PS : J’illustrerai mon commentaire par la conclusion passionnante d’un entretien récent entre Frédéric Lordon et Emmanuel Todd
http://www.marianne.net/Lordon-Todd-Les-intellectuels-vont-devoir-parler-au-peuple_a229828.html
La fin de cet entretien donne peut-être la meilleure synthèse sur la cohérence entre la nation et l’ouverture.
"Ne craignez vous pas que ces projets de sortie de l’euro ne vous conduisent à être taxés de "repli national" ?
F.L. : Avez-vous lu l’Etat commercial fermé, de
Fichte ? Au début du XVIIIe siècle, ce philosophe invite les Allemands à
être autosuffisants économiquement : on ferme tout. Evidemment, la
chose ne serait plus ni possible ni souhaitable maintenant. Mais
l’intérêt de le lire, c’est de voir que sa position strictement
autarcique en économie ne s’accompagne pas moins du désir de la plus
grande ouverture internationale sous tous les autres rapports :
circulation des intellectuels, des artistes, des étudiants, des
voyageurs de toutes sortes.
Pour tout ça, oui, libre
circulation maximale ! C’est une lecture qui, en creux, en dit long sur
l’état présent de colonisation de nos esprits par l’économicisme. Autant
les internationalistes que les européistes n’envisagent plus « les
échanges » qu’à travers la circulation des conteneurs et des capitaux, et
ils sont incapables de penser un régime d’échanges internationaux qui
se déploie dans un autre plan. Si on arrête un conteneur aux frontières
ou qu’on met un contrôle des capitaux, c’est donc l’ abomination
obsidionale. Voilà leur unique critère pour juger de
l’internationalisme.
E.T. : Le
véritable internationalisme aujourd’hui, ce serait d’accepter
l’existence de toutes les nations et d’assurer leur égalité dans un
système européen et mondial équilibré. Mais l’Europe a changé de nature.
C’était un beau projet : des nations libres et égales acceptant le
lepadership franco-allemand. La concurrence généralisée du libre-échange
en a fait le champ d’un affrontement silencieux mais féroce entre
nations. L’euro a fait muter le continent en un système de domination
hiérarchique, avec ses inférieurs grecs, portugais, espagnols ou
italiens, et un hegemon allemand.
Face à cette
mutation, la France, sans en être consciente, se déshonore. Les
européistes au pouvoir dénoncent la germanophobie de ceux qui décrivent
la réalité. Ils se présentent comme de bons universalistes en défendant
la fiction du couple franco-allemand. La vérité est que, sans la
complaisance de la France, dans sa posture de brillant second qui
cherche à passer à travers les gouttes, l’Allemagne ne pourrait pas
imposer aux pays faibles du Sud des politiques de destruction de l’Etat
social et de la démocratie. Le Parti socialiste au pouvoir devrait avoir
honte. "