Bob Woodward : "Pas de conspiration le 11-Septembre"
Quand l'une des plus grandes légendes du journalisme d'investigation se mue en robinet d'eau tiède sur France Inter...
Bob Woodward est l’un des deux journalistes du Washington Post à l’origine de l’affaire du Watergate. Invité le 7 avril 2011 sur France Inter, il a livré son analyse sur certains sujets brûlants... mais pour mieux éteindre le feu qui couve en quelque sorte.
Certes, il nous affirme que "très souvent les gouvernements mentent, ne disent pas la vérité", et que pour cette raison "il faut être très sceptique" ; certes il affirme que, dans le conflit en Libye, nous connaîtrons bien plus tard les réelles motivations de l’intervention, et, certes, il fait son mea culpa sur l’affaire des armes de destruction massives en Irak, sur laquelle il dit ne pas avoir assez enquêté à l’époque et s’être laissé berner comme tout le monde ; mais c’est pour finalement nous dire que :
1° Selon lui, les Etats-Unis sont entrés en guerre en Irak, parce que George W. Bush voulait libérer le peuple irakien, et non pas pour des motifs financiers, même si certaines grandes entreprises - comme celles de Dick Cheney - ont fait beaucoup de profits. Bref, c’est le coeur sur la main que Bush a lancé sa croisade humanitaire...
On rappellera à Woodward que la guerre en Irak était planifiée dès janvier 2001 par Dick Cheney pour des motifs pétroliers (voir les enquêtes d’Eric Laurent et la BBC). On lui rappellera aussi que, selon l’ancien président Jimmy Carter, le but de la guerre était de construire une base militaire permanente dans le Golfe. On lui rappellera encore que le PNAC, dans son rapport Reconstruire les défenses de l’Amérique, en septembre 2000, plaidait pour une présence américaine permanente dans le Golfe, quel que soit le régime en place en Irak : « Les Etats-Unis ont cherché depuis des décennies à jouer un rôle plus permanent dans la sécurité régionale du Golfe. Alors que le conflit irrésolu avec l’Irak fournit la justification immédiate, le besoin d’une forte présence des forces américaines dans le Golfe dépasse le problème du régime de Saddam Hussein (voir page 14). On lui rappellera enfin que, dès le 12 septembre 2001, Bush mettait la pression sur Richard Clarke pour qu’il établisse un lien entre les attentats et l’Irak, et que le néoconservateur Richard Perle pressait George Tenet (CIA) d’attaquer l’Irak. L’empressement d’aller libérer les peuples opprimés sans doute...
2° WikiLeaks ne fournit que des informations peu sensibles et ne restera pas dans l’Histoire.
Que les informations divulguées jusqu’ici soient importantes ou pas, affirmer que WikiLeaks ne restera pas dans l’Histoire paraît quelque peu péremptoire...
3° Le 11-Septembre, il n’y a pas eu de conspiration américaine, l’attaque était simplement extraordinairement réussie (7e min de la 2e vidéo). Woodward dit avoir enquêté durant 8 ans sur ce sujet. Le conspirationnisme naît selon lui du fait qu’Internet permet à n’importe qui de dire n’importe quoi. Ce sentiment aurait cessé de progresser aux Etats-Unis, grâce au travail de journalistes indépendants comme lui ou de commissions d’enquête. Le journaliste de France Inter Thomas Legrand nous apprend que ce sentiment de défiance vis-à-vis des explications officielles serait encore plus minoritaire en France.
On remarquera d’abord simplement qu’affirmer que les Etats-Unis ont été attaqués n’implique pas qu’il n’y ait pas eu manipulation des autorités (dans l’hypothèse, par exemple, du "laisser faire" suggérée par l’ancien ministre de l’Environnement de Tony Blair, Michael Meacher, dans ce long entretien de 2005 qui vaut le détour, et dont la plupart n’ont vu jusqu’à présent que des extraits). Il faut sortir de l’opposition réductrice, stérile, et savamment entretenue, entre les deux thèses exclusives (Al Qaïda coupable ou la conspiration américaine).
Ensuite, affirmer qu’Internet est la cause du doute, certes, mais non pas parce qu’il permet à tout le monde de dire n’importe quoi, mais plutôt parce qu’il permet de retrouver les informations discordantes parues dans tous les médias, et c’est précisément de cette dissonance avec le discours officiel que naît le doute. On fera remarquer à Woodward que quelques-uns de ses plus prestigieux confrères se posent de sérieuses questions : Robert Fisk, Eric Margolis, John Pilger... ou même le journaliste de Fox News Andrew Napolitano.
Quant à savoir ce que pense le peuple... encore faudrait-il le lui demander. Selon une enquête de l’institut Zogby du 17 mai 2006, 45 % des Américains estimaient qu’il fallait réenquêter sur le 11-Septembre, et 55 % jugeaient négativement le traitement des attentats par les médias. D’après un autre sondage de l’institut Zogby du 6 septembre 2007, 51 % d’entre eux voulaient une enquête du Congrès sur les actes du président Bush et de son vice-président Cheney avant, pendant et après les attentats. Un autre sondage avait été réalisé par le New York Times et CBS News, du 5 au 8 octobre 2006, sur la bonne foi de l’administration Bush lorsqu’elle affirmait qu’elle ne s’attendait pas aux attaques du 11-Septembre. Résultats : 53 % des Américains pensaient qu’elle cachait quelque chose, 28 % qu’elle mentait (+ 20 % par rapport à un précédent sondage de mai 2002) ; seuls 16 % pensaient qu’elle disait la vérité. D’autres sondages plus récents ont-ils inversé cette tendance ? Mais peut-être Thomas Legrand tire-t-il ses informations de son patron Philippe Val, qui parlait en février 2009 de "10 % de sales cons"...
Pour finir, on rappellera à France Inter la version légèrement amendée du 11-Septembre qui a été défendue en mai 2009 dans l’émission Rendez-vous avec X sur cette même station. Deux accusations très graves avaient été lancées : d’abord, des membres de la famille royale saoudienne et des services secrets pakistanais, dont son chef de l’époque (le général Mahmood Ahmed), auraient participé à l’organisation des attentats. Ensuite, l’administration Bush aurait couvert ces responsables par intérêt : pour ne pas dévier de son agenda guerrier, et pouvoir attaquer l’Irak et l’Afghanistan avec le soutien des alliés saoudiens et pakistanais. Elle aurait aussi décidé de laisser courir Ben Laden, l’homme que Bush avait pourtant juré de ramener aux Américains "mort ou vif". Dommage qu’on n’ait pas interrogé Woodward là-dessus...
4° Les Etats-Unis sont selon lui une démocratie, et non pas une oligarchie.
Sur ce dernier point, on renverra notamment au livre d’Alain Cotta, Le Règne des oligarchies, qui ne partage absolument pas ce point de vue...
Tags : Etats-Unis Information et Médias Irak Journalisme Désinformation 11 septembre 2001 Wikileaks
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