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Commentaire de Rounga

sur La philosophie d'Arthur Schopenhauer


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Rounga Rounga 23 avril 2015 10:30

Désolé pour la réponse tardive, mais j’ai été pris.

Quelques erreurs de Rosset quand même. Ou de Schopenhauer, ou les 2.. je sais plus.
Notamment les religions existent à cause de la mort. Pas vraiment, non. C’est plutôt la souffrance la cause des religions. On pourrait envisager une vie mortelle sans souffrance, il n’y aurait pas de religions..

Je ne suis pas tout à fait sûr de ça. Les animaux aussi connaissent la souffrance, et pourtant ils n’ont pas de religion. Ce qui différencie l’homme des autres animaux, pour Schopenhauer, c’est que l’homme a la capacité, grâce à la raison, de se rappeler du passé et de se projeter dans le futur, et par conséquent à envisager sa propre mort. Les animaux vivent dans l’instant présent, et ne pensent à la mort que lorsqu’ils ont besoin de la fuir à cause d’un danger immédiat.
Par ailleurs, si nous vivions sans souffrance, et donc de manière infiniment plus heureuse que la nôtre, la mort nous apparaîtrait comme une injustice et une absurdité totales. Car pourquoi faudrait-il que notre existence si heureuse prenne un jour fin ? Il y aurait besoin d’une explication, et donc d’une forme de religion.

Rosset dit aussi : le bouddhisme aspire à la mort réelle. Je sais pas trop ce qu’il entend par là mais s’il nous refourgue l’idée du bouddhisme nihiliste, il fait une grossière erreur.. 

Difficile en effet de savoir ce qu’il a véritablement voulu dire par là. Est-ce un raccourci de langage, ou bien pense-t-il que le bouddhisme désire vraiment l’anéantissement ? S’il a lu Schopenhauer, il doit avoir en tête la fin de la troisième partie du premier tome du Monde comme volonté et comme représentation :

"Désormais il ne reste plus devant nous que le néant. Mais n’oublions pas que ce qui se révolte contre une pareille annihilation, c’est-à-dire notre nature, n’est autre chose que le vouloir-vivre, ce vouloir-vivre que nous sommes nous-mêmes et qui constitue notre univers. – Mais détournons notre regard de notre propre indigence et de l’horizon clos qui nous enferme : considérons ceux qui se sont élevés au-dessus du monde et chez qui la volonté, parvenue à la plus haute conscience d’elle-même, s’est reconnue dans tout ce qui existe pour se nier ensuite elle-même librement : maintenant ils n’attendent plus qu’une chose, c’est de voir la dernière trace de cette volonté s’anéantir avec le corps même qu’elle anime ; alors, au lieu de l’impulsion et de l’évolution sans fin, au lieu du passage éternel du désir à la crainte, de la joie à la douleur, au lieu de l’espérance jamais assouvie, jamais éteinte, qui transforme la vie de l’homme, tant que la volonté l’anime, en un véritable songe, nous apercevons cette paix plus précieuse que tous les biens de la raison, cet océan de quiétude, ce repos profond de l’âme, cette sérénité inébranlable, dont Raphaël et le Corrège ne nous ont montré dans leurs figures que le reflet ; c’est vraiment la bonne nouvelle, dévoilée de la manière la plus complète, la plus certaine ; il n’y a plus que la connaissance, la volonté est évanouie. Nous ressentons une profonde et douloureuse mélancolie lorsque nous comparons cet état au nôtre ; car cette comparaison met en pleine lumière ce qu’il y a dans notre condition de misérable et de désespéré. Cependant cette contemplation est la seule chose qui nous puisse consoler d’une manière durable, une fois que nous avons reconnu que le phénomène de la Volonté, l’univers, n’est essentiellement que douleur irrémédiable et misère infinie, et que d’autre part nous voyons avec la volonté le monde s’évanouir, le néant seul subsister devant nous. Il est donc bon de méditer la vie et les actes des saints, sinon en nous confrontant avec eux, ce qui serait une chance bien hasardeuse, du moins en consultant l’image que l’histoire ou que l’art nous en donne, surtout cette dernière qui est marquée d’un cachet infaillible de vérité ; tel est le meilleur moyen de dissiper la sombre impression que nous produit le néant, ce néant que nous redoutons, comme les enfants ont peur des ténèbres ; cela vaut mieux que de tromper notre terreur, comme les Hindous, avec des mythes et des mots vides de sens, tels que la résorption en Brahma, ou bien le nirvana des bouddhistes. Nous autres, nous allons hardiment jusqu’au bout : pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté, c’est effectivement le néant. Mais, à l’inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la Volonté, c’est notre monde actuel, ce monde si réel avec tous ses soleils et toutes ses voies lactées, qui est le néant." (c’est moi qui souligne)

Il y a donc chez Schopenhauer une positivité du néant, qui interdit de penser que le bouddhisme désire la "mort réelle" dans le sens où ce serait un néant purement négatif. Cela n’est vrai que pour ceux qui ne sont pas encore passé de l’autre côté. Pour les saints, les éveillés, ce néant n’en est pas un. Les bouddhistes et les taoïstes parlent de la plénitude du vide, et quand Eckhart dit que Dieu est un pur néant, il ne dit pas qu’il n’existe pas. 

Sinon Schopenhauer voit le même être partout, raison pour laquelle il appela ses chiens du même nom… Victor Hugo avait exactement la même idée, suffit de lire sa préface aux contemplations où il dit au lecteur : Insensé qui croit que je ne suis pas toi !

Il semblerait que Hugo ait lu Schopenhauer, comme bon nombre d’écrivains (Huysmans en premier lieu, mais aussi Maupassant, Flaubert, ou Céline).

M’enfin quand on connaît bien le bouddhisme je suppose que la lecture de Schopenhauer n’apporte pas de réel plus...

Cela dépend : c’est très enrichissant si on s’intéresse à la philosophie, car Schopenhauer a produit des pages admirables sur la beauté, le sublime, le génie, le rire, la géométrie, l’amour, la logique, la psychologie, la justice, etc. Si on s’intéresse uniquement au spirituel, en revanche, c’est vrai que ça n’apportera rien de plus par rapport à ce qu’on peut trouver aujourd’hui sur le bouddhisme ou l’hindouisme, sinon la connaissance que la philosophie rationnelle, qui passe par Kant et Platon, peut aboutir aux mêmes conclusions que les savoirs traditionnels.


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