Eurovision : scène musicale ou théâtre politique ?
Connaissez-vous l’Eurovision ? Plus souvent connu et regardé d’un œil curieux et avide de mosaïques musicales provenant des quatre coins du Vieux continent. C’est une de ces émissions que l’on regarde pour y retrouver des éléments que paradoxalement nous attendons d’avance : de sublimes présentateurs en beauté, un décor grandiose où chaque pays fait son show (ou pas), et une palette musicale déconcertante allant de la chanson de variété à l’anglaise jusqu’à la chanson folklorique traditionnelle portugaise en passant par la découverte de l’Azerbaïdjan et de la Moldavie.
Mythique samedi soir durant lequel l’Europe entière contemple ce monument qu’est le Concours Eurovision de la chanson. Fameux concours ayant débuté en 1956 à la manière de la simplicité des premiers jeux olympiques de Coubertin mais dont la transformation dans l’esprit et la forme nous permettent de nous interroger sur la réalité de la chose. Cette large vitrine d’un message pouvant être porté à plus de 100 millions de téléspectateurs et d’une audience potentielle d’un milliard de téléspectateurs est-il le lieu d’une compétition seulement musicale ? Plus récemment, il fut aussi retransmis ailleurs dans le monde notamment en Australie et aux États-Unis) mais aussi sur Internet.
Fondé à Lugano, en Suisse, avec la participation de seulement 4 pays, il restera longtemps très spartiate. Au fil des années, il prit de l’ampleur pour devenir aujourd’hui le plus grand concours musical international, réunissant chaque année plus d’une quarantaine de pays et mobilisant des moyens financiers et humains titanesques. Un exemple significatif : l’organisation de l’édition russe a nécessité près de 32 millions d’euros, clin d’œil économique au faste des Jeux olympiques pékinois de l’été dernier.
Des 42 pays en lice pour le 54ème Eurovision Song Contest, seuls 25 ont été sélectionnés pour la finale samedi à Moscou. Les médias n’en retiendront que certaines figures, dont le charme et la jeunesse d’Alexander Rybak, représentant la Norvège. Voilà ce que l’on a pu voir sur plus d’une chaîne, contenu présenté sur mesure à un public large avide d’émotions. Mais on peut se demander quel rôle joue la chanson européenne derrière la grande fiesta moscovite, car, comme nous le devinons tous, le politique n’est jamais bien loin du spectaculaire. Si dans une harmonie sans fausses notes, il est unanimement admis que la musique ne connait pas de frontières, les rigueurs de la politique laissent souvent entendre un autre son de cloche beaucoup plus discordant.
Mars dernier, la Géorgie fait parler d’elle en délaissant la manifestation musicale. La cause, purement politique, laisse sceptique plus d’un. L’interprétation de la chanson nommée « We don’t want put in », a été refusée par l’Eurovision, car celle-ci montre explicitement du doigt le premier ministre russe, Vladimir Poutine. Le jeu de mot, subtile mais clair, entre le nom de Poutine et « put in » déplait aux organisateurs, qui se veulent apolitique dans le cadre du concours. Ce refus laisse la Géorgie de côté pour l’édition de cette année.
Chanter en anglais ou dans la langue du pays, c’est le choix qu’a la majorité des pays. S’y ajoute, pour les pays de l’ancien bloc soviétique, le russe. Le russe pour plaire au puissant voisin et à tous ses habitants qui regardent l’Eurovision. Cette année, la Lituanie a envoyé à Moscou un candidat qui chantera en anglais, bien qu’il soit issu de la communauté russophone. Le chanteur letton interprétera dans la langue du grand voisin et la chanteuse ukrainienne se produira en russe également. Un petit geste de retour de la part de la Russie, car il ne faut pas prendre sans donner : une jeune fille d’origine ukrainienne représentera cette année le pays.
Une manifestation de plus en plus politisée ?
Autre fait politique présenté sous les projecteurs de ce concours concerne sans grand étonnement le conflit israélo-palestinien, avec la décision de l’Etat hébreu de se faire représenter par un duo de chanteuses constitué de Mira Awad, d’origine palestinienne, et de Noa, d’origine israélite. Grande opération de communication, en dévoilant ce duo haut en espoir de paix tout juste le lendemain du lancement de l’opération militaire sur la bande de Gaza. Quel rapprochement émouvant et constructif entre ces deux nations... Au regard de ce qui se trame à Gaza, ça ne gazouille certes pas dans le consensuel. Un groupe d’artistes israéliens, arabes et palestiniens, a écrit à Awad une lettre ouverte, l’invitant à la fermer ! Ses rédacteurs prient la chanteuse de renoncer à ce projet qu’ils considèrent comme « une machination de propagande visant à donner l’impression qu’il existerait une réelle coexistence judéo-arabe, rejetant dans l’ombre le massacre de civils palestiniens ». Comme si cela ne suffisait pas, la chanteuse Noa s’est exprimé à la population palestinienne en légitimant cette guerre avec force « Je ne peux que vous souhaiter qu’Israël fasse le travail dont nous avons tous besoin, et vous débarrasse de ce cancer, de ce virus, de ce monstre appelé le fanatisme, ayant aujourd’hui pour nom le Hamas », le comble pour une vendeuse de paix.
De son coté, Londres met les bouchées doubles pour tacler Moscou, en chanson du moins. Les relations diplomatiques entre le Royaume-Uni et la Russie restent tendues, notamment depuis l’affaire Litvinenko, du nom de cet ex-agent du KGB empoisonné l’an dernier dans la capitale britannique. Le Royaume-Uni s’est alloué les services de Lord Andrew Lloyd Webber, compositeur des opéras musicaux "Cats", "Evita" et "Le Fantôme de l’opéra", pour composer la sirupeuse ballade "It’s my time", interprétée par Jade Ewen. Prenant son nouveau rôle à cœur, cet habitué de la chanson n’a pas hésité à donner de sa personne, par souci patriotique sans aucun doute. Dans un spot télévisé, le Lord au lifting détonnant, calé dans un fauteuil Churchill, le drapeau britannique en toile de fond, s’en réfère à l’oncle Sam : " Il arrive un moment où chacun doit prendre ses responsabilités. Votre pays a besoin de vous !"
A Moscou, le « grand show » de l’Eurovision a commencé, et ce bien avant le début des répétitions. La capitale russe, hôte de ce concours musical, en a profité pour faire un lifting à sa réputation. En effet, « Pour Moscou, l’Eurovision est une affaire de communication », assure Alexeï Venediktov, directeur d’Echos de Moscou, rare média indépendant au ton critique : « Afin de chasser les habituelles mauvaises images dont souffre la Russie et de montrer à l’Occident, le pays sous un autre jour ». Vladimir Poutine, ex-chef du Kremlin devenu premier ministre surpuissant, suit en personne les préparatifs, et de très près ; visite des coulisses et discussion avec les candidats en répétition. Tout comme le G8 de Saint-Pétersbourg ou encore les futurs Jeux olympiques de Sotchi, la Russie veut prouver au monde qu’elle est, malgré les critiques et les préjugés, un pays moderne et ouvert à l’Occident. Occasion entendue par les militants de la cause homosexuelle, qui ont profité de l’événement pour organiser une gaypride, pourtant refusée par les autorités moscovites, et dont la répression a été fortement médiatisée par les journalistes présents.
Is there any way afin d’éviter la politisation du concours ? Cette année, les conditions de vote ont changées : le vote télévisé n’a compté que pour une partie du résultat, la deuxième partie a été décidée par le jury officiel national. Peut-être un moyen d’éviter le jeu du chat et de la souris très complexe qui se déroule dans le cadre de ce concours si simple et si naïf à premier abord. En tous les cas, le choix de la France d’envoyer Patricia Kaas, chanteuse française la plus appréciée en Europe de l’Est, n’a pas été payant. La France ferait peut-être mieux de choisir une chanson pouvant s’adapter au carcan festif eurovisionnel.
Tags : Europe Politique Musique Télévision
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