Partie 2
Le contexte national de l’époque a son
importance, notamment avec les prémices de la campagne référendaire pour le
traité de Maastricht, et donne une idée de l’art de la politique pratiquée par
les élites. Intéressons-nous aux faits, rien qu’aux faits, et non aux idées
reçues ou aux rumeurs habilement diffusées par tel ou tel groupe ou parti
politique. Malgré la volonté des
responsables de la communauté juive locale de ne pas ébruiter l’acte sacrilège,
la profanation de
trente-quatre sépultures juives dans le cimetière de Carpentras le 9 mai 1990
est révélée par les médias le lendemain. Quelques heures à peine après la
diffusion de la nouvelle, le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe se rend sur
les lieux, entouré d’un cortège de journalistes. Aucun périmètre de sécurité
n’est déployé pour la recherche d’indices et pièces à conviction permettant
d’identifier les responsables. Au milieu des stèles renversées, le cimetière
sera foulé par plus d’une centaine de personnes. À faire frémir les inspecteurs
de « NCIS : Enquêtes
spéciales ». Assez rapidement, le Front national alors en
pleine ascension (dont deux dirigeants locaux appartiennent à la communauté
juive) est montré du doigt, accusé à demi-mot – et à tort – de l’acte odieux.
Le coupable est livré à la vindicte populaire et les médias s’emparent aussitôt
de l’affaire pour faire monter la tension, trop contents de l’aubaine. Des
manifestations sont organisées sur le territoire pour protester contre le
racisme et l’antisémitisme. Le défilé parisien réunit les ténors de la classe
politique, de l’extrême gauche trotskiste au RPR, et les associations de
défense aux côtés de 100.000 à 200.000 manifestants entre République et
Nation, le parcours sacré pour les combats de la gauche depuis le début du
siècle ! Pour la première fois depuis la Libération, le président de la
République française en personne, François Mitterrand, en tête de cortège. Une
manifestation dans une ambiance bonne enfant, où une effigie du leader du Front national portant
l’inscription « Carpentras, c’est
moi » est brûlée sur la place publique. Le défilé est retransmis en
direct sur six chaînes de télévision et, selon Yves Bertrand, directeur des Renseignements
généraux de 1992 à 2004, son itinéraire avait été modifié à la demande du
président. Les dirigeants communautaires avaient prévu d’organiser la
manifestation autour d’un office religieux à la Grande Synagogue de Paris,
dénouement d’une marche recueillie de la Concorde à la rue de la Victoire, près
de l’Opéra. L’affaire de Carpentras était devenue une affaire d’État. Après
avoir contribué à l’émergence du Front national en instaurant une dose de
proportionnelle aux législatives de 1986 (mais surtout pour sauver la
représentation socialiste à l’Assemblée après le tournant libéral de la rigueur
de 1983, conduisant à la première cohabitation), il s’agissait de couper son élan
avec le « front républicain » décrété par les loges franc-maçonnes en
déroulant le plan qui rendait impossible toute alliance électorale avec la
droite parlementaire (le FN représentait 15 % de l’électorat en 1990).
Plus question pour la droite, dès lors, d’accepter l’équivalent de ce que les socialistes
ont toujours pratiqué avec le Parti communiste et l’extrême gauche : des
désistements mutuels au second tour. Un concentré de bonheur ! Le fait
divers fut une formidable opération de communication et de rassemblement de la
gauche « unie », mais son exploitation immonde s’avéra être une
opération de diabolisation « démocratique » montée de toutes pièces.
Le Front national fut blanchi de toute implication dans l’affaire en 1996, mais
personne ne se soucia véritablement du verdict prononcé six ans après les
faits, excepté les coupables – des skinheads
locaux d’un groupuscule d’extrême-droite (la vraie) appelé le Parti national
français et européen (PNFE) – et les personnes qui avaient porté le chapeau
jusque-là. La propagande avait entre-temps fait son œuvre et l’objectif avait
été atteint. Ce rappel de l’Histoire illustre pour les plus jeunes, les
bien-pensants ayant toujours du mal à se rendre à l’évidence, que le mensonge
d’État, ou, à minima, la manipulation scandaleuse de l’opinion publique n’était
pas l’apanage des USA. Ne parlons pas des militants, qui ont cette propension
bien naturelle à occulter la réalité si la promotion de leurs idées ou les
intérêts du parti sont en jeu. L’esprit critique reste primordial pour faire
des choix politiques éclairés, d’autant plus essentiel que les acteurs politiques actuels sont grosso modo les mêmes et
les ficelles utilisées toujours aussi discrètes. Comme le disait Goebbels :
« Plus c’est gros et plus ça passe ».
Quelques mois à peine après l’affaire de Carpentras était orchestré un autre
mensonge d’État de l’autre côté de l’Atlantique avec le témoignage bouleversant
d’une soi-disant infirmière retransmis en direct sur le réseau national américain,
en réalité la fille de l’ambassadeur du Koweït
à Washington, faisant basculer l’opinion publique en faveur d’une intervention
armée contre Saddam pour répandre la démocratie…