"L’image que l’histoire retiendra d’ Eltsine sera celle du bouffon corrompu plus que l’homme fort et menaçant. Pourtant, ses politiques économiques et les guerres qu’il a déclaré pour les soutenir ont ajoutés au bilan de la croisade de l’école de Chicago, qui, depuis le Chili des années 1970, s’alourdit sans cesse. En plus des victimes du coup d’Etat d’Eltsine, en octobre, les guerres de Tchétchénie auraient coûtées la vie à 100 000 civils. Les massacres à plus grande échelle qu’il a provoqués se sont produits au ralenti, mais les chiffres sont beaucoup plus élevés (il s’agit des "dommages collatéraux" de la thérapie de choc économique.
En l’absence dune famine, d’un fléau ou d’une bataille de grande envergure, jamais un si grand nombre de personne n’aura perdu en si peu de temps. En 1998, plus de 80% des exploitations agricoles russes étaient en faillite, et environ 70 000 usines d’Etat avaient fermé leurs portes, d’où une véritable épidémie de chômage. En 1989, avant le thérapie de choc, deux millions d’habitants de la Fédération de Russie vivaient dans la pauvreté avec moins de 4$ par jour. Après l’administration de la "pilule amère", au milieu des années 1990, 74 millions de russes vivaient sous le seuil de pauvreté, selon les chiffres de la banque mondiale. Les responsables des "réformes économiques" ne peuvent donc pas se vanter d’avoir acculer à la pauvreté 72 millions de personnes seulement. En 1996, 25% des Russes (près de" 37 millions de personnes) vivaient dans une pauvreté qualifier d’ "écrasante".
Même si des millions de russes sont sortis de la pauvreté au cours des dernières années, en grande partie grâce à la hausse vertigineuse du prix du pétrole et du gaz naturel, la classe marginale des personnes extrêmement pauvres (de même que les maux associés aux statut de ces personnes rejetées) est demeurée. Dans les appartement glaciaux et surpeuplés de l’ère communistes, la vie était souvent misérable, mais au moins les russes était logés ; en 2006, le gouvernement a lui même reconnu que le pays comptait 715 000 enfants sans domicile fixe. Selon l’UNICEF, il y en aurait plutôt 3,5 millions.
Pendant la guerre froide, l’Occident voyait dans le taux d’alcoolisme élevé la preuve que la vie était si atroce sous le communisme qu’il fallait de grande quantité de vodka pour tenir le coup. Sous le régime capitaliste, les russes boivent deux fois plus qu’avant (et ils sont en en quête aussi d’analgésiques puissants). Alexandre Mikhaïlov, tsar de la lutte contre la drogue en Russie, affirme que le nombre de toxicomanes a augmenté de 900%entre 1994 et 2004 : le pays en compte aujourd’hui plus de 4 millions, dont de nombreux accros à l’héroïne. L’épidémie a contribué à la propagation d’un autre tueur silencieux : en 1995, 50 000 russes étaient séropositifs ; deux ans plus tard, ce chiffres avait doublé ; dix ans plus tard, selon l’ONUSIDA, près d’ un million de russe étaient infectés.
Ces morts sont lentes, mais il y en a aussi de plus rapides. Dès l’introduction de la thérapie de choc en Russie, en 1992, le taux de suicide, déjà élevé, a commencé à augmenter, en 1994, au plus fort des "réformes" d’Eltsine, il était presque deux fois plus élevé que huit ans au paravant. Les russes s’entretuaient aussi beaucoup plus souvent : en 1994, le nombre de crimes violents a plus que qudruplé.
"Qu’ont donc procuré à la mère patrie et à son peuple les quinze dernières années d’activité criminelles ?" demanda le chercheur Vladimir Gousev à l’occasion d’une manifestation en faveur de la démocratie tenue en 2006. "Les années de capitalisme criminel ont coûté la vie à 10% de la population." En Russie, la décroissance de la population est en effet spectaculaire (le pays perd en gros 700 000 habitants par année). Entre 1992 (première année complète d’application de la thérapie de choc) et 2006, la Russie a perdu 6,6 millions d’habitants. Il y a trente ans, André Gunder Frank, l’économiste dissident de l’école de Chicago, écrivit à Milton Friedman pour l’accuser de "génocide économique". Aujourd’hui, de nombreux russes utilisent les mêmes termes pour expliquer la lente disparition de leurs concitoyens.
La misère est d’autant plus grotesque que l’élite étale sa fortune à Moscou plus que partout ailleurs, sauf peut être dans une poignée d’émirats pétroliers. En Russie, la stratification économique est si prononcée que les riches et les pauvres semblent vivre non seulement dans des pays différents, mais aussi dans des siècles différents. Dans un premier fuseau horaire, on trouve le centre ville de Moscou, métamorphosé du jour au lendemain en futuriste cité du péché du XIX siècle, où les oligarques vont et viennent dans des convois de Mercedes noires, sous l’oeil vigilant de mercenaires triés sur le volet et où les gestionnaires de portefeuilles occidentaux sont séduits par des règles d’investissement laxistes le jour et par des prostituées qu’offre la maison le soir. Dans un autre fuseau horaire, une jeune provinciale de dix sept ans, interrogées sur ses perspectives d’avenir, répond : "Il est difficile de parler du XXIe siècle quand on passe ses soirées à lire à la lueur d’une chandelle. Le XXIe siècle, c’est sans importance. Ici, nous vivons au XIXe siècle."
Le pillage d’un pays riche comme la Russie a exigé des actes de terreur extrêmes (de l’incendie du Parlement à l’invasion de la Tchétchénie. "Une politique qui engendre la pauvreté et la criminalité, écrit Georgi Albatov, l’un des conseillers économiques de la première heur (vite écarte) d’Eltsine, (...) ne peut survivre qu’à condition que la démocratie soit supprimée." Comme dans le cône sur, en Bolivie sous l’état de siège et en Chine à l’époque de la repression de la place Tiananmen. Et comme, bientôt, en Irak."
La Stratégie du Choc, Naomi Klein.
(que je me suis bien fait chier à recopier)