Que nous dit ce cher Étienne Klein, centralien, docteur en physique, et directeur de recherche au CEA :
Galilée aurait découvert qu’il faut expliquer le réel empirique non pas
par l’observation, mais par l’impossible. Aristote, selon lui, observe
les phénomènes et les explique par les causes finales. Il ne dit pas
comment un corps tombe, mais pourquoi il tombe. Il décrit tout ce qui
est par l’usage qu’on peut faire de telle ou telle chose. Klein n’hésite
pas à ressortir pour l’occasion cette vieille lune grotesque de
Bernardin de Saint Pierre sur la finalité des côtes du melon. C’est
assez amusant quand on sait que ce Bernardin fut Ingénieur des Ponts et
Chaussées, et envisagea la carrière de mathématicien en plein siècle des
lumières et du rationalisme qu’il partagea à sa façon. Mais sans doute
Klein, qui montre son ignorance crasse en dehors de sa partie (nous
allons le confirmer bientôt), ne sait-il pas lui-même d’où vient cette
histoire de côte de melon.
Klein formule alors ce qu’il croit être la Loi de la chute des corps
selon Aristote : un corps tombe d’autant plus vite qu’il est plus lourd.
Loi conforme à l’observation.
Puis il reprend le point de vue de Galilée : la question n’est pas de
savoir si la loi est conforme à l’observation, mais si elle est vraie.
Pour cela Galilée remplace l’observation des faits par une expérience de
pensée : il faut supposer une théorie, et imaginer de ses conséquences
sur le réel empirique. L’hypothèse de Galilée est qu’Aristote a raison :
les corps lourds tombent plus vite que les corps légers. Puis il
imagine une expérience avec une boule lourde et une balle légère reliées
entre elles par une ficelle, fabriquant ainsi un système plus lourd que
la seule boule lourde. Si Aristote a raison, ce système doit tomber
plus vite que la seule boule lourde. Or, en fait, la balle légère va
faire parachute, et le système tombera moins vite que la boule lourde.
Donc, en supposant que la loi d’Aristote soit juste, on aboutit à deux
conclusions contradictoires. La loi d’Aristote est conforme aux
observations, mais fausse.
La loi de Galilée dit que pour résoudre ce paradoxe, la seule solution
possible, c’est de supposer que tous les corps tombent à la même
vitesse. Or, ce n’est pas ce qu’on voit, donc on doit réinterpréter les
faits. Dans la chute des corps, il y a donc deux forces : la gravité,
qui est la même pour tous, et la résistance de l’air qui varie selon les
corps et fait varier leur vitesse de chute. Voilà donc un parfait
exemple de loi physique vraie qui dit le contraire de l’observation :
universalité de la chute libre.
Klein est un fat et un ignorant.
1°- Un fat de penser qu’Aristote, ou d’ailleurs n’importe qui d’un peu
sensé, aurait pu croire qu’une boule ficelée à une balle tomberait plus
vite que la boule seule, conformément à la théorie d’Aristote. C’est
stupide et jamais Aristote ni quiconque ne prêterait quelque valeur que
ce soit à son système de bouts de ficelle. Il n’y a que lui pour y
croire, et comme il ignore tout d’Aristote, il l’accuse de cette
imbécillité avec l’empressement et la légèreté d’un héros de jeu vidéo.
2°- Un ignorant. Que dit, en effet Aristote ? Tout le monde l’accuse de
chimères tyranniques absolument invraisemblables, mais aucun de ses
accusateurs ne prend jamais le soin de le lire attentivement. En cela,
Galilée s’est montré un esprit bien supérieur à Klein. Il connaissait
parfaitement Aristote et avait une forte estime pour lui. Je pense qu’il
rigolerait bien de la petite vidéo à l’origine de cette discussion.
Donc, que dit Aristote ? Voilà :
« Nous voyons, en effet, que les choses qui ont la plus grande
impulsion, soit de lourdeur, soit de légèreté, les autres choses restant
semblables, sont transportées plus vite sur une distance égale, et cela
dans la proportion qui est entre leurs grandeurs. Ainsi en serait-il
aussi à travers le vide, mais c’est impossible. Pour quelle cause, en
effet, un corps serait-il transporté plus vite ? Cela est, en effet,
nécessaire dans les milieux pleins, le corps plus grand divisant le
milieu plus vite par sa force, car ce qui est transporté ou ce qui est
projeté divise soit par sa force, soit par son impulsion. Donc, dans le
vide, tous les mobiles auraient une vitesse égale ; mais c’est
impossible … En effet, de même que si l’on plonge un cube dans l’eau, un
volume d’eau égal à celui du cube sera déplacé, de même en est-il aussi
dans l’air. Mais cela échappe à la sensation. » (Physiques, Livre IV, ch. 8, 216a13 – a30, trad. Pellegrin GF 2002).
Que lisons-nous dans ce bref passage ? que contrairement aux billevesées
de Klein, Aristote rattache expressément la différence de vitesse dans
la chute des corps à la résistance du milieu. Au passage, il formule
deux principes de science physique qui ne deviendront célèbres que bien
plus tard : le principe dit d’Archimède et surtout, le principe
d’inertie, qu’on a “oublié” jusqu’à ce que Newton – qui, contrairement
encore à Klein, connaissait fort bien, lui aussi, la physique d’Aristote
– ne le fasse sien avec le succès que l’on sait. Si Aristote rejette ce
dernier principe, c’est parce que, comme les physiciens actuels et
contrairement à la physique classique de Newton, il sait que le vide
absolu n’existe pas.
Thomas d’Aquin, pour commenter ce passage, explicite ce qui n’est que
suggéré chez Aristote dans les mots : “la proportion qui est entre leurs
grandeurs”. « Dans le cadre d’un même espace, un corps plus lourd ou plus léger traverse plus rapidement[vers le bas pour le corps plus lourd ou vers le haut pour le corps plus léger] ,
soit qu’il ait un volume plus gros mais un poids unitaire équivalent,
soit qu’il soit de volume égal, mais de poids unitaire supérieur » (Commentaire des Physiques d’Aristote Livre IV, leç. 12, n° 539)
Autrement dit, il rattache la vitesse de chute à la densité des corps,
et non pas à leur poids. Ce qui rend totalement grotesque le système de
bouts de ficelle imaginé par Klein. Tout le monde n’a pas les moyens de
jouer les hommes d’esprit.
Cordialement
http://www.thomas-aquin.net/PHPhorum/read.php?f=1&i=17557&t=17535