révolutionnaire. Je tente donc, à ma très modeste mesure, de lutter pour que l’ampleur du mouvement aille le plus loin possible, plutôt que de me contenter du minimum proposé aujourd’hui.

      "sur le long terme, le système électif produit ce biais, mais sur événement ponctuel (la constituante), et dans le contexte particulier qu’on s’imagine, il me semble que les forces de la vie, de l’élan démocratique, seront écrasantes."
      => Vous pensez que tout un peuple va subitement donner la majorité aux partis alternatifs ou au Front de Gauche ? C’est très dur de faire de la prospective, mais je vois mal des machines comme le PS ou l’UMP abdiquer du jour au lendemain. Il faudra faire avec, et ils ne seront pas plus chauds que d’habitude pour changer les choses (doux euphémisme).

      "Je vois une sorte de pulsion de mort dans la négation des énergies informelles qui animent l’engouement populaire, ou du moins de l’incapacité à voir en elles des leviers capables de contre balancer les tendances viciées découlant de l’imperfection des opportunités (j’avoue que cette phrase est surpompeuse mais ce sont les mots qui me sont venues pour le dire)."
      => Vous voyez un engouement populaire aujourd’hui ? Je l’espère de tout mon coeur, et je pense même probable qu’il advienne vu comme c’est parti, mais comme cela a toujours été le cas, il faudra attendre que les petites gens soient mises dos au mur, ne parviennent plus à vivre décemment, pour espérer le mouvement que vous espérez. Regardez : même en Grèce, cela peine à advenir, c’est pour dire qu’il en faut ! Mais il est vrai que la culture révolutionnaire dont nous disposons en France peut faciliter les choses. Cela étant dit, nous n’en sommes pas là, et ce n’est sûrement pas le Front de Gauche qui incarne l’engouement populaire pour le moment, malgré tous les sondages BVA du monde, et malgré toute ma sympathie sincère pour ce mouvement. Mais peut-être que ce sera une force capable de motiver et de structurer les foules quand l’insurrection viendra, peut-être.

    • vote
      Walid Haïdar 24 mars 2012 18:32

      Bah oui, le FdG a peu de chances de passer en 2012, mais la pression qu’on met aujourd’hui est capitalisée pour 2017.


      L’engouement populaire est en marche je crois, dans une partie de plus en plus significative de la population. Si j’ajoute aux 13% la proportion de ceux qui vont voter Ps par pure peur de Sarko/Le Pen, les 13% deviennent facilement 20 à 25%.

      Mais même 10% de gens qui se mobilisent et prennent conscience des enjeux, ça fait bouger énormément le débat public à terme.

      Par ailleurs, lorsque vous parlez de l’UMP et du PS qui vont pas se laisser faire, c’est une évidence, et je ne l’occulte pas. Je dis simplement que cette inertie qui leur est propre va entrer en conflit avec le mouvement de conscience du peuple ( dans quelques années au plus tard, et en Grèce la gauche radicale est très forte dans les sondages là...), et que ce conflit ouvert ne sera pas sans conséquences, voire même sans possibilité de bouleversements, à condition, et je pense que c’est très possible, que la classe intellectuelle, ou une partie significative de celle-ci, prenne les "armes" et s’engage radicalement dans la refondation démocratique, par une sorte de convergence de conscience qui l’emporterait sur les inerties du train train quotidien.

      Enfin, en tant que citoyen, je ne peux pas modérer mon enthousiasme et mon militantisme sur la base de calculs ultra incertain quant à ce qui peut ou ne peut pas arriver : je dois pousser pour qu’advienne ce que je veux qu’il advienne, comme le font mes ennemis, afin de contribuer à poser les jalons du chemin vers une meilleure société.

      Je ne pense pas qu’il soit contradictoire de voter, de renforcer un courant plutôt positif, tout en militant pour le tirage au sort.

    • vote
      Erca 24 mars 2012 18:42

      Pas de souci, je crois qu’on pousse dans le même sens, malgré toutes les nuances qui peuvent nous distinguer.


    • vote
      Walid Haïdar 24 mars 2012 19:18

      Qu’est-ce que je disais... je viens de tomber sur ça :

      Très sceptique sur le concept de tirage au sort à la base, j’ai très vite adhéré quand j’ai commencé sérieusement à penser à la question, et l’intuition d’ordre purement mathématique ne fut pas étrangère à ma conversion : cette idée, en la considérant de façon plus objective, m’a fait le même effet que quand en maths vous conjecturez un truc sans l’avoir démontrer, il y a une intuition, un sentiment de beauté particulier, qui vous dit "ça doit être ça". Mais ce n’est bien entendu pas suffisant...

    • vote
      Erca 24 mars 2012 19:21

      Merci beaucoup pour ce lien, je vais relayer.


      Je crois qu’on a tous été très sceptiques au moment d’aborder la question du tirage au sort, c’est naturel. Mais ceux qui prolongent la réflexion finissent rarement par le balayer d’un revers de main...

    • vote
      maQiavel machiavel1983 24 mars 2012 17:14

      Excellent article ! Il me faut absolument le bouquin de Manin !


      • vote
        Walid Haïdar 24 mars 2012 17:33

        Malheureusement, il est épuisé. Mais tu peux sûrement le trouver dans une bibliothèque si tu vis dans une grande ville. Dans une bibliothèque universitaire ça me paraît trouvable.


      • 1 vote
        Erca 24 mars 2012 17:38

        Effectivement, il est honteusement épuisé, alors que c’est un livre qui devrait être enseigné en cours d’éducation civique et qu’il est beaucoup réclamé depuis qu’Etienne Chouard en a parlé. On ne le trouve plus que dans les bibliothèques universitaires, du coup il faut s’arranger avec des étudiants pour y avoir accès...


        Machiavel, si ça t’intéresse, j’ai scanné l’introduction et je peux t’envoyer les pages : fais-le moi savoir à cette adresse : [email protected]

      • vote
        maQiavel machiavel1983 24 mars 2012 18:15

        C’ est gentil Erca, je t’ ai envoyé un mail !


      • 1 vote
        Unghmar Unghmar 24 mars 2012 18:39

        Bonjour,

        Le bouquin de Manin se trouve encore hors des grands circuits ( Amazon, FNAC, etc. ) chez La Procure par exemple. Après, il n’y est pas fait mention des stock, autant contacter les magasins ...


      • vote
        Walid Haïdar 24 mars 2012 19:19

        Génial, merci beaucoup !



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Erca


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