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Rokia Traore : Tchamantche

Nouvel album ; sortie le 19 mai 2008

Tout a commencé par une petite musique qui insensiblement s’est mise à trotter dans la tête de Rokia Traoré - un son, une couleur. Soudain, la plus aventureuse des chanteuses et compositrices africaines a pris conscience de son désir profond de donner naissance à un nouveau style de musique qui serait à la fois « plus moderne, tout en restant Africain, quelque chose qui rompe avec le folk pour aller vers plus de blues et de rock ». C’est alors qu’elle a entendu le son si caractéristique d’une vieille guitare électrique Gretsch, instrument mythique adulé par tous les orchestres américains de Rockabilly dans les années 50 et 60 et que des musiciens de la trempe de Chet Atkins ou encore George Harrison ont définitivement fait entrer dans la légende. C’était exactement le son qu’elle cherchait - celui qui allait lui permettre de donner une nouvelle dimension à ses chansons, plus d’éclat et de fraîcheur à son univers.

Alors oui, « Tchamantché » s’inscrit toujours et sans l’ombre d’un doute dans le registre de la musique africaine, mais il ne sonne comme rien de ce qui s’est fait à ce jour et n’a que très peu à voir avec l’univers des grands noms de la musique malienne contemporaine comme Salif Keita ou Oumou Sangare - « des artistes absolument incroyables » reconnaît Rokia, « mais la différence c’est que je ne suis pas une chanteuse de musique traditionnelle. » .Il devrait faire tendre l’oreille aux amateurs de blues (bien que ce ne soit pas « juste » un album de blues) et interpeller les fans de rock contemporain (même si les textes poétiques et plein de mystère de Rokia sont pour la plupart chantés en Bambara, l’un des idiomes principaux du Mali, et que seules deux chansons sont interprétées en Français). « Je ne sais pas moi-même de quel style ça relève » admet la chanteuse - « Mais j’adore cette musique. »

Le résultat est un album plein de surprises. Un seul titre n’est pas de la plume de Rokia : une somptueuse version, totalement revisitée, d’un grand classique de Billie Holiday, « The Man I Love ». Une chanson bouleversante qui commence à la manière d’un blues crépusculaire, permettant à Rokia, dans un style à la fois sombre et intimiste, de démontrer (en Anglais) toute l’étendue de ses qualités vocales, pour s’accélérer progressivement jusqu’à se métamorphoser en une extraordinaire séquence de scat africain. Comme écrin à sa voix cristalline, l’orchestre réunit la guitare Grestch et le n’goni, ce tout petit luth d’Afrique de l’Ouest qui depuis ses débuts fait partie de l’univers sonore de la chanteuse.

Ceci étant, la plupart des chansons de l’album se développent autour de grooves puissants, sensuels et langoureux et Rokia chante avec une maturité nouvelle, dans une grande variété de registre et pleine d’une tranquille assurance. L’environnement musical est souvent minimaliste, mais constamment original, avec par exemple des séquences où une autre guitare de légende, la Silverstone, est confrontée à un tapis de subtiles percussions vocales imaginé par la star du hip hop Sly Johnson, ou d’autres où le n’goni converse avec la harpe occidentale classique.

Pour en arriver là Rokia a consenti à un bouleversement spectaculaire de son univers musical, remplaçant des instruments traditionnels comme le xylophone ou le balafon par une section rythmique occidentalisée et mettant la réalisation de l’album entre les mains d’une équipe européenne (le mixage étant notamment confié à Phil Brown, qui a déjà travaillé avec des artistes comme Talk, Talk, Robert Plant, Robert Palmer ou Bob Marley). Cependant, et Rokia insiste bien sur cette dimension, cet album demeure totalement ancré dans la culture africaine : « parce que le résultat dépend toujours intimement de la personne qui le fabrique et je suis une Africaine. Mais j’appartiens à une nouvelle génération qui porte un regard neuf sur l’Afrique et ses traditions musicales. » Parolière d’exception, Rokia dans ce disque se montre à la hauteur de sa réputation, abordant des thèmes difficiles comme par exemple, dans Tounka, l’immigration clandestine de nombreux Africains vers l’Europe, ou dans Dounia, chanson intimiste et profondément émouvante, le devoir de mémoire des Maliens envers leur passé glorieux. Mais on y trouve également, dans des registres à première vue extrêmement contrastés, une chanson très personnelle, essentiellement rythmique, invitant au courage de l’inaction (Zen), une ballade méditative et emplie de sagesse (Dianfa) ou encore en une explosion rythmique pleine de joie contagieuse, une magnifique évocation des fêtes de rue africaines (Yorodan).

Cet album permettra sans aucun doute à Rokia d’élargir le cercle de ses admirateurs. Il est essentiel de comprendre que cette véritable révolution musicale n’est qu’une nouvelle étape dans une carrière qui n’a jamais cessé d’aller de l’avant en remettant constamment en question ses acquis.

Fille d’un diplomate malien qui au gré de ses nominations aura passé sa vie entre les USA, l’Europe et le Moyen-Orient, Rokia, après des études à Bruxelles, commence la musique dans un groupe de rap, avant de décider d’aller se ressourcer au Mali pour mettre en forme cette musique qu’elle sent confusément en elle - « ni pop, ni jazz, ni classique - quelque chose de très contemporain interprété par des instruments traditionnels. » Une véritable gageure. Vivant de petits boulots (cuisinière dans un restaurant, femme de ménage), elle se met alors en quête de musiciens capables de la soutenir dans son désir de composer des chansons résolument modernes interprétées dans des orchestrations mêlant guitare acoustique, n’goni et balafon. Le succès est finalement au rendez-vous. Mais pas au Mali, en Europe où elle est saluée comme la « Révélation africaine de l’année 1997 » après son passage au festival Musiques Métisses d’Angoulême. Des contrats avec des maisons de disques et des invitations dans les festivals du monde entier pleuvent alors, mais Rokia demeurera fidèle à sa quête intérieure, continuant de développer un univers musical profondément singulier qui depuis ses origines ne cesse d’enchanter le public.

Son dernier album en date, « Bowmboi », paru en 2003, brillait de sa rencontre avec le prestigieux Kronos Quartet. Puis en 2005, Rokia fut invitée à rejoindre un casting de stars réunissant notamment Fontella Bass et Dianne Reeves pour une tournée américaine d’un spectacle consacré à la vie de Billie Holiday, « Billie and Me ». C’est à cette occasion qu’elle chanta pour la première fois « The Man I Love », en duo avec Reeves.

Cette chanson a une nouvelle fois croisé sa route l’an dernier, quand Rokia s’est engagée dans un autre projet en acceptant d’écrire et interpréter une œuvre originale mise en scène par l’insaisissable Peter Sellars dans le cadre du New Crowned Hope Festival de Vienne à l’occasion de la célébration du 250e anniversaire de la naissance de Mozart. Le spectacle fut par la suite donné au Barbican Center de Londres puis à Paris, salle Pleyel, dans le cadre de la saison 07/08 de la Cité de la Musique. Transformant la commande de sa manière inimitable Rokia a composé une œuvre très personnelle dans laquelle Mozart apparaît comme un griot, musicien de père en fils, vivant au 13e siècle, époque mythique où le grand chef Soundiata Keita régnait sur l’Empire Mandingue, situé sur le territoire du Mali actuel. Cette musique convoquait déjà un instrumentarium très vaste et très varié, incluant des instruments traditionnels de l’Afrique de l’Ouest mais également la guitare, la basse, le violon ou la clarinette.

Aujourd’hui enfin, Rokia présente avec ce disque les dernières avancées d’un univers qui a déjà profondément modifié le regard que l’Occident peut porter sur le musique africaine. « J’avais besoin d’un nouveau départ », explique Rokia. « J’avais besoin de me sentir de nouveau comme quelqu’un qui commence sa carrière. J’adore expérimenter, essayer de faire les choses différemment. C’est ce que j’ai fait en intégrant le son de la guitare Gretsch dans mon univers et en développant ma musique à partir de ce qu’elle m’amenait de différent. »

Au final « Tchamantché » s’impose sans conteste comme l’un des événements de l’année.

Robin Denselow The Guardian, BBC Newsnight Londres, mars 2008

Tags : Musique






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