C à cause de
discriminations et d’oppressions réelles que les gens s’organisent parfois en
non-mixité. Il ne faut pas inverser les causalités.
Témoignage
de Marie-Noëlle Thibault, ancienne militante à la CFDT, qui évoque ses
souvenirs de réunions « non mixtes », qui suscitaient déjà, dans les années
1970, les critiques des syndicalistes, ces derniers accusant les femmes de
briser l’unité de la classe ouvrière :
"Dans les
années 1970-1980, le Mouvement de libération des femmes (MLF), organisation non
mixte, est apparu dans la foulée de Mai 68, et a secoué fortement toutes les
structures de partis politiques, extrême gauche comprise, très machiste, dans
la tradition française – la politique est une affaire d’hommes. J’étais alors à
la CFDT, et la Centrale a été fortement secouée par la lutte des femmes. Notre
combat principal a été de créer dans l’organisation des lieux où la parole des
femmes travailleuses pourrait s’exprimer librement. Nous avons mis en place une
commission « travailleuses » au niveau confédéral, et des sessions de formation
et d’échange non mixtes. Cela n’a pas été facile. Nous étions accusées de
briser l’unité de la classe ouvrière, sans doute censée être incarnée dans
l’organisation syndicale. C’était la version 1970 de l’actuelle accusation de
séparatisme.
Notre
première session de formation non mixte me laisse un souvenir tragique et
indélébile. Nous étions une trentaine de femmes. Trois d’entre elles avaient
été envoyées par leurs structures hostiles à la « non-mixité » pour nous «
ramener à la raison ». Les travailleuses ont commencé à raconter leurs
conditions de travail comme elles ne l’avaient encore jamais fait. Je raconte
une seule expérience, celle des ouvrières d’une usine textile dans le Nord, à
proximité d’un bassin minier.
Quand une
nouvelle ouvrière arrivait de la région minière, les contremaîtres jouaient à
celui qui arriverait le premier à lever sa jupe pour vérifier si elle portait
une culotte. En avaient-elles déjà parlé au syndicat ? Non, jamais. Pourquoi ?
Parce qu’au syndicat ce sont des hommes, on n’oserait pas, ils ne
comprendraient pas. Et puis, les contremaîtres sont syndiqués.
Des
anecdotes comme celle-là, il y en a eu des dizaines en quelques jours. La
parole libérée, pour la première fois, entre femmes. Et puis le quatrième jour,
une des trois « envoyées spéciales contre la non-mixité » a pris la parole,
elle a fondu en larmes, et a raconté les gestes et les paroles sexistes des
responsables syndicaux eux-mêmes, très majoritairement hommes dans cette
branche où domine la main-d’œuvre féminine. Les mœurs dominantes dans la
profession se retrouvaient à l’identique dans la structure syndicale. Nous
étions toutes bouleversées de vivre ce moment, et j’y repense souvent.
Ces groupes
de parole avaient-ils vocation à dorloter des victimes, à les conforter dans
leur « victimisation » ? Absolument pas. Leur seul rôle était de permettre un
passage à l’action ajusté à la réalité des rapports sociaux vécus. Alors, ne
pas diviser la classe ouvrière ? Oui, mais comment ? En faisant taire ces
femmes ? L’universalisme oui, mais lequel ? Celui qui consiste à faire taire
les plus exploités, les plus écrasés, ou celui que l’on construit lentement,
difficilement, à travers la confrontation des expériences pour trouver des
avancées communes ?"