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Du patriotisme en sport à l’esprit sportif (2/2)



J’ai fait allusion, dans la première partie de cet article, à la notion de déracinement. Logiquement cultivé par les idéologues mondialistes et les capitalistes allergiques aux frontières afin de pouvoir étendre infiniment leurs parts de marché, le déracinement en sport existe entre autres pour les raisons suivantes :
un pays pauvre ayant de bonnes individualités sportives les verra partir de son championnat national pour continuer leur carrière à l’étranger. Phénomène extrêmement répandu depuis longtemps ; plus précisément depuis vingt ans, à cause de l’Arrêt Bosman engendrant en 1995 la suppression d’un quota de l’Union des Associations Européennes de Football (U.E.F.A.) qui, jusque là, limitait à trois le nombre de joueurs étrangers, ressortissants en plus de l’Union européenne (U.E.) dans un club. Ce type de suppression va s’étendre aux règlements de tous les sports, en s’appuyant sur l’article 48 du Traité de Rome au sujet de la libre circulation des travailleurs dans l’espace constitué des pays membres de l’U.E. Et si, plutôt qu’à des cercles fermés de professionnels presque exclusivement soumis à des intérêts économiques, c’était à des assemblées populaires de décider de ce genre de choses ? Après tout, le spectateur pourrait ne pas être qu’un simple consommateur mais également un cogestionnaire. En tout cas, il peut d’ores et déjà cesser d’être un spectateur. Parce que, selon Michéa (toujours dans Le plus beau but était une passe), ces précédents professionnels, avec leur vision bien à eux de la rentabilité, cherchent à implanter dans la gestion du football – même si, bien sûr, il existe encore des individualités formidables – « l’idée que seul le résultat compte ». Ainsi, les moyens de gagner, véhiculés dans les clubs, sont, hormis l’argent, « le travail, l’effort pénible, la souffrance et éventuellement la ruse et la brutalité ». Comment, dans tout cela, le simple plaisir de jouer peut retrouver sa place ? « On admettait naguère qu’en pratiquant un jeu de qualité on pouvait perdre un match. Mais on considérait ce type d’évènement comme un accident, et la seule recette intelligente pour obtenir régulièrement de bons résultats était la pratique du meilleur jeu possible, c’est-à-dire d’un jeu où l’esprit de création, l’intelligence tactique, la maîtrise technique, le plaisir de jouer étaient des éléments essentiels. » (Jean-Claude Michéa, Le plus beau but était une passe) ;
plus récemment en rugby, sport que j’aime beaucoup, un joueur évoluant au moins trois ans dans le championnat d’un pays étranger est autorisé à jouer pour l’équipe nationale de ce pays, sans recours à la naturalisation. La sélection nationale devient donc une sélection des meilleurs joueurs évoluant dans le championnat national. Il n’est certainement pas question de rejeter le joueur étranger parce qu’il est étranger. Par profond respect des autres pays que le nôtre, nous pouvons regretter que d’excellents joueurs tonguiens, samoans ou fidjiens jouent pour l’équipe de France et non pas sous les couleurs de leur pays. Effectivement, si je souhaite une belle équipe de France, je veux également que chaque autre pays puisse aligner sa meilleure équipe nationale et, pour cela, se doter de meilleurs centres de formation (je pense notamment aux pays les plus défavorisés et pourtant amoureux du rugby). Nous pouvons logiquement considérer qu’un Fidjien a plus de chances de décrocher un trophée international sous le maillot anglais que sous celui de sa nation d’origine. Mais, dans ce cas-là, qu’un pays extraie tous les meilleurs joueurs des autres pays du monde ! Osons ensuite faire passer cette politique égoïste pour de l’ouverture d’esprit !

 

Dans les deux cas, l’argent reste le vrai maître du jeu. Je l’ai déjà dit dans la première partie, le Qatar organise dans quelques années la coupe du monde de football. Cette compétition s’est toujours déroulée en été. Seulement voilà, les Qataris sont parvenus, pour cette coupe, à imposer l’idée d’un calendrier hivernal, débouchant sur un bouleversement organisationnel à propos notamment des championnats européens. Avec l’argent, nous faisons ce que nous voulons.
Je reste avec l’exemple de ce pays qui, au handball par exemple, se paie des naturalisations de joueurs afin de constituer une meilleure équipe nationale. Après tout, si c’est seulement la naturalisation qui pose problème… En définitive, au dernier championnat du monde de handball – organisé par le Qatar lui-même –, l’équipe en question était composée de trois joueurs autochtones uniquement. Voyons, c’est logique : une naturalisation, cela doit se négocier purement financièrement. Aux oubliettes, les questions d’éthique ou d’insertion à une communauté culturelle. Le principe même de la nationalité devient totalement vide de sens. Mondialisme toujours...
D’ailleurs, ne t’attache d’aucune manière à ce précédent principe. Range vite ton drapeau tricolore une fois la coupe du Monde, ou autre compétition internationale, terminée. Au-delà de la fin de celle-ci, tu deviens suspect, à avoir laissé ton drapeau flotter sur le balcon. Ne le sors surtout pas dans des occasions relatives à l’histoire de ton pays, cela fait ringard ou carrément réactionnaire. Comment oses-tu être attaché à une mémoire collective, qui plus est nationale ? Ne chante la Marseillaise qu’en début de rencontre internationale. Oui, tu as tout-à-fait le droit – drapeaux, cocardes et maillots à l’appui – de supporter ton équipe nationale qui n’en est plus vraiment une pour les raisons juridiques abordées précédemment.
Bien évidemment, il ne s’agit pas :
– pour former une équipe dite nationale, de distinguer les joueurs naturalisés des joueurs nés français mais simplement ceux qui ont la nationalité en question de ceux qui ne l’ont pas ;

– d’être attaché à un simple bout de papier – le certificat de nationalité – mais aux droits qu’il implique, si nous le détenons, et qui sont censés protéger juridiquement chaque être humain dans son pays ;
Mais non, le prêt-à-penser mondialiste nous invite avec insistance à être heureux de constater que les meilleurs joueurs de notre championnat national sont étrangers, que les meilleurs joueurs nationaux sont à l’étranger (à l’opposé, il n’est pas question, bien sûr, d’avoir des préjugés sur la moralité des premiers sous prétexte qu’ils sont étrangers). Aussi, que les joueurs issus du centre de formation de votre club préféré – celui de votre ville natale, par exemple – partent tous, autour de leurs vingt ans, en stage de formation à l’étranger – car les infrastructures y sont meilleures –, au risque de ne pas les voir revenir jouer « à la maison ».

 

Personnellement, dans ma jeunesse, j’ai beaucoup aimé le football. Les albums autocollants, les premiers multiplexes diffusés sur Canal Plus, l’émission Téléfoot sur TF1, la finale de la Ligue des champions en 1993 remportée par l’Olympique de Marseille, le duo d’attaquants Papin-Cantona, et bien sûr l’épopée française en 1998-2000. Que de beaux souvenirs ! Puis, peu à peu, je me suis lassé à cause du pouvoir omniprésent de l’argent et des logiques publicitaires, entraînant un nombre croissant de rencontres et de compétitions au fil des années, des périodes de trêve de plus en plus courtes, des clubs embauchant beaucoup de joueurs afin de pouvoir gérer le nombre croissant, lui aussi, de blessures et aligner bon gré mal gré onze joueurs en fin de semaine pour le championnat national même si nous ne les reconnaissons pas de la semaine d’avant.
Certes, il n’y a pas plus belle nostalgie que celle qui concerne une enfance relativement douce et tendre. Ainsi, nous n’aimons pas les mêmes choses de la même manière en grandissant. Quand nous sommes des mômes, les processus d’identification ont leur particularité. Je pense, cependant, que mon détachement vis-à-vis du football actuel – même s’il m’a plu, c’est vrai, de suivre la dernière coupe du monde – ne s’explique pas simplement par le fait que je ne suis plus un enfant. Les montants des transferts – alors qu’adolescent j’achetais, durant l’été, le magazine France Football pour suivre le marché en question –, je les ai jugés, à un moment donné, indécents puis si absurdes que j’ai trouvé que le monde du football professionnel devenait un monde trop déconnecté des vertus élémentaires des gens ordinaires. Nous pouvons toutefois considérer que le rêve a un prix. Je ne le pense pas. La nuit au moins, j’espère que vous rêvez encore. On dira ensuite qu’on ne rêve pas tous de la même chose. Manifestement, je rêve « idiotement » de ciel bleu, de verdure et d’eau…
Je crains que le rugby – sur le plan de la modernité capitalistique et de l’abondance publicitaire – suive le chemin du football… L’individualisme libéral touchera peut-être moins le premier que le second puisque le premier sait encore insister – d’où notamment l’ambiance généralement bon enfant entre les supporteurs des équipes qui s’affrontent – sur sa spécificité éthique aux origines aristocratiques.

 

Tags : Société Sport Géopolitique




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4 réactions à cet article    


  • 2 votes
    Joe Chip Joe Chip 21 septembre 2015 14:51

    Ah, le France-Nouvelle Zélande de 1999, la démonstration stellaire de l’équipe de France en deuxième mi-temps, sûrement le plus haut niveau de jeu jamais vu en Rugby, tout y était : solidarité collective, virtuosité individuelle, créativité, audace, engagement, intelligence du jeu en mouvement... et pourtant en face il y avait une des meilleures équipes néo-zélandaise, avec Jonah Lomuh qui était à son zénith.

    L’esprit a bien changé depuis... les supporters anglais ridiculisent et sifflent le haka et les Français ont renoncé à leur jeu si particulier, noyé dans les eaux froides du calcul et de la culture de l’efficacité...


    • vote
      Anthony Michel Anthony Michel 21 septembre 2015 15:25

      @Joe Chip

      J’ai lu, dans un commentaire Youtube, que l’entraîneur NZ avait fait une erreur fatale en faisant jouer Jeff Wilson arrière et que ceci a valu les deux derniers essais français ; Wilson avait beaucoup plus l’habitude de jouer ailier. C’est un avis qui peut sembler intéressant.


    • vote
      Lisa Sion Lisa Sion 21 septembre 2015 18:23

      Bonjour AM,
      cet article est d’une haute volée qui entre parfaitement dans le cadre et finit au fond du filet de crabes. Je m’impatiente de voir les matchs Russie / Usa, Yémen / Saoud, Syrie / Israël...et surtout Somalie / Libye et Corée du nord / Cuba...
      " Si le sport international avait mis fin à une guerre ça se saurait "


      • 1 vote
        lupus lupus 21 septembre 2015 20:47

        Merci pour ce grand moment de rugby français.
        Le choc des extrêmes Lomu vs bernat salles.
         "Je crains que le rugby – sur le plan de la modernité capitalistique et de l’abondance publicitaire – suive le chemin du football…" c’est tout vu il suffit d’aller au stade jour de match (top 14), c’est plus des tribunes avec : la pelouse, les populaires, la tribune officielle.
        C’est devenu un haut lieu de discrimination sociale, loges pour riches, loges pour ultras riches (champagne et tutticuanti), espace VIP ,repas avec sponsor, tarif prohibitif des tribunes populaires qui correspond aux ailes et derrière les poteaux, 2.2€ le 1/4 de bière.......
        Une remarque : depuis qu’il y a du pognon au rugby le public féminin est de plus en plus dense smiley 



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