Bégaudeau complotiste ? L’école aurait été conçue pour humilier les classes populaires
"L'école est extrêmement violente aux classes populaires. C'est quand même une instance d'humiliation des classes populaires et je ne suis pas loin de penser qu'elle a aussi été conçue pour ça", déclare François Bégaudeau lors de l'émission "L'école au cœur du projet raciste et réactionnaire ?" sur la chaîne Parole d'Honneur, qui vise à faire entendre la voix des quartiers et de l’immigration post-coloniale.
"L'école est extrêmement violente aux classes populaires. C'est quand même une instance d'humiliation des classes populaires et je ne suis pas loin de penser qu'elle a été conçue pour ça"
François Begaudeau lors de l'émission "L'école au coeur du projet raciste et réactionnaire… pic.twitter.com/ZqDEipZ1im— Paroles d'Honneur (@ParolesDHonneur) February 7, 2024
Commentaire de Hassan, du Cercle Cobalt :
Ce monsieur (guide en développement personnel des gauchistes) offre un exemple de pensée conspirationniste assez répandue à gauche : les "élites" auraient sciemment organisé l'humiliation des classes populaires à travers l'école, afin de légitimer leurs pouvoirs.
La pensée conspirationniste est la somme,
1. du jugement finaliste (téléologique), c'est-à-dire de l'interprétation d'un fait en vue d'une fin (ici, les difficultés scolaires des classes populaires seraient en réalité un moyen de légitimer la domination des élites).
2. de la pensée animiste, c'est-à-dire le fait de conférer une agentivité à une entité abstraite : "les élites", "la classe dirigeante", "les capitalistes", etc.
En résumé, "à qui profite le crime", "comme par hasard".
L'école au cœur du projet raciste et réactionnaire ? avec François Bégaudeau, Dany (streamer), Yazid Arifi (militant décolonial) et Wissam Xelka (streamer)
Dans cette émission, Bégaudeau dit tout le mal qu'il pense de l'école, sorte de prison qui contraint les élèves à rester assis pendant des heures, à faire ce qu'ils ne veulent pas faire, et où l'on n'apprend rien. Lui et ses interlocuteurs sont foncièrement opposés à la discipline en classe, qui bride les désirs des enfants de courir, crier, se toucher... L'essayiste dit aussi son opposition à la laïcité, "cheval de Troie du racisme" depuis 40 ans. Bégaudeau est favorable au port du voile islamique à l'école et s'y opposer, nous dit-il, c'est du racisme, déguisé en islamophobie. D'ailleurs, la plupart des profs, sans se l'avouer, seraient racistes, car insupportés par la bordélisation venant principalement, dit-il, des Arabes... Bégaudeau, lorsqu'il était enseignant, reconnaît avoir lui-même fait ce constat, mais se targue de ne s'être jamais laissé dominer par ces affects racistes.
Un long commentaire critique posté sur YouTube :
Pour l'(ex) enseignant de gauche que je suis, cet échange est doublement douloureux à suivre. Que la droite (PS inclus) et l'extrême droite ne comprennent rien à ce qui passe dans un établissement scolaire, ce n'est pas une surprise. Comme nous ne nous attendons à rien, nous ne sommes pas déçus. Mais s'apercevoir que la pensée de gauche est tout aussi inopérante et hors-sol que celle qu'elle prétend combattre, c'est à désespérer.
L'éducation nationale en est à un stade de déliquescence pas loin de celui de l'hôpital public. (Ce qui ne veut pas dire que qu'elle a jadis été une institution formidable ; mais là on approche un point de rupture) Ça craque de partout, les rectorats en viennent à embaucher des enseignants par job dating, le ministre envisage le recrutement dès la L3 tellement le métier ne fait plus envie. Le nombre d'élèves par classe au collège dépasse allégrement les trente dans bon nombre d'établissements. Parcoursup est une abomination qui angoisse les lycéens comme jamais auparavant et fait peser une immense pression sur les profs. Les entreprises vont maintenant chercher des stagiaires jusqu'en cinquième. Les chefs d'établissement sont de plus en plus caporalisés, les enseignants de plus en plus surveillés, malmenés, humiliés (je pèse mes mots) par leur hiérarchie. Les classes françaises sont parmi les plus bruyantes d'Europe, avec toute la souffrance psychologique que cela engendre à la fois chez les enseignants et les élèves - pour ne pas parler des dégâts occasionnés sur la qualité de l'apprentissage. C'est aussi un des pays où les relations avec les parents sont les plus délétères. Et à ces mêmes parents, déjà peu confiants, déjà hantés par l'idée que leur enfant serait la victime d'une injustice, vous prenez deux heures trente pour les alerter d'être encore plus vigilants parce qu'il y a de fortes chances que leur bout de chou soit victime de racisme. Merci de participer, vraiment.
Prenons seulement le passage qui va de 39:19 à 51:51.
Les questions ou plutôt les affirmations introductives de Wissam sont aussi péremptoires qu'imprécises et finalement aussi fausses qu'injurieuses. Qu'il y ait des ordures dans la profession, c'est une évidence. Que des types profitent de leur position pour déverser leur mépris de classe ou leur racisme ou les deux à la fois sur leur public, j'en suis certain. Mais affirmer que l'institution (que pourtant je déteste par ailleurs) encourage et favorise le dénigrement systématique des classes populaires et des identités extra-européennes, c'est n'avoir aucune mais alors aucune idée de qu'est la formation des enseignants. Au lieu de débiter des généralités aussi peu en prise avec le réel que les brèves de comptoir entendues sur CNews, Wissam devrait plutôt se rendre dans un INSPE (là où on forme les profs). Je l'encourage à être dans le concret et à ouvrir un manuel de français, à assister à des cours d'histoire-géographie, à se rendre à des réunions parents-professeurs. Il verra l'immense marge de manœuvre qu'ont les enseignants pour produire un discours raciste. Par ailleurs, les élèves ne sont pas les victimes que vous imaginez. Ils sont au taquet - et c'est une très bonne chose. Qu'un pauvre type puisse se faire plaisir lorsqu'il n'a qu'un seul maghrébin dans sa classe, je le conçois. Qu'il le fasse encore dans un établissement où les arabes comptent pour la moitié de l'effectif, c'est une forme de suicide.
Wissam accuse les enseignants d'apprendre aux enfant d'immigrés que la manière de parler de leurs parents est catastrophique, que leurs savoirs ne sont pas légitimes, que ce qu'ils racontent c'est n'importe quoi... Encore une fois, il faut n'avoir aucune idée de l'état du rapport de force entre parents et enseignants en 2024 pour imaginer que les enseignants puissent faire passer ce genre de message aux élèves. Du reste, si on débarrasse ces trois propositions de leur tonalité offensante, qu'ont-elles de problématique ? N'en déplaise à Wissam, il y a des manières plus ou moins correctes de parler français et si certains parents le maîtrisent mal, il faut que leurs enfants prennent leur professeur pour exemple. Et dire cela ce n'est désobligeant pour personne. N'en déplaise à Wissam, il y a un savoir légitime et un savoir qui ne l'est pas et à l'école le premier doit prévaloir sur le second. Que dirait-il dans le cas des créationnistes américains ? Accepterait-il qu'un parent remette en cause la théorie de l'évolution devant son enfant et qu'un enseignant considère que cette vérité est aussi valable que celle qu'il enseigne ? Le but de l'école, normalement, c'est d'émanciper l'élève de son milieu. La famille et tout ce qu'elle peut drainer ça en fait partie. De la part de gens qui se revendiquent de Marx, cette défense des valeurs familiales est quand même surprenante.
J'ai plein de choses à dire mais je vais me contenter d'une dernière remarque. Bégaudeau (que j'apprécie énormément par ailleurs) a compté le nombre d'arabes dans sa classe et il s'en repent... Moi aussi j'ai compté le nombre d'arabes et de noirs. Tous mes collègues l'ont fait. Pourquoi ? Parce que - attention prenez votre inspiration - les élèves noirs et arabes sont EN GENERAL plus remuants que les élèves blancs. Et en ce sens, oui, le coup d'oeil au trombinoscope, c'est une façon très approximative de prendre la température. Vous pouvez penser que je suis raciste je n'en ai cure. Je sais ce que j'ai vécu, je sais ce que j'ai ressenti. Une fois que j'ai eu les élèves devant moi, la couleur n'a plus eu d'importance. Les chieurs et les chieuses, noirs, basanés ou blancs comme des culs je les ai tous aimés. Par la force des choses, c'est à eux que j'ai été amené à m'intéresser le plus, c'est à eux que je consacrais le plus de mon temps et le plus de mon énergie.
Nier la réalité scandaleuse que j'ai énoncée plus haut c'est se refuser de l'interroger et in fine c'est la faire prospérer. Une attitude conséquente consisterait à s'en emparer plutôt que de la laisser à l'extrême droite. La question ''pourquoi ces différences comportementales ?'' mérite d'être posée. Elle amène à se pencher sur des faits sociaux concrets : par exemple celui des mères isolées qui travaillent jusqu'à tard le soir pour une misère, celui des violences intra-familiales. Mais tout le temps que vous direz ''Il n'y a aucune différence et prétendre le contraire est raciste !" l'extrême droite continuera de marteler que la réponse est culturelle voire proprement raciale. Et pendant ce temps là, les enfants ''racisés'' continuent d'arriver à l'école avec moins de chance d'y réussir que les enfants blancs. Et vous pouvez continuer d'accuser les enseignants d'être les premiers responsables.
Mais je sais que parmi vous, certains pensent que la maîtrise de soi s'apparente à de l'aliénation et que tout ce qui s'approche de la retenue, de la modération ou de la discipline est un commencement de fascisme, que le goût de l'effort est forcément un affect de droite... Avec des opposants pareils, le capitalisme a de beaux jours devant lui.
Tags : Education Enfance Racisme Immigration Islam Enseignement Laïcité Ecole Conspirationnisme François Bégaudeau
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