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Walid Haïdar 20 juillet 2012 19:51

@sheeldon :


Difficile pour moi de comprendre votre violence à l’égard de la démarche de Rabbhi.

Rabbhi participe à changer son environnement localement, il ne révolutionne pas la France du jour au lendemain, donc il ne doit pas aider des africains qui veulent bénéficier de son savoir/savoir-faire dans certains domaines de l’agriculture ?

C’est bizarre comme raisonnement. Au contraire, puisque Rabbhi a une action de portée limitée (mais intéressante) chez lui, il peut augmenter la portée de son action et de son capital de techniques, en les faisant connaître par delà les frontières.

Le fait que l’Afrique a été et reste colonisée est entendu, mais Rabbhi participe plutôt en l’occurence à préserver des richesses locales africaines (les semences) et cela participe donc à l’indépendance africaine, au contraire de l’action de groupes qui imposent leurs produits pour les vendre et ainsi rendre toujours plus dépendants les africains.

Au sujet des élites Africaines, pour vivre au Sénégal, je pense pouvoir en témoigner dans une certaine mesure. Pour faire court, disons qu’il n’y a pas grand chose. Techniquement, il y a de la qualité (en très petite quantité), mais c’est surtout structurellement que l’Afrique pèche.

Je vais donner un exemple tout bête, certes très particulier, mais qui je crois résume la situation et les perspectives actuelles, c’est à dire en fait, leur totale absurdité, et l’inconscience de cette absurdité.

Vous êtes à la fac de science. Les amphis sont très haut, et tout en haut il y a un renfoncement dans le plafond, bordé de lucarnes qui peuvent êtres ouvertes : idéal pour laisser passer la lumière et, en ouvrant les lucarnes, faire sortir l’air chaud et garder l’amphi frais.
Qu’a-t-on fait de génial dans cette fac de sciences, malgré la présence théorique d’intelligence du terroir et scientifique ?
On a dit : les fenêtres, on ne peut pas les ouvrir pendant la saison des pluies, car l’eau entrerait abondemment, or c’est aux abords de et pendant cette saison des pluies que la chaleur pose le plus de problème, donc on les condamne. Mais alors elles laissent passer la lumière, ce qui fait effet de serre, donc on les peint en blanc. Comme il fait en dépit de cela une chaleur suffocante, on installe la climatisation.

Bilan : 
- comme la lumière n’entre quasiment plus dans l’amphi, on installe des néons, mais pas assez. De toutes façons, les néons sont connus pour les problèmes de fatigue visuelle engendrée. Bref, les amphis sont sombres.
- la clim coûte très cher (l’argent ici, est une ressource rare), et ne fonctionne pas lors des fréquentes coupures de courant
- l’air chaud ressort de l’autre côté dans le couloir principal, qui devient donc une fournaise
- on aère pas pour garder la chaleur, l’air est donc vicié.
...

Alors qu’on aurait pu garder l’ouverture en haut en aménageant un système pour empêcher l’eau de rentrer (de la simple maçonnerie pour créer une pente et un abri le long des lucarnes). Ca aurait coûté 100 fois moins cher (ou 1000 fois, je sais pas), et ça aurait été 100 fois mieux (ou mille fois) à tous les points de vu.

Et je vous assure que personne, ou quasiment personne, ne se rend compte, n’a conscience, de l’absurdité de la chose. Pour eux, avoir la clim, c’est moderne, et ça éclipse tout le reste, la réflexion n’émerge pas vis à vis de la situation : "c’est ainsi", "on est au Sénégal, que veux-tu", mais tout le monde s’en branle. Impossible, malgré des arguments implacables dont vous conviendrez, de mobiliser des gens pour déposer une proposition à l’administration.

Franchement, je suis le dernier des racistes, mais l’ignorance ici est incroyable, et proportionnelle au fatalisme et à la superstition. Bien entendu, rien n’est figé : il y a ceux qui essayent de s’en sortir, ceux qui essayent de réveiller les gens, et les plus nombreux, qui entretiennent une corruption et une ignorance, tout un tas de superstitions, dont ils sont les bénéficiaires.

L’inconscience de l’impasse du toujours plus, l’ignorance des solutions simples, l’absence totale d’imagination d’un futur autre que celui d’emprunter avec 50 ans de retard le chemin de l’occident... c’est affligeant.

Le Sénégal est un pays de larbins et de corrompus. Tout est corrompu ici, de tout en haut, à tout en bas, de la chair à l’esprit (bon, j’y vais un peu fort, mais y a de ça). Maintenant, pour discuter en continu avec ce que vous appelez "les élites" ici, je n’y place aucun espoir. Le salut viendra dans la douleur, par la prise de conscience progressive, et certainement pas des villes. Ce sont des paysans qui feront la révolution s’il en vient une. Les citadins sont à peu près tous des larbins qui s’adonnent à des activités totalement improductives, ou à zoner, qui s’entassent à la périphérie de ce qui devient une mégapole-dépotoire au milieu d’un pays déserté de ses habitants : pendant ce temps le désert nous ronge par l’est, et sa présence est signifiée en continu par la poussière qu’il déporte jusqu’à Dakar, à la pointe ouest.

Les terres arables sont trustées de plus en plus par de grands propriétaires qui produisent de la merde ou pour l’export, et niquent le sol quoi qu’il arrive : tout le monde applaudit.

Ce n’est pas de ses élites que ce pays a quelque chose à attendre, mais de sans-terre qui coloniseront leur propre pays, encore largement désert. Comment un tel mouvement viendrait à émerger ? mystère et boule de gomme...

Ce dimanche je rend visite à un gars qui a transformé sur Gorée un terrain de latérite dure comme de la pierre, en verger/potager luxuriant. C’est ça le progrès véritable, la vraie production de valeur, le vrai salut.

La direction imposée par des élites corrompues ou inconscientes est exactement opposée à une bonne direction.

Je pense que les gens d’occident qui ont touché de près l’impasse du modèle qu’on a imposé au monde, sont bien avisés d’en parler, et d’avertir. Là où je vous rejoindrais sur l’aspect "colonisation", c’est que je pense qu’il faut absolument que l’échange se symétrise, et que les informations, l’expérience, le vécu, passent dans l’autre sens, mais je ne pense pas que la démarche de Rabbhi y fasse particulièrement obstacle.



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