Historia défend Colbert !
Couverture du magazine Historia de septembre 2013.
La revue Historia
de septembre a consacré un dossier très intéressant à cet homme
exceptionnel. Doit-on y voir un tournant vers une remise en question des
dogmes libéraux qui nous ont conduits à la perte de notre substance
industrielle ?
En tout cas, c’est bien la première fois depuis
plusieurs décennies que ce grand ministre est mis à l’honneur, avec des
contributions de cinq économistes, professeurs ou autres spécialistes.
Les rares parutions au cours de ces années de libéralisme noir, à
l’image de l’ouvrage de François d’Aubert paru en 2009, ont cherché à
discréditer Colbert, le faisant passer pour aussi corrompu que le
surintendant des Finances Nicolas Fouquet qu’il fit arrêter. On n’a pas
vu cet homme politique user d’un stylet aussi tranchant pour dénoncer
les turpitudes qui nous ont conduits à la crise de 2007…
Les
lecteurs assoiffés par la médiocrité du débat ambiant et avides de ces
grands moments de l’histoire qui pourraient inspirer un changement de
cap, apprécieront ce dossier. De rares phrases malheureuses se glissent
ici ou là, comme celle de Joëlle Chevré, pour qui « cupidité et cynisme constituent la part obscure » de Colbert. Sa tentative de réduire à la défense d’intérêts claniques le patriotisme de celui dont la devise était : « Pour le roi souvent, pour la patrie toujours » , est tout aussi abusive. Colbert ne cessa de placer son action dans les pas de Charlemagne et de ces « grands » Richelieu, Louis XI et Henri IV,
conscient de faire partie d’une lignée d’hommes dont le combat pour le
développement de la nation France remonte très loin. Il y a aussi, ici
ou là, une tentative par trop pragmatique de réduire Colbert à un
« monétarisme » mercantiliste. Dire que la quête du « numéraire » via
les exportations était le but ultime de la politique de Colbert, c’est
oublier que nous sommes dans le pays de Jean Bodin, pour qui « il n’est de richesse que d’hommes » , et d’hommes éduqués et productifs.
D’autres
éléments qui étaient au centre des préoccupations de Colbert, et
doivent être une source d’inspiration pour nous aujourd’hui, n’ont pas
été assez soulignés.
Lutte contre la finance
D’abord, la préoccupation constante de Colbert de soutenir les peuples contre les financiers.
« Les deux professions qui consomment cent mille de vos sujets
inutilement (...) sont la finance et la justice [officiers de justice
qui imposaient un joug tyrannique aux peuples] », écrivait-il à
Louis XIV le 22 octobre 1664. C’était l’époque des « Grands Jours », où
Colbert instaura un tribunal de justice à travers le pays pour entendre
les peuples et condamner ces abus. Il déploya la même énergie à empêcher
la saisie du bétail pour cause de dettes, créant les conditions pour un
remboursement différé par les laboureurs.
Ce choix n’est pas
celui du gouvernement actuel : pas une seule sanction contre les
pratiques spéculatives des banques, et comme l’illustre le cas de Dexia,
l’Etat continue à renflouer les banques qui ont spéculé, au détriment
des contribuables.
Volontarisme et moteurs
Pour
réussir, le volontarisme doit aussi se traduire dans le domaine de la
mécanique et de l’énergie. Lorsque Colbert arriva aux affaires en 1661,
les savants des grandes nations s’afféraient à construire un moteur,
afin de décupler la force de travail des hommes et les soulager du
travail manuel. C’est fut une préoccupation centrale de l’Académie des
Sciences fondée en 1666, véritable moteur du renouveau scientifique et
technologique de la nation.
Fig. 1 : Le moteur à explosion de Papin (1690) faisait appel à la vapeur et à la pression atmosphérique pour soulever un poids.
Outre
sa découverte du calcul infinitésimal, suite à ses lectures de Pascal,
Leibniz collabora avec Christian Huyghens, président de l’Académie, et
avec Denis Papin, à la construction de la première machine à vapeur. Un
mémorandum de Huyghens à Colbert, portant sur ces questions, dont
chaque ligne est approuvée de sa main, atteste de l’importance que
Colbert accordait à ces travaux. [2]
Fig.
2 : Machine à vapeur de Papin de 1707. La vapeur transmise de la
chaudière A via le tuyau B, fait pression sur le piston F qui repousse
avec force l’eau qui arrive par H. Repoussée vers le réservoir au point
M, l’eau est ensuite expulsée avec force en X sur les roues à aubes.
A l’époque, on cherchait à utiliser la pression atmosphérique pour soulever un poids (Fig.1).
Pour utiliser cette force, Papin et Huyghens ont d’abord testé le
premier moteur à explosion. Au bas d’un piston, la poudre contenue dans
une petite boîte était chauffée pour pousser le piston vers le haut et
en chasser l’air (provoquant le vide). Par l’effet de la pression
atmosphérique, le piston redescendait ensuite avec la force d’un kg par
cm2, soulevant un poids qui lui était attaché. Cette expérience échoua,
mais Papin décida d’utiliser la « violence » de la vapeur d’eau pour
lever le piston à la place de la poudre. Ce fut la première machine à
vapeur : deux tubes pesant 40 livres chacun ont pu soulever à 4 mètres
un poids de 2000 livres !
Entre juillet 1698 et 1707 cependant,
fruit d’un dialogue épistolaire nourri, Papin et Leibniz découvrent
qu’il est bien plus efficace d’utiliser la force élastique de la vapeur
pour exercer un travail, plutôt que de passer par la pression
atmosphérique. Conscient d’avoir découvert une force qui « peut augmenter les pouvoirs de l’homme à l’infini » et faire « qu’un homme puisse faire avec ces moyens ce que cent autres peuvent faire sans elle » , Papin créa le premier bateau à vapeur avec roues à aubes. Cent ans avant l’Angleterre, la machine à vapeur (Fig.2) était inventée en France !
Revenons
aux projets de la nouvelle France industrielle. En promouvant les
« énergies renouvelables », on fait exactement la démarche inverse de
celle de Colbert. A son époque, les renouvelables étaient déjà largement
répandues. Elles permettaient l’existence, bien misérable à lire les
récits de Vauban, de quelques 600 millions d’âmes dans le monde. De par
leur faible densité, la capacité de travail des renouvelables est bien
moins grande que celle de la machine à vapeur. Veut-on donc revenir à
une humanité de 600 millions d’habitants, ou, au contraire, comme
Colbert à son époque, inventer le feu nucléaire de demain pour le
développement des générations futures ? C’est l’enjeu réel de notre
avenir.