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Commentaire de Joe Chip

sur Aude Lancelin : « Pourquoi une telle accélération de la republication des auteurs fascistes ? ». Réponse de l'historienne Annie Lacroix-Riz


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Joe Chip Joe Chip 1er mars 2018 13:36
Elle ment, personne ne soutient l’idée caricaturale que les "collabos sont venus de la gauche, les résistants sont venus de la droite". Il y a effectivement depuis quelques années une correction du récit édulcoré des années d’occupation qui était basé sur un double "mythe" :

1) Le mythe gaulliste de la France qui s’était libérée d’elle-même
2) Le mythe de la résistance "de gauche" et de la collaboration "de droite"

Ces deux récits ont structuré l’historiographie d’après-guerre jusqu’aux années 70 (pour la mythologie gaulliste) et jusqu’aux années 2000 (pour la mythologie de la résistance de gauche). Dans le cas du premier mythe, on est même allé beaucoup plus loin que la simple réévaluation historique en diminuant le rôle joué par le général de Gaulle durant la guerre (et en accréditant au passage certaines thèses pro-pétainistes). 

En ce qui concerne le second mythe, on voit que l’on touche à un point encore plus sensible puisque la prééminence morale et idéologique de la gauche reposait en réalité sur cette idée que la gauche avait "résisté" quand la droite avait sombré dans la collaboration avec l’occupant. Et il y a évidemment une figure dans l’histoire française qui incarne à lui seul ce phagocytage historique : François Mitterrand, socialiste venue de la droite (comprendre l’extrême-droite selon les critères contemporains). 

Epstein n’est pas le seul à avoir pointé du doigt l’implication de la gauche et des pacifistes dans le collaborationnisme et à avoir souligné en parallèle l’implication de "l’extrême-droite" dans la résistance. Il ne le faisait pas d’ailleurs dans une quelconque tentative de réhabilitation de l’extrême-droite française, mais pour faire surgir, ou resurgir, la vérité historique, notamment sur la déportation des Juifs sous la collaboration. 

Ce qui caractérise de fait l’extrême-droite durant cette période, c’est sa philosophie de l’engagement, contrairement à une certaine idée reçue et convenue qui a fait des collabos des exemples de lâcheté et de médiocrité : en réalité, ces gens entraient en résistance ou collaboraient pour les mêmes raisons, par idéologie ou simple philosophie de l’engagement. Raison pour laquelle la plupart d’entre eux n’ont jamais renié leur engagement après la guerre, choisissant d’aller jusqu’au bout de leur posture (ou de leur imposture). 

Là encore, on a écrit un récit édulcoré de la résistance pour les besoins de la cause (CNR) en effaçant les déchirements idéologiques et les affrontements violents qui s’étaient déroulés dans les milieux résistants. Selon nos critères contemporains, la plupart des résistants engagés nous apparaîtraient aujourd’hui comme des nationalistes odieux ou des communistes à la limite du fanatisme.

Ce qu’ont fait Epstein et d’autres historiens, c’est de rappeler que les "modérés" - à l’époque radicaux et socialistes pour l’essentiel - ont souvent opté pour Vichy et la collaboration par rationalité politique. C’est d’ailleurs ce que les pétainistes opposent souvent à la geste gaulienne : le Maréchal a agi de manière responsable et rationnelle, comte-tenu du rapport de force de l’époque.

Et je trouve ça particulièrement malhonnête de mêler les historiens comme Epstein qui ont rétabli une certaine vérité sur l’ambiguïté de la période (oui, c’est comme ça, il n’y avait pas les méchants nationalistes collaborationnistes contre les gentils socialistes internationalistes résistants) aux idéologues qui défendent le concept de "vichysto-résistance" mais cela permet au passage d’apprécier la probité intellectuelle de Mme Lacroix-Ruiz.

Sinon, pour l’histoire de la réédition des auteurs dits "fascistes", c’est assez simple à comprendre : ces auteurs n’étaient pas réputés "fascistes", à quelques exceptions près, durant leurs années d’activité polémique ou littéraire. Les auteurs que l’on abusivement regroupé de manière rétroactive sous l’étiquette de "fascisme français" en accréditant au passage des thèses douteuses sur l’origine supposément française de l’idéologie fasciste (Sternhell, BHL...) et en réalisant un gros fourre-tout (Proudhon, Maurras, Céline, Rebatet) étaient en réalité impliqués dans la vie dans la vie intellectuelle, politique et littéraire de la Troisième République. 

Maurras n’était pas un skinhead aboyant des slogans nazis ni un criminel fasciste mais une figure de la scène politique française. Quant aux auteurs "collaborationnistes", leur trajectoire est complexe, souvent individuelle, entrecroisant l’engagement politique et des postures esthétiques devenues largement inintelligibles à notre époque.

Raison de plus pour laisser les historiens et les spécialistes de la littérature ou du monde de l’édition s’y intéresser et restituer "la" vérité de ces auteurs dans le contexte de l’époque, qu’il n’a jamais été question de confondre avec "la" vérité et les jugements historiques que l’on peut porter a posteriori sur leur engagement.

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