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Commentaire de Éric Guéguen

sur Faut-il se méfier du peuple ? (Débat France Culture)


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Éric Guéguen Éric Guéguen 27 avril 2013 16:08

Ouf ! Eh bien heureusement que j’y ai ajouté ma prose ! smiley
Il faut dire qu’entendre un sociologue dans les médias, c’est toujours une bonne déconnade en vue. Bien entendu, il ne fallait pas espérer apprendre quoi que ce soit de ce genre de débats, et j’aurais dû le spécifier dans mon intro, mais l’intérêt était de faire état de l’émoi suscité dans le landerneau des sciences humaines par la récente montée en puissance des revendications de la base lors des manifestations anti mariage pour tous.
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Par ailleurs, figurez-vous que j’ai "tiqué" au même endroit que vous dans l’émission. Ça m’a beaucoup interpellé cette histoire de militants motivés, prêts à embarquer la terre entière derrière eux et "dévoyant" ainsi (sic, comme vous dites) notre belle démocratie.
En fait, il n’a pas tout à fait tort. Je veux dire par là qu’il y a un biais typiquement démocratique et qui porte atteinte à l’objectivité, c’est celui que j’appelle "l’empire du nombre". C’est-à-dire que lorsqu’on vous demande votre avis sur un sujet, le fait de connaître les tendances qui se dégagent des réponses ayant précédé la vôtre risque fort d’influencer votre choix.
Je vais tirer mon exemple de mon propre bouquin si vous me le permettez, et vous allez tout de suite comprendre où je veux en venir :
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Considérons un débat d’idées entre dix personnes devant mener à une décision politique. De ces dix, huit sont d’un avis A. Les deux autres soutiennent quant à eux l’opinion B. Vient un nouvel intervenant auquel sont exposés rapidement et les éléments du dossier, et les sondages de position. Dans la mise en balance opérée par le nouveau venu, le pour et le contre pèsent sur leurs plateaux respectifs. Toutefois, sans un effort intellectuel préalable, sa pesée est faussée. En effet, de petites masselottes identiques viennent perturber, parasiter son étude, précisément huit d’un côté et deux de l’autre, soit six d’écart. C’est que, hors de tout jugement de valeur sur les personnes, sans considération de leur compétence propre en la matière, l’esprit, paresseux, fonde son jugement sur l’a priori du nombre et suit ainsi la pente du conformisme. Il faudra à notre ami s’arracher à la gravitation du nombre, à sa force centripète, son pouvoir d’accrétion. Il lui faudra surtout faire table rase, négliger le rapport de force afin de ne pas céder à la facilité et juger en son âme et conscience. Ainsi sera-t-il à même d’effectuer un choix libéral, libre de toute contrainte comme de tout modèle. Ainsi accordera-t-il a priori aux solutions A et B les mêmes chances d’emporter son adhésion pleine et entière. Mais l’effort requis n’est pas de tout repos, car plus le déséquilibre est grand entre les tendances, plus les sirènes du parti majoritaire se font entendre, plus le conformisme risque de se substituer à l’intellection. Comment certes ne pas se convaincre du bien-fondé d’une opinion plébiscitée en nombre lorsqu’il paraît assuré que chaque voix déjà acquise a été le fruit d’une mûre réflexion ? Par conséquent, sans abstraire le charme du nombre, tout individu sondé commet une double erreur : celle de faire l’économie d’une totale pensée par soi-même, renforcée par la foi dans l’opinion du plus grand nombre dont chaque élément, pris individuellement, a peut-être déjà fait la même économie. En définitive, l’écart entre A et B prend part inopinément au débat, et à mesure que l’écart se creuse de manière performative, le débat s’estompe.


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