Pourquoi je n’achète pas de l’or
Dans la sinistrose ambiante, au demeurant parfaitement justifiée, il est
assez fréquent d’entendre au comptoir d’un bistrot des gens ordinaires évoquer
un sujet tout à fait improbable dans un tel lieu : Acheter de l’or, de l’or
physique, lingots, pièces, bijoux, etc.….arguant qu’en cas d’une crise
systémique globale seul l’or aurait encore de la valeur tandis que les monnaies
ne vaudraient plus rien. Un banquier aurait dit à peu près la même chose dans
son jargon, mettant en évidence le fait que les métaux précieux sont une
assurance contre une hyperinflation monétaire.
Pourtant malgré ces paroles de bons sens, l’un comme l’autre prendraient un
bien grand risque d’en acheter. Voici pourquoi :
Voyons d’abord le cas de la catastrophe totale et d’un avenir à la
Mad Max si cher aux prophètes de la fin du Monde
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L’idée
selon laquelle l’or serait alors la seule monnaie d’échange solide ne tient pas.
L’or n’est plus et ne pourra plus être un instrument monétaire et pour au moins
deux raisons. Premièrement à 56 dollars le gramme (soit 450 fois la pièce de 1
euro), l’or aujourd’hui est déjà beaucoup trop cher pour servir d’unité de
compte. Imaginez payer une miche de pain en or ? Impossible. Dans cette
perspective l’argent qui ne vaut que 1 dollar le gramme est beaucoup plus
intéressant que l’or. Acheter de l’argent et vendre de l’or, serait déjà une
stratégie plus sensée.
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Deuxièmement,
l’or est facilement falsifiable, beaucoup plus qu’un billet de banque. Pour 99%
de la population il serait impossible de différencier une vraie pièce d’or
d’une fausse en alliage pauvre recouvert d’une feuille d’or. Une grande part de
l’attrait séculaire de l’homme pour l’or était son inaltérabilité, mais les
temps changent. Aujourd’hui et à raison, c’est bien plus le caractère
difficilement falsifiable qui prime.
Voyons ensuite l’or comme assurance contre l’inflation.
A première vue l’idée d’un risque inflationniste majeur a du vrai. En
choisissant de soutenir l’économie par la planche à billets les Banques
Centrales ont commis la folie d’opter pour la fuite en avant. Si pour l’instant
cela ne s’est pas traduit dans les prix à la consommation c’est parce que les
liquidités n’ont pas été injectées directement au niveau du consommateur mais
auprès des banques : les banques centrales – qui en principe ne devraient
pas le faire ou tout simplement en n’ont pas le droit - souscrivent aux
nouvelles émissions d’obligations d’Etat dont le produit en grande partie sert
à rembourser la dette ancienne arrivée à échéance jusque-là détenue par les
banques. Celles-ci, à leur tour soit remboursent leurs propre dette et la
création monétaire se trouve neutralisée soit investissent dans des biens
financiers – bourse et matières premières – avec en aval c’est incontestable un
risque inflationniste.
Mais en deuxième
analyse rien ne justifie ces prédictions alarmistes de retour à
l’inflation.
Mon opinion est
que la sortie de la crise ne prendra pas l’allure d’une hyperinflation mais au
contraire d’une déflation généralisée. L’année 2008 nous en avait donné un
avant-goût et l’évolution de l’économie japonaise aussi. La raison en est qu’un
effondrement des bulles spéculatives (bourse et immobilier) donc de la valeur
des actifs financiers est l’issue inéluctable de la crise et que ceci
entrainera une destruction de monnaie incomparablement plus importante que ce
que les Banques Centrales ont crée au cours des cinq dernières années. Pour
donner un ordre de grandeur, depuis le début de la crise, les banques centrales
ont gonflé leur bilan d’environ 4 trillons de dollars alors qu’une baisse
généralisée des actifs financiers de 30% entraînerait une destruction monétaire
d’au moins 30 trillions sans compter l’immobilier. Une deuxième raison est
qu’il ne peut y avoir hyperinflation sans un effet cumulatif prix-salaires. Or
de hausse des salaires il n’y en aura pas pour au moins deux raisons :
l’interconnexion du marché du travail entre zones économiques très différentes
et la présence d’une énorme masse de chômeurs. Ceux qui se référent aux
exemples de la République de Weimar et
de la Russie de Eltsine ont tort. Leur situation était totalement différente,
indexation des salaires d’une fonction publique pléthorique, spéculation en
faveur d’autres monnaies, pas de crise mondiale…etc. mais cela mériterait j’en
conviens un long développement.
Enfin une analyse
plus fine de l’évolution récente du prix actuel de l’or devrait nous mettre en
garde. L’or plafonne depuis bientôt deux ans en dessous de 1800$/once avec même
une tendance à baisser vers 1500$ once. Là aussi pour des raisons facilement
identifiables. Le prix des métaux précieux comme toutes les matières premières
non agricoles est largement déterminé par le marché financier – contrats de
futures – que par les échanges physiques. Sur ce marché les intervenants ne
sont pas dans une optique de fin du monde loin de là mais de spéculation. Or
en cas d’effondrement général du prix des actifs, actions et obligations les
cours des métaux précieux suivraient la même voie. Pourquoi ? à cause
de la nécessité de réaliser des plus-values latentes lorsqu’il y en a pour compenser
les pertes sur les autres marchés. C’est exactement ce qu’il s’est produit en
2008 lorsque l’or avait plongé de 1000 à 750$ l’once en phase avec tous les
marchés financiers. L’or aujourd’hui est surévalué, de 30% au minimum, et cette
survaleur ne s’explique que par des anticipations d’inflation future
irrationnelles.
En conclusion, je
considère l’or comme un actif spéculatif comme un autre qu’il faut acheter
lorsqu’il est bas et vendre lorsqu’il est cher. Pendant des décennies l’or a
été le plus mauvais placement qui soit (années 80 et 90), puis il a rattrapé
son retard, aujourd’hui il est trop cher.
En cas de crise
majeure comme en 2008 la seule valeur qui devrait monter contre tous les actifs
financiers, et cela n’a rien a voir avec la solidité de l’économie americaine, est le dollar. C’est normal puisque la plus grande partie de ces
actifs est financée en dollars. C’est un juste retour de balancier.