@yoananda2
Désolé, pas
eu le temps de répondre plus tôt. Je trouve qu’il y’a plusieurs problèmes dans
ta vision du droit.
- Pour commencer, elle dégouline de sentimentalisme. Remontons à la
fonction anthropologique de la loi. Si on accorde des droits aux autres
humains, ce n’est pas parce qu’on a de l’empathie pour eux, un peu comme on
accorde des bonbons à un enfant malade ou quelques pièces à un sans-abri . C’est
avant tout par sécurité. Et c’est pour ça que le premier interdit qui se met en
place dans les communautés humaines, c’est celui du meurtre. On n’interdit pas le
meurtre juste parce qu’on a de l’empathie pour celui qui se ferait tuer mais
parce que sans cet interdit, on peut se faire tuer soi-même. Et cet interdit fondateur
va permettre de faire communauté, il devient possible de vivre collectivement puisqu’on
ne vit plus dans la crainte permanente de se faire tuer, comme sur un champ de
bataille. Et ensuite, là-dessus vont se greffer d’autres interdits, qui vont
différer suivant les lieux et les époques. Et ce sont ces interdits fondateurs
qui vont donner à un système juridique déterminé sa base axiologique propre.
- Ensuite, si on poursuit la logique de l’interdit, on remarque que le
droit n’a pas vocation à obliger les gens à adopter certains comportements mais à leur interdire des comportements qui seront jugés nuisibles ( pour faire
simple). Par exemple, la loi actuelle n’est pas là pour te dire comment te
comporter avec ta femme, par contre elle t’interdit certaines choses, tu ne
peux pas la tuer, exercer des violences physiques sur elle etc. Tu te comportes
comme tu veux avec elle tant que tu ne violes pas ces interdits. Et de manière
générale, tu as le droit de faire tout ce qui n’est pas interdit, le reste c’est
à toi de décider comment vivre ta vie, la loi n’est pas là pour te dire quoi
faire ou quoi penser. Donc lorsque tu dis « L’enjeu c’est aussi de rendre
l’humain un peu moins matérialiste, et un peu plus conscient de ce qu’il
provoque sur terre », là tu obliges à suivre ton idéal. Tu dis que ça
doit rejoindre mes préoccupations chrétiennes, tu as raison, mais ma foi est personnelle,
je n’ai envie de l’imposer à quiconque, et surtout pas à ceux qui croient en d’autres
choses que moi. Alors que la loi, elle, est collective et oblige. Et obliger à
se conformer à son idéal, même si ça part de bons sentiments, ça débouche sur le
totalitarisme. Et on a des exemples historiques, avec les légistes chinois par
exemple, pour eux la véritable essence de la loi était d’être un souhait, un
moyen de guider une nation et son peuple vers un idéal. On retrouve la même
chose avec Sparte. Et se met rapidement en place des dispositifs institutionnels
qui contrôlent techniquement les membres de la communauté, qui s’emparent et
calculent leur vie publique et privée (où donc cette distinction n’a donc plus
de sens) par crainte de dérapages comportementaux vis-à-vis de cet idéal.
Sortir
de ce schéma totalitaire n’empêche pas la mise en place de réglementations pour
protéger l’environnement ou pour considérer la souffrance animale mais par la
logique de l’interdit précisément.
- Dernière chose. Tu as la conviction que notre société est structurée par
le christianisme et tu en déduis que le droit doit l’être également. Seulement
notre droit est d’origine romaine. Et je parle bien de la Rome païenne. Les légistes
médiévaux n’ont fait que le redécouvrir et l’adapter à leur époque. Tout comme
nous le faisons aujourd’hui. Il n’est donc pas pertinent de rechercher dans la
théologie du péché les fondements de nos systèmes juridiques actuels.