Le bon sens
Figurez-vous une table servie, autour de laquelle se
trouvent tous les représentants de l’humanité, et un individu, Mr « Saint-sans-familles »,
plus fort que les autres, se jetant sur les plats qui sont devant lui, les
prenant pour lui seul et empêchant ses voisins d’y toucher pendant qu’il mange
gloutonnement la part des êtres plus faibles qui l’entourent.
Que penseriez-vous de ce Gargantua ? Que c’est un être
odieux et méprisable, n’est-ce pas ?
N’y a-t-il pas, pour lui, une bien plus grande
satisfaction à vivre avec les autres, sur le pied d’une affectueuse entente,
qui régnerait, si chacun, au banquet de la vie, avait sa part ?
Voici le dilemme : Tout pour moi, y compris la haine,
le mépris et le ridicule ; ou bien : à chacun sa part, y compris, pour Mr « Saint-sans-familles »,
une part de bonheur et d’estime.
C’est à choisir.
Mais il semble à quelques-uns que, quand ils n’auront
plus tout ils n’auront plus rien, tel un gourmand qui a accaparé le plat qui
était au milieu de la table, et ne veut pas le lâcher.
Or, c’est là qu’est son erreur. Les autres sont animés
du sentiment de justice qui lui manque, et c’est en vertu de cette justice que,
lorsque le plat sera remis au milieu de la table on fera des parts équitables
donnant à chacun ce que ses besoins réclament. Et, lui-même, ne fera qu’y
gagner : on l’empêchera de mourir d’indigestion pendant que les autres
mouraient de faim.
Spero…