Joe, votre commentaire est tout à fait exact.
Je me permets de l’étayer par un témoignage personnel, assorti d’une analyse
qui me trotte depuis quelques temps dans la tête.
Je crois avoir fini par isoler deux causes principales à ce que vous énoncez :
1- Le mépris et l’ignorance du technique
2- La peur de l’échec... menant paradoxalement à la catastrophe
Le mépris du technique
Je suis aujourd’hui ingénieur dans le privé et j’ai eu la chance -ou la
malchance c’est selon- de passer par le système des grandes écoles, cela il y a
moins de 10 ans. A travers ma scolarité j’ai pu rencontrer des élèves
véritablement brillants. Non pas des singes savant, mais de véritables
cerveaux, d’un sens mathématique ou physique hors norme. Aujourd’hui, parmi mes
anciens camarades, la répartition et très simple :
Les "cerveaux" ont tous des postes à responsabilités managériales, excepté
quelques hurluberlus qui se sont tournés vers la recherche
Ceux qui avaient de grandes facilités, font beaucoup de commercial et un peu de
technique... dans le milieu bancaire !
Les autres, ou les passionnés font de la technique ou du commercial
dans l’industrie.
Aujourd’hui, pour un ingénieur technique, les seules perspectives d’évolutions
(financières, reconnaissance sociale, etc.) se trouvent dans la prise d’un poste à
responsabilités managériales ou commerciales.
Nous arrivons donc à l’aberration suivante : plus la personne est douée pour les
sciences, moins elle en fera. Et si jamais elle est douée, et qu’elle en fait,
ce sera dans le milieu bancaire.
Loin de moi pourtant de considérer les ingénieurs techniques comme des
mauvais –j’en
suis-, mais par contre, dès qu’ils prennent de la bouteille, de la
compétence,
pouf ils s’enfuient dans le managérial, le démarchage commercial ou le
bancaire.
Ceux qui restent sont des passionnées, qui se feront vite écraser par la
hiérarchie, développant alors leurs compétences dans un club
d’aéromodélisme ou
en bricolant leur moto plutôt qu’au boulot (il existe bien sûr des
exceptions... mais comme leur nom l’indique, c’est exceptionnel !)
Il n’y a donc plus d’expert véritable, plus de vieux pour
apprendre aux jeunes. Et point d’innovation sans expérience contrairement à ce
que préconise le jeunisme ambiant !
La peur de l’échec
Le second point, la peur de l’échec est profondément structurelle, et
pas du tout
que française. Je constate chaque jour dans mon travail, que la
hiérarchie
demande à tout contrôler tout le temps. Les rapports et les réunions
pleuvent,
chaque étape doit être validée par un protocole, par un chef. Il ne peut
plus y avoir d’essai-erreur dans la recherche de solution puisque
l’erreur coûte des sous. Donc on utilise fatalement ce qui est
parfaitement éprouvé, ou ce que le chef
juge parfaitement éprouvé.
Pire, l’objectif d’un ingénieur n’est plus de faire
un truc qui marche, mais un truc qui passe les protocoles de vérification (vous avez dit lourdeur administrative ?). Si
cela peut sembler sécurisant, c’est en fait faux, et parfaitement délétère : on
valide des chiffres... et des chiffres on leur fait dire ce qu’on veut ! Donc
on obtient des produits qui passent toutes les qualifications, et qui marchent
pourtant mal ou moins bien que les anciens produits !
Un exemple est la consommation d’un véhicule, les fameux "litre aux
100", ou "g de CO2 par km". Tout le monde sait que la voiture
consomme différemment suivant le régime, l’état de la route, etc. Pourtant il
faut bien sortir une valeur normalisée. Pour cela on établit un profil de
conduite qui correspond à une courbe avec différents régimes de
consommation, la consommation finale étant la consommation moyenne. Ce profil
est déterminé comme étant le profil type de consommation d’une voiture
courante, avec un conducteur moyen.
L’objectif étant d’obtenir la valeur la plus faible, on créé donc des moteurs
qui vont consommer le moins possible selon cette courbe... pour peu que la
courbe ne soit pas réactualisée au fil des années et des études sur les
conducteurs (ce qui est le cas), on obtient des valeurs théoriques de plus en plus
petites, mais une pollution qui ne diminue pas ! Pourtant tout le monde s’en fiche
puisque le véhicule obtient le tampon...
La fusée à sûrement obtenu bien plus de validations que l’ensemble des fusées
du programme Apollo. Chaque pièce a dû être calculée 10 fois, et validée au
cours de 12 réunions. Mais l’objectif de toute la chaîne n’a toujours été que
d’obtenir ces validations, jamais de construire une fusée qui vole... pas
étonnant que ça pète de temps en temps.
On n’a jamais eu autant de personnes formées aux sciences,
jamais eu un tel réseau de communication, jamais eu de tel moyen techniques, et
pourtant nous n’avons jamais été autant sclérosés, frileux et apeurés.