Alexandre Dumas ou l’esprit français
Alexandre Dumas, considéré avec Victor Hugo et Chateaubriand comme l'un des plus grands écrivains français de tous les temps est à l'honneur en ce moment. Et tant mieux. Avec plus de 8 millions d'entrées au box-office depuis 11 semaines, Le Comte de Monte-Cristo issu du célébrissime roman de Dumas cartonne dans les salles de cinéma. Dumas, cet écrivain hors pair qui fut en quelque sorte l'inventeur du roman historique, méritait bien un (petit) article ô combien modeste en regard de son génie littéraire. Le créateur des trois mousquetaires, de vingt ans après, du Vicomte de Bragelonne, de la Reine Margot, du Chevalier de Maison-Rouge, du dictionnaire amoureux, du Chevalier de Sainte Hermine (que j'ai découvert tout récemment et qui fut apparemment son dernier roman inachevé) et de tant d'autres incarne par sa plume, son insatiable joie de vivre, son goût de l'aventure, des femmes et des plaisirs de la table ce si magnifique "esprit français" que notre triste époque tend à faire disparaître. Alors lisons ou relisons Dumas. Voyageons avec lui au-travers de ses romans et de ses héros, qui sont par la force des choses aussi devenus les nôtres et faisons également connaissance avec quelques grandes figures de l'Histoire de France que l'auteur nous fait découvrir au détour d'aventures de capes et d'épées ou d'autres épopées tout aussi incroyables. Le lecteur rencontrera pêle mêle le Cardinal de Richelieu (le "grand Cardinal"), Louis XIII, Mazarin, Louis XIV, Fouquet, Colbert, Napoléon, Fouché ou même l'amiral Neslon à Trafalgar.
Le Comte de Monte-Cristo
C'est l'histoire d'une vengeance et bien plus encore d'un véritable questionnement à propos de la psychologie humaine. Edmond Dantès, le héros du roman est en quelque sorte une figure christique qui descend au fond de l'enfer pour en ressusciter plus puissant que jamais. Sauf qu' à la différence du Christ, lui ne pardonne pas à ses bourreaux. Devenu richissime après la découverte d'un fabuleux trésor, Dantès revient dans le monde pour accomplir sa vengeance et, telle la 'main de Dieu', juger puis anéantir lentement et méticuleusement les coupables. On peut d'ailleurs saluer la performance de Pierre Niney à l'écran dans ce rôle car il réussit à s'approprier le personnage dans sa froideur implacable et son sentiment de toute-puissance, sans oublier les autres personnages essentiels du roman qu'interprètent Laurent Lafitte (toujours excellent), Patrick Mille, Bastien Bouillon ou Anaïs Demoustier. Le roman tout comme le film nous posent de véritables questions quant à la la nécessité de la vengeance et, pourrait-on dire, il y répond en partie dans la mesure où Dantès en ressort tout aussi malheureux (plus ?) après s'être vengé qu'il ne l'était au départ. Mais au final il n'y a pas de réponses toutes faites à cette terrible interrogation, c'est à chacun d'y répondre personnellement.
Les trois mousquetaires ou l'héroïsme individuel face à la raison d'état
Encore plus célèbre que le Comte de Monte-Cristo, comment parler de Dumas sans évoquer les trois mousquetaires dont la dernière adaptation cinématographique en 2 volets remonte à l'an dernier et fut également un beau succès.
C'est l'histoire d'une amitié entre quatre personnages qui incarnent magnifiquement cet esprit français évoqué dans le titre de cet article. Quatre personnages pour qui l'honneur chevaleresque l'emporte sur tout le reste et qui font face à l'autorité implacable de l'état en cette période grandiose de l'Histoire de France. Les trois mousquetaires, c'est une dialectique permanente entre l'héroïsme individuel en ce qu'il a de plus élevé et la grandeur d'un pays que représentait alors l'un des plus grands Ministres d'état français de tous les temps en la personne du Cardinal de Richelieu. Présenté comme machiavélique, redoutablement intelligent mais également soucieux de servir son pays en toute circonstance, Richelieu livre une guerre sans merci à nos quatre héros tout en leur vouant un véritable respect, respect d'ailleurs qui fut tout aussi réciproque de la part de nos mouquetaires envers le Cardinal. Alexandre Dumas fait ainsi ressortir la grandeur de la France en ce XVII è siècle et nous la fait aimer. Quant à nos mousquetaires, ils sont dans notre coeur non seulement grâce à leurs exploits mais aussi, et surtout, parce qu'ils sont une partie de nous-mêmes au-travers de leur personnalité si profondément française. Commençons par D'artagnan, qui est l'archétype de la jeunesse débordante d'aventures, de panache et de séduction. Il est le jeunot de la bande, celui qui cimente le quatuor et qui entraîne ses camarades par sa fougue mais qui manque encore d'expérience et qui déborde de naïveté dans les relations humaines. Continuons par Athos ou le comte de la Fère (son véritable patronyme) qui incarne la rigueur implacable et dont la froideur et l'intransigeance confinent à une certaine psychorigidité, voire même une certaine brutalité mais qui cache en réalité une profonde blessure à l'âme. Le lecteur sursautera certainement en lisant cette comparaison, certes audacieuse, mais je serais tenté de dire que le personnage d'Athos est en quelque sorte le "Alain Delon" de ce roman : on ne transige pas avec les principes d'honneur. Poursuivons avec Aramis, le séducteur impénitent et qui, paradoxe tout 'Dumasien', semble hésiter en permanence tout le long du roman entre son attirance pour le beau sexe et...la voie ecclésiastique. Par la suite, et tout particulièrement dans le Vicomte de Bragelonne, on découvrira la face beaucoup plus sombre d'Aramis devenu le général des jésuites et dont le démentiel projet consistera à vouloir substituer le roi Louis XIV avec le mystérieux prisonnier appelé le "masque de fer" (Dumas ayant choisi de traiter par le roman l'énigme historique que constituait alors ce prisonnier). Enfin terminons par Porthos, ce personnage à la force herculéenne et à l'appétit gargantuesque. Il est le personnage le moins torturé des quatre, le bon vivant de la bande et sans aucun doute le plus sympathique. Pour résumer son état d'esprit en une phrase, il suffit de citer sa réponse lorsque ses deux amis Athos et Aramis lui demandent quelle est la raison de son duel avec D'artagnan lors de leur première rencontre et lui de répondre : "ma foi, je me bats parce que je me bats.". On ne saurait mieux dire.
Alexandre Dumas, une épopée romanesque
En résumé, Dumas, c'est l'amour de la vie et l'amour de la France et ce malgré certains de ses détracteurs qui le détestaient d'abord et avant tout à cause de ses origines "noires". (sa grand-mère était une esclave noire de Saint Dominique). Son amour de la France et de sa grandeur lui venait certainement pour grande partie de son père qui était général dans l'armée de Bonaparte et qu'il n'a pratiquement pas connu. Contrairement à notre époque où la haine de soi et l'antiracisme en sont les principaux dogmes, Dumas vivait lui à une période où le vrai racisme était de rigueur et où certains ne lui pardonnaient pas ses origines, et de ce fait, son talent. Que l'on songe par exemple à la "polémique Maquet" du nom de cet auteur qui fut le collaborateur de Dumas et qui servit de prétexte à un pamphlet contre sa personne dans lequel on l'a accusé de ne pas avoir écrit une ligne de sa main et d'avoir utilisé Maquet pour rédiger intégralement ses plus célèbres romans. Cette cabale fut orchestrée par un certain Eugène de Mirecourt dont le pamphlet Fabrique de romans, Maison Alexandre Dumas et compagnie et dans lequel on peut lire notamment ceci : "Le physique de M Dumas est assez connu...nez africain ; tête crépue, visage bronzé. Son origine est écrite d'un bout à l'autre de sa personne, mais elle se révèle beaucoup plus encore dans son caractère. Grattez l'écorce de M Dumas et vous trouverez le sauvage.". Or les historiens spécialistes du XIXè siècle savent bien que la collaboration avec plusieurs auteurs était une pratique courante et que Dumas ne pouvait faire autrement que de faire appel à des collaborateurs au vu de son oeuvre immense, d'autant que ses romans paraîssaient à l'époque sous forme de feuilletons journalistiques à un rythme hebdomadaire. (Notons également pour l'anecdote que ce pamphlet est aussi à l'origine du mot "nègre" en littérature, désignant celui qui écrit dans l'ombre de l'auteur "officiel").
Bref, Dumas fut victime de racisme mais il a su combattre ses détracteurs, non seulement grâce à son talent mais aussi grâce à l'arme la plus redoutable qui soit, surtout en France : le rire ! Ainsi, répondant à une question d'un de ses détracteurs qui lui demandait : "au fait cher maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?" et Dumas de répondre avec l'ironie qui le caractérisait : "Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez monsieur : ma famille commence où la vôtre finit".
Que vive encore longtemps la belle littérature française : un pour tous et tous pour Dumas !
Tags : Livres - Littérature
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