Le point de vue d’un communiste.
Sitôt le cardinal de Buenos Aires devenu le pape François, les
associations d’idées se répandent dans les médias : simple prêtre à
l’époque de la dictature, le successeur de Saint-Pierre s’est-il
compromis avec l’effroyable régime du général Videla ? Manifestement,
les escadrons de la mort ont fait une nouvelle victime, la mémoire !
Car si nous ne savons pas exactement ce que fut l’attitude d’un père
jésuite alors éloigné de Buenos Aires, nous connaissons tout de même
l’histoire de la dictature en Argentine.
Nationaliste, il poursuit et amplifie la répression, mas il cherche à
s’émanciper des Etats-Unis. Le président Jimmy Carter met des
conditions à la vente de céréales à l’URSS. Videla passe outre et scelle
bientôt un accord avec Brejnev. L’Argentine vend son blé à l’URSS, qui
paye mieux que les Américains.
Le régime militaire entend moderniser son armée. Les Etats-Unis ne
son guère pressés de lui vendre des missiles. Videla ne prend pas le
risque de se tourner vers l’URSS. Il n’en pas besoin. La France, alors
présidée par Valéry Giscard d’Estaing, vend à l’Argentine le meilleur de
sa technologie et notamment les missiles « exocet »
Videla obtient sans mal le soutien d’une autre religion mondiale, le
football. La Coupe du Monde doit se dérouler à Buenos Aires, en 1978.
Les appels au boycott ne dérangent ni les instances de la Fifa, ni
celles du football français.
Il se trouve qu’à cette époque, je suis journaliste de la presse
communiste et secrétaire général de Travail et Culture, l’organisme
culturel de la CGT. J’assiste cependant à une réunion organisée par
Félix Guattari sur le boycott de la Coupe du Monde. Au fond, je ne fais
que mon travail, j’accompagne des artistes argentins et chiliens, dont
les spectacles de soutien aux peuples d’Amérique Latine tournent dans
les municipalités communistes depuis le coup d’Etat du général Pinochet
au Chili. Tous ces artistes militent pour le boycott de la Coupe en
Argentine. Sans trop d’illusions, j’évoque la problématique du boycott
dans une réunion du parti. Je suis aussitôt convoqué Place du colonel
Fabien. Jacques Chambaz, membre du bureau politique, responsable des
intellectuels, me fait la leçon.
J’ai tort de mépriser le football, cet élément de la culture
populaire si bien porté par Georges Marchais… Mieux : les meilleurs
éléments de l’équipe de France viennent de Saint-Etienne, ville alors
dirigée par un maire communiste, Joseph Sangueldoce. La dictature, le
fascisme ? la réponse est sans ambiguïté. Le PCF considère que le régime
des militaires argentins évolue positivement. Leurs intérêts nationaux
convergent avec ceux de Cuba, du camp socialiste et des peuples en lutte
contre l’impérialisme américain. Boycotter la Coupe du Monde, ce serait
rendre service aux milieux impérialistes de Washington… L’Humanité
publie les photos des héros français en partance pour Buenos Aires.
Michel Platini, Dominique Rocheteau… Georges Marchais lance une
diatribe contre ceux qui méprisent le sport et… le peule argentin !
Plus tard, le 2 avril 1982, les troupes du général Videla débarquent
aux iles Malouines, les Falklands, qui appartiennent à la Grande
Bretagne. Margaret Thatcher annonce qu’elle répliquera par la force,
sans faiblir. L’Humanité dénonce l’agression britannique et défend
ouvertement le régime du général Videla, expression de la lutte des
peuples contre l’impérialisme anglais et américain… Ministre des
transports du gouvernement Mauroy, Charles Fiterman exprime son
opposition à la politique agressive de Margaret Thatcher. François
Mitterrand le rappelle aussitôt à l’ordre. La France est alliée de la
Grande Bretagne, non de l’Argentine. Que cela leur plaise ou non, les
ministres communistes devront se taire.
Sur les îles, les Britanniques libèrent un couvent, où les
militaires argentins ont séquestré, torturé et violé des religieuses
catholiques.
Le père José Mario Bergoglio n’était pas, alors le chef de l’église
d’Argentine. Il devient en 1998, vingt ans après la Coupe du Monde
retransmise en direct par le service public de la télévision française.
Serait-il plus compromis que les instances du football, les télévisions,
et les équipes qui ont disputé les matches sur un stade situé à
proximité des prisons de la junte ? Plus coupable que les marchands
d’armes français, dont certains étaient, aussi des patrons de presse
émus aux larmes par la grande fête du football ? Plus coupable que
l’URSS offrant des débouchés commerciaux aux régime du général Videla ?
Et si l’élection du pape François était, au contraire, la revanche
des religieuses martyrisées par les militaires et des militants
chrétiens enlevés par les escadrons de la mort ?
En tout état de cause, les anciens complices français de la dictature
de Videla seraient mal venus de chercher querelle à José Mario
Bergoglio !
http://www.marianne.net/Le-pape-et-les-complices-de-la-dictature-argentine_a227411.html