@Sacha
L’opium complotiste
produit une illusion particulièrement satisfaisante pour l’ego : elle
donne l’impression de comprendre le monde sans s’en donner vraiment la peine. Les médias aiment le complotisme. Les
réseaux sociaux, leurs algorithmes, aiment le complotisme. Les démagogues, les
populistes et les imbéciles qui forment le cortège de leurs partisans aiment le
complotisme. Le rapport des forces est
terriblement défavorable à ceux qui leur résistent et ne peuvent se permettre
d’utiliser leurs armes : pas plus qu’on ne combat les ténèbres par
l’obscurité, on ne combat le mensonge
déconcertant par un autre mensonge.
Bien sûr, le complotisme a beaucoup d’ennemis déclarés. Mais
si l’anticomplotisme incantatoire, la main sur le cœur, est à la mode, l’anticomplotisme conséquent et responsable
est aujourd’hui minoritaire. Ce combat sisyphéen a beaucoup de hérauts et
peu de soldats. […]
On n’entrave pas
impunément le ronron de la fabrique à théories du complot. Face au torrent de
calomnies qui assaille ceux qui s’y risquent et au déséquilibre des forces en
présence, comment ne pas se laisser submerger par le sentiment qu’une telle
lutte est vaine et résister à la tentation de jeter l’éponge ? En se rappelant que l’enjeu est trop important
et que le nombre de likes et de dislikes sous une vidéo YouTube ou une
publication Facebook n’est qu’un reflet distordu de la réalité. Rien n’est
perdu. L’immense majorité d’entre nous
est à la fois douée de Raison et capable de bonne foi. Ne nous laissons pas
intimider. Faisons-nous confiance les uns les autres pour discerner le vrai du
faux et prendre conscience du danger
incessamment renouvelé que fait peser au-dessus de nos têtes l’immarcescible
bêtise.
La critique du
complotisme est un sport de combat dans lequel il n’y a presque que des coups à
prendre, le plus souvent en dessous de la ceinture. Intimidations,
insultes, calomnies, rumeurs malveillantes, procès d’intention sont le lot
de ceux qui montrent un peu trop de pugnacité dans cette lutte qui se pratique à un contre mille avec une main attachée
dans le dos. J’en ai pris mon
parti. Faut-il répondre, se justifier ? Non. On n’abdique pas l’honneur d’être une cible. On me demande parfois
comment je tiens avec toutes ces choses écrites, dites à mon sujet. C’est
simple : ma vie ne se résume pas à ma vie en ligne. Quand j’en ai marre,
j’éteins.
Rudy Reichstadt, L’opium
des imbéciles, Grasset, Paris, 2019