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Royal et les médias


Mercredi 20 décembre 2006, fin d’après-midi. Ségolène Royal rend visite aux salariés de l’usine Suchard de Strasbourg. 123 emplois sont menacés depuis septembre par un plan social amorcé par Kraft Foods, la société mère. Prévenu à l’avance de cette arrivée, chaque média local y va de son petit coup de fil au service presse parisien du Parti socialiste. Europeus avec. Boîte vocale saturée, aucun contact n’est permis. Rendez-vous donc devant l’usine.

A l’entrée, le service d’ordre de l’entreprise nous laisse accéder au parvis. Depuis la veille au soir court la rumeur que la presse locale ne pourrait suivre Ségolène Royal au sein de l’entreprise. Une liste de journalistes « bienvenus » (les nationaux et l’AFP - comprendre ceux que la candidate connaît...-) aurait été dressée par l’équipe de campagne de Ségolène. Conséquence, à charge pour les « locaux » de baser leurs articles et reportages sur le travail de leurs confrères parisiens. Bien qu’aberrante, la chose se confirme en partie sur place. Aucune accréditation ne nous est donnée. Pas même à France 3 Alsace, pourtant membre de la parisienne France Télévisions.

Les représentants de la direction de l’entreprise affirment que des consignes leur auraient été données par l’équipe de la candidate. La fameuse liste existerait donc bel et bien.

Un représentant du PS, rapporte alors un confrère journaliste, s’en défendrait. D’après ce dernier, Paris ne connaissant pas les médias locaux, ceux-ci ne seraient effectivement pas sur le document, mais rien ne les empêcherait d’entrer, sinon un veto de la direction de l’entreprise. Mais celle-ci ne bouge pas. S’en remet à la fameuse liste, validée, selon un employé rencontré quelques minutes plus tôt, par les RG. Coup de fil « bouée de sauvetage » à un député socialiste local qui me met en contact avec Matthieu Cahn, premier secrétaire fédéral PS du Bas-Rhin. Je demande son intervention pour dénouer cette situation ubuesque. Réponse m’est donnée qu’il ne peut rien. Que c’est l’équipe parisienne du PS qui gère, quand bien même serait-elle constamment sur boîte vocale depuis deux jours... J’ai beau lui expliquer que la situation est effarante, seule une fin de non-recevoir m’est donnée. Retour, donc, à la case départ.

Là, c’est un journaliste de France 3 Alsace qui s’agace, qui ne comprend pas comment en France il serait devenu impossible de faire son travail de journaliste. Faute est alors à nouveau rejetée sur la direction de Kraft Foods, par Evelyne Issinger, secrétaire générale adjointe départementale de la CFTC. Selon elle, c’est l’entreprise qui bloque et non l’équipe de Royal. Le directeur de la communication de la société, soucieux de montrer sa bonne foi (réelle ou non), donne alors consigne de laisser entrer la presse locale. La situation se dénoue. Ségolène arrive et la petite troupe de journalistes nationaux et régionaux finit par l’accompagner et couvre sa rencontre avec les dirigeants de Suchard et les représentants des salariés.

Reste que deux-trois petites choses m’intriguent encore quant aux raisons de ce blocage médiatique. Quel intérêt aurait en effet eu l’entreprise à laisser accéder dans son enceinte la presse nationale et pas la presse locale, pourtant bien moins puissante en terme d’audience  ? A moins que la version soutenue par le PS et la CFTC relève de l’intox pure et simple.

Ségolène, cela commence à se savoir, aime maîtriser son image. L’omniprésence (pesante) de sa responsable presse (nos moindres faits et gestes étaient scrutés une fois entrés) pendant la rencontre entre la candidate socialiste et la direction, puis les représentants des salariés, en fut un bon exemple. Illustration : en pleine prise de notes (lors de la rencontre avec la direction), la femme nous apostrophe (les « l ocaux »...) afin de savoir quel média nous représentons. Là, une certaine politesse m’empêchera, tout comme mes confrères, de lui rappeler que la discussion peut attendre et qu’accessoirement, à cette minute même, je travaille et n’ai pas forcément envie de compter fleurette avec elle...

Quant à la représentante de la CFTC - celle qui nous expliquait précédemment que l’équipe de Royal n’était pour rien dans cet imbroglio -, trois faits successifs étonnent. Le premier tient à une discussion saisie entre deux représentants d’un syndicat concurrent, après le départ de la candidate. D’après leurs propos, la CFTC serait une sorte de cheval de Troie du PS au sein de l’entreprise. A ce moment, je mets cela sur le compte d’une quelconque rivalité corporatiste et n’y prête guère plus attention. Puis vient le moment où je retrouve notre syndicaliste CFTC. Ma démarche est simple : tout comme je le fais avec d’autres représentants de salariés, essayer d’obtenir leurs premières impressions sur le discours que leur a tenu Royal. Un discours incitant la direction de l’entreprise à mettre en place un moratoire sur les licenciements, d’interdire les licenciements de complaisance, à développer de nouveaux produits en phase avec le marché (bio, bien-être) afin de consolider le site. Là, la femme cache déjà moins son engouement pour Ségolène, qu’elle semble espérer pour présidente, sinon voir déjà aux affaires. Rien de bien méchant, chacun a le droit de voter pour qui il l’entend, mais bon.... Reste la troisième « r encontre » : la secrétaire générale adjointe départementale de la CFTC n’est alors plus dans l’enceinte de l’entreprise mais à Illkirch-Graffenstaden, là où se tient le premier meeting participatif de Ségolène Royal. Non pas dans la salle mais sur le podium, porte-parole des employés menacés et soutien ouvert à la candidate. Alors info ou intox lors de sa première intervention quand elle expliquait aux journalistes que leur refus d’accès émanait de la direction de Kraft Foods et non de l’équipe de campagne de la candidate socialiste ?

La question peut d’autant plus se poser qu’être journaliste ce jour-là n’était décidément pas une sinécure. Pour l’anecdote, l’entrée au meeting nocturne - pourtant public - fut elle aussi mouvementée. Premier passage sans faille à l’entrée presse. Un badge m’est remis dans la bonne humeur, par des membres de sections locales (du moins est-ce ce que j’en comprends, ceux-ci, suite à une boutade de ma part, m’indiquant qu’ils ne venaient pas de Paris). Puis arrive le passage devant le service d’ordre de la candidate. Là, interdiction m’est donnée d’entrer. Motif invoqué : vous avez beau être journaliste, vous n’êtes pas sur la liste des accrédités ! Ce sort sera également partagé par d’autres confrères, dont une photographe qui, bloquée, m’expliquait encore aujourd’hui qu’elle avait dû ruser pour entrer. Question : depuis quand faut-il être accrédité pour se rendre à un meeting public  ?! Pour ma part, je ne demande même pas à accéder à l’espace presse, cela ne sert de toute façon à rien dans ce genre d’occasions. Tout juste à entrer dans la salle à l’instar de n’importe quel citoyen. Refus net. La salle est - nouveau motif - officiellement bondée et nul ne peut plus y entrer pour raison de sécurité. Etrangement, une vingtaine de personnes s’y engouffre pourtant sous l’œil bienveillant du même service d’ordre... La sécurité a parfois bon dos ...

Le bras de fer s’éternise. Pénible et ubuesque, il durera au total une trentaine de minutes, avant que quelques coups de fils ne finissent par débloquer la situation. Au passage, le responsable de la sécurité signifiera mon impertinence à l’un des journaux pour lesquels je travaille. Etrangement la chose m’amuse. Non mais c’est vrai, depuis quand un journaliste aurait-il le droit de faire son job librement, qui plus est en France et dans un espace public ? Autre fait amusant : cette dernière scène s’est, comme écrit plus haut, passée bien loin de l’usine Suchard. Il y était aussi question de liste, mais la direction de Kraft Foods n’y avait de fait aucune autorité... Question subsidiaire  : le slogan de campagne de Ségolène Royal, « Pour que ça change fort », concerne-t-il aussi la liberté de la presse ?

http://www.europeus.org

Tags : Ségolène Royal






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