CIA, drones et Pakistan
Général Benoît Royal : "Ce n’est pas l’armée qui utilise les drones au Pakistan, c’est la CIA"
Interview du Général Benoît Royal sur France Culture le 28 août 2012, extrait de l’émission "Sur les docks" par Irène Omélianenko.
Thème de l’émission : "Frontière humaine, le robot dans l’armée". Un documentaire de Charlotte Mareau et Christine Robert.
Transcription de l’interview :
Général Benoît Royal : « Il y a aujourd’hui des drones d’attaque, qui sont majoritairement utilisés par les Etats-Unis, qui sont en fait les prémices des robots tueurs : drones Predator qui sont pilotés … On dit que les drones, ils ont des pilotes mais ces pilotes se trouvent déjà eux-mêmes à des milliers de kilomètres de l’endroit où ils effectuent leurs missions.
Donc vous avez des drones qui œuvrent au Pakistan, qui identifient des cibles humaines, qui sont guidés par des hommes qui sont dans des bureaux bien confortablement installés aux Etats-Unis, et qui prennent des décisions de vie et de mort, étant eux-mêmes dans un environnement complètement protégé. Et à partir de là, on fait quoi comme constat ?
On fait comme constat - et ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les études statistiques - c’est qu’actuellement ces drones tueurs qui tuent des êtres humains qui sont identifiés comme étant potentiellement des terroristes - mais en a-t-on la preuve ? Qui en a la preuve ? - Et ils tuent aujourd’hui un tiers de civils par erreur. C’est-à-dire qu’en 2010, on a estimé qu’il y a eu mille victimes, mille personnes qui avaient été tuées par ces drones d’attaque et dans ces mille personnes, il y en avait un tiers qui était des victimes civiles, des dommages collatéraux. Donc rien qu’aujourd’hui, on a autour de ces drones d’attaque des questions fondamentales auxquelles on n’a pas véritablement répondu.
Ce que je veux dire n’est pas nécessairement politiquement correct on va dire, mais je suis assez horrifié du code du soldat du marine américain. Le marine américain, il a un code du soldat extrêmement guerrier, il s’identifie à sa propre arme : tu es ton fusil, tu es là pour tuer, pour défendre ton pays. Donc, il y a des choses très fortes et très belles dedans mais il n’y a aucune allusion à l’humanité et aucune allusion par exemple à l’adversaire »
Sur les docks : « Il y a une dépréciation de l’adversaire … »
Général Benoît Royal : « Complètement ! Or on sait qu’à partir du moment où l’adversaire est déshumanisé, il n’est plus humain, donc on peut y aller, on peut tirer dans le tas ! Sur un théâtre d’opérations comme l’Afghanistan, on a des règles d’engagement extrêmement strictes pour les soldats qui combattent, pour justement qu’il n’y ait pas de dommages collatéraux. On leur dit : vous ne pouvez tuer, vous ne pouvez agresser ou blesser un afghan que s’il est spécifiquement identifié comme étant combattant, c’est-à-dire qu’il porte une arme. Un soldat qui ne respecte pas cette règle-là et qui tire sur un afghan qui n’a pas d’arme, il est susceptible d’être sanctionné, voire éventuellement traduit en justice parce qu’il n’aura pas respecté ces règles d’engagement, il aura tiré sur un civil.
Or aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe au Pakistan ? C’est que ces drones tueurs tuent des terroristes potentiels qui n’ont pas d’arme, il y a déjà un hiatus qui est important. En plus de ça, sur le plan juridique, un soldat qui est aujourd’hui déployé sur un théâtre d’opérations, il bénéficie d’un niveau de protection pénale lié à son statut de soldat. Or aujourd’hui, la France a voté il y a quelques années une dérogation au droit commun qui dit qu’un soldat ne sera pas pénalement responsable de son acte de mort s’il a respecté les règles d’engagement qui lui ont été fixées ».
Sur les docks : « C’est la loi de 2005. »
Général Benoît Royal : « Voilà, tout à fait. C’est donc une dérogation qui était assez extraordinaire au droit commun. Pourquoi on la lui a donnée cette dérogation au soldat ? On la lui donnée parce que on a reconnu qu’il risquait sa propre vie pour pouvoir remplir sa mission et qu’il pouvait aller jusqu’au sacrifice ultime de mourir pour remplir sa mission et donc il devait avoir un niveau de protection.
Quand on se réfère à ces drones d’attaque qui sont eux-mêmes pilotés par des pilotes qui ne risquent pas leur propre vie et qui pourtant s’affranchissent de ces règles-là, il se pose aujourd’hui déjà des questions auxquelles on n’a pas répondues. Donc imaginez maintenant quelles dimensions peuvent prendre ces questions sur des drones d’attaque à qui on délèguerait directement la responsabilité d’ouvrir le feu. Comment, quel logiciel serait capable d’avoir le bon sens de définir si ce qu’il voit dans sa caméra, c’est du combattant ? Ce n’est pas du combattant ? Je peux tirer ? Je ne peux pas tirer ? »
Sur les docks : « Une intention hostile, il faut bien préciser, il peut avoir une arme et être en train de la poser … »
Général Benoît Royal : « Absolument. Vous avez bien compris qu’il y a derrière des vides juridiques, des vides éthiques, qu’il faut aujourd’hui absolument combler avant d’aller plus loin dans l’acceptation d’armes robotiques plus meurtrières. Ca veut dire qu’il faut, par exemple, que probablement l’ONU se saisisse de cette problématique des robots et qu’elle réfléchisse à un protocole additionnel sur les machines, dès aujourd’hui sur l’utilisation des drones et qu’elle fixe dès à présent les règles : Est-ce que l’on peut aujourd’hui utiliser les drones tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui au Pakistan ?
Et n’oublions pas que ce n’est pas l’armée qui les utilise au Pakistan, c’est la CIA. Ce n’est même pas l’armée, ce ne sont même pas des soldats qui sont des pilotes de drones, ce sont des civils de la CIA »
Tags : Etats-Unis Armée Ethique Terrorisme
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