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Commentaire de Erca

sur La république laïque : le PG lance des ateliers législatifs


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Erca 14 mars 2011 18:16

Tu t’es cabré bien vite sur des mots que tu aurais dû prendre dans leur sens le plus simple, sans y voir la connotation que leur ont associé certains mouvements de droite. A te lire, un philosophe comme Jean-Jacques Rousseau ou un homme comme Jean-Pierre Chevènement seraient des réactionnaires... Je vais essayer de me faire plus clair.


Mon point de vue est qu’on ne peut adopter une même Constitution sans partager pour l’essentiel une même identité ; précisément, la Constitution se fixe sur l’identité d’un peuple. Je l’ai déjà dit : je crois – et Rousseau, si je l’ai bien lu, me suit sur ce point sans être un philosophe ni réactionnaire ni droitier à ma connaissance – que la communauté de fait, d’intérêts (donc d’identité, de culture au sens large) précède nécessairement la communauté de droit. C’est à mes yeux l’évidence même : un peuple doit partager des concepts et des intérêts communs avant de se doter de règles communes et de se projeter vers l’avenir. La nation, c’est la communauté d’intérêts, de culture, qui procède d’une histoire commune ; le peuple, c’est la communauté juridique qui se dote d’une Constitution et qui transcende les simples relations culturelles de la nation. Et si aujourd’hui, il existait une communauté européenne de concepts et d’intérêts tout à fait unie, il n’y aurait pas à « construire » l’Europe : elle se serait imposée d’elle-même !


Je crois en effet que les peuples d’Europe sont d’accord sur trop peu de choses pour avoir l’ambition d’une Constitution commune. Une fois qu’on a évoqué les droits de l’homme et les libertés fondamentales comme tu le fais, tout a été dit : cela ne suffit absolument pas à rédiger une constitution au sens plénier, qui ferait naître un État fédéral. Du reste, les valeurs que tu évoques ont pour partie déjà été validées dans de simples traités. Prenons le simple exemple de la laïcité : dans quel autre pays européen retrouverait-on ce concept, de façon aussi précise et forte qu’il a été taillé en France ? Nulle part. Quand je parle de culture, je ne fais pas bêtement allusion aux us et coutumes, mais à un certain habitus commun né d’une longue histoire.


Je n’ai jamais dit que les peuples ne seront jamais d’accord sur rien, je suis moi-même un opposant à la thèse du choc des civilisations (mise à rude épreuve en ce moment). Mais il n’en reste pas moins qu’à partir d’un socle commun de droits universels, deux pays libres et indépendants auront aussi forgé respectivement des « habitus » tout à fait différents, voire opposés, et pour autant également légitimes et adéquats dans un cadre démocratique. Tout cela forme globalement une « culture », une « identité »  ; désolé mais je crois ces termes incontournables. Pour revenir à mon exemple, j’estime, en tant que Français, que la laïcité est un bijou politique précieux, mais en aucun cas je n’irai prétendre l’imposer aux peuples voisins dans le cadre d’une négociation constitutionnelle, de même que je ne supporterai pas qu’on me demande de l’assouplir, voire de le supprimer dans ce même cadre. Car si l’on doit rédiger une constitution commune, comment ne pas aborder très précisément et en profondeur ce point de la relation entre l’État et la religion ? Doit-on procéder à un rapport de forces en la matière, en obligeant certaines nations à renoncer à leur idée qu’elles se font du sujet, ou au contraire les laisser indépendantes en la matière ? Quasiment tous nos pays voisins seront sans doute à jamais étrangers au concept de laïcité, qu’il est impossible de traduire, parce que celui-ci est issu d’une histoire tout à fait particulière, et qu’il serait insensé (et impossible) de le transposer dans un pays qui n’a pas connu la même. L’identité et la culture dont je parle ne sont rien d’autre que ce qui procède d’une histoire nationale libre et indépendante.


Il y aurait beaucoup à dire sur l’idée que des Bretons, des Parisiens, des Corses, des Algériens et des Marseillais se retrouvent aujourd’hui dans les idéaux de la République française. Cela n’est pas né d’une négociation libre et égale : on ne peut pas ignorer que ce résultat a en partie été atteint via un processus d’assimilation, dans une certaine violence, et parfois même dans le sang. N’étant pas historien, j’aurais beaucoup de mal à dire si la nation française était commune de longue date entre les régions métropolitaines que tu nommes, ou si elle est le fruit d’une construction verticale. Quoi qu’il en soit, je prends l’histoire française en bloc, je n’en renie rien et j’accepte son leg en tant que tel. Et j’en suis fier, sans aucune ambiguïté. D’ailleurs, comment pourrais-je faire autrement et prétendre défaire ce qui est désormais complètement enraciné ? Pour autant, je ne suis pas prêt à poursuivre un processus d’uniformisation de l’Europe sur le modèle d’uniformisation qu’aurait subi le territoire français. Évidemment, je sais bien que ce ne serait pas non plus ton idée de procéder par la force ; mais alors il faut y renoncer tout simplement, car il est insensé de rêver que des peuples ayant vécu de façon tout à fait indépendante pendant des siècles puissent tout à coup se mettre d’accord sur quelque chose d’aussi profond et sacré qu’une Constitution.


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