Puissance des Etats-Unis : libres parce que forts
On ne peut manquer d’être frappé de
l’assurance avec laquelle le président Coolidge s’est exprimé dans son
discours d’ouverture du congrès panaméricain. Cette assurance paisible
est celle que donnent la puissance et la richesse.
(...)
La grande République des États-Unis a la majesté de la république
romaine. M. Coolidge s’est rendu à La Havane avec un déploiement de
force, un appareil de luxe qui font penser au voyage d’un proconsul. Il a
derrière lui le Sénat de Washington, qui rappelle le Sénat romain. Et
il parle aussi de paix, comme en parlait Rome, qui a, en effet, pendant
plusieurs siècles, donné la paix au monde d’alors, mais en intervenant
partout où cette "paix romaine" était troublée.
Virgile avait donné la formule d’une doctrine de Monroe lorsqu’il
conseillait aux Romains de se souvenir qu’ils étaient destinés à
gouverner les peuples. Cet orgueil tranquille est l’accompagnement de la
grandeur. A quoi sert de se dissimuler que les États-Unis sont très
grands, qu’ils ont en hommes et en ressources des disponibilités
immenses et qu’ils n’ont à subir le contrôle de personne ? On ne peut,
en somme, que rendre justice à leur modération. C’est celle d’Auguste
disant a Cinna : "Je suis maître de moi comme de l’univers."
Mais on s’explique aussi que les Etats-Unis, habitués à trouver autour
d’eux si peu de résistance, n’acceptent pas de discussion avec la
vieille Europe, qu’ils se tiennent dédaigneusement à l’écart de la
Société des Nations, que, pour les dettes, dites de guerre, ils
proposent des chiffres qui sont à prendre ou à laisser, qu’ils
construisent autant de navires de guerre qu’il leur plaît dès que
l’Angleterre n’admet pas leur formule de limitation des armements
navals, qu’ils aient leur conception du "bannissement de la guerre" et
qu’ils l’imposent, bref qu’on ne gagne jamais à vouloir ruser ou
finasser avec eux.
On a trop encensé autrefois la liberté américaine. On la comprenait
comme la liberté civique, l’idéal de la démocratie etc... Mais, être
libre c’est être fort. Parce qu’ils sont forts, les États-Unis possèdent
une liberté souveraine qui en arrive à ne pas se distinguer beaucoup de
l’impérialisme, sinon par le fait que le président Coolidge, à la
différence du président Hindenburg, ne porte pas d’épaulettes, d’éperons
ni de sabre. "
Jacques Bainville
Jorunal, Tome III, note du 18 janvier 1928