Le livre de Job : réflexions sur le mal et la souffrance !
Voici probablement le récit biblique le plus dérangeant de tous ; le livre de Job ! Ou l'histoire de cet homme riche et puissant tombé dans la plus complète déchéance suite à ce qui ressemble bien à un "pari" effectué entre Dieu et Satan. Comment ce Dieu "bon et miséricordieux", via Satan, a-t-il pu faire subir à Job, que les textes décrivent comme "juste et droit", de telles souffrances ? Et à travers Job, c'est la question de la souffrance en général qui est posée, notamment celle des innocents ! Oui cette histoire met mal à l'aise car elle est choquante, donc intéressante ! Pendant longtemps, j'ai essayé de trouver une explication rassurante, en tentant d'atténuer, de relativiser la signification profonde de cet incroyable récit. En vain...Plus je lisais ce récit, plus une autre réflexion s'imposait progressivement à moi. C'est cette réflexion que je tenais à vous faire partager, n'ayant bien évidemment aucune prétention de détenir une quelconque vérité, tant la question de la souffrance demeure un mystère...
1 - Chronologie des épreuves infligées à Job
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de bien situer l’enchaînement des différents événements qui frappent Job. D’abord, précisons d’emblée que tout part d’un dialogue entre Dieu et Satan et qu’il s’agit là du seul texte biblique où l’on assiste à un tel face-à-face :
"Un jour, les fils de Dieu vinrent se présenter devant l’Eternel, et Satan vint aussi au-milieu d’eux. L’Eternel dit à Satan : ’D’où viens-tu ?’. Satan répondit à l’Eternel : ’Je viens de parcourir la terre et de m’y promener.’ L’Eternel dit à Satan : ’As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’y a personne comme lui sur terre. C’est un homme intègre et droit. Il craint Dieu et se détourne du mal.’ Satan répondit à l’Eternel : ’Est-ce de façon désintéressée que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré de ta protection, lui, sa famille et tout ce qui lui appartient ? Tu as béni le travail de ses mains et ses troupeaux couvrent le pays. Mais porte donc la main contre lui, touche à tout ce qui lui appartient, et je suis sûr qu’il te maudira en face’. L’Eternel dit à Satan : ’Voici tout ce qui lui appartient, je te le livre. Seulement ne porte pas la main sur lui’. Satan se retira alors de la présence de l’Eternel.
Job, 1 6-12
Première salve : la perte de tous ses biens et la mort de ses enfants
Le "pari" entre Dieu et Satan ayant été effectué, et à ce stade du récit, on ressent déjà un certain malaise en constatant que Dieu "cède" en quelque sorte, aux injonctions de Satan. Cela dit, la remarque de ce dernier, pour être vicieuse, n’en est pas moins pertinente : est-ce que Job serait fidèle à Dieu uniquement par calcul et parce que "tout va bien" pour lui ? Lisons donc la série d’épreuves qui l’attendent :
"Alors qu’un jour les fils et les filles de Job mangeaient et buvaient du vin chez leur frère aîné, un messager arriva vers Job et lui dit : ’Les boeufs labouraient et les ânesses broutaient à côté d’eux. Des Sabéens se sont jetés sur eux et les ont enlevés. Ils ont tué les serviteurs à coups d’épée et je suis le seul à avoir pu m’échapper pour t’en apporter la nouvelle.’ Il parlait encore lorsqu’un autre messager arriva et dit : ’la foudre est tombée du ciel, a embrasé les brebis et les serviteurs et les a dévorés. Je suis le seul à avoir pu m’échapper pour t’en apporter la nouvelle.’ Il parlait encore lorsqu’un autre messager arriva et dit : ’ des chaldéens répartis en trois bandes se sont précipités sur les chameaux et les ont enlevés. Ils ont tué les serviteurs à coups d’épée et je suis le seul à avoir pu m’échapper pour t’en apporter la nouvelle.’ Il parlait encore lorsqu’un autre messager arriva et dit : ’ Pendant que tes fils et tes filles mangeaient et buvaient du vin chez leur frère aîné, un grand vent est venu depuis l’autre côté du désert et a frappé contre les quatre coins de la maison. Elle s’est écroulée contre les jeunes gens et ils sont morts. Je suis le seul à avoir pu m’échapper pour t’en apporter la nouvelle.’ Job se leva alors, déchira son manteau et se rasa la tête. Puis il se jeta par terre, se prosterna et dit : ’c’est nu que je suis sorti du ventre de ma mère et c’est nu que je repartirai. L’Eternel a donné, l’Eternel a repris. Que le nom de l’Eternel soit béni !’. Dans tout cela, Job ne pécha pas, il n’attribua rien d’inapproprié à Dieu.’
Job 1 13-22
A partir de là, malgré les catastrophes qui s’abattent en série, le texte nous dit que Job "n’attribua rien d’inapproprié à Dieu". On serait donc tenté de se dire que Satan a alors perdu son pari et vient de subir une défaite complète. (D’autant qu’il y a d’autres textes bibliques relatant le cas où Dieu cherche à "éprouver" la foi des hommes. Comme lorsqu’il demande à Abraham de lui sacrifier son propre fils et qu’il retient son bras juste avant le coup fatal). Sauf que cette explication ici ne tient pas car non seulement Satan ne s’avoue pas vaincu mais, en plus, Dieu va une nouvelle fois agréer à sa demande :
Deuxième salve : la maladie
"Satan dit à l’Eternel : ’peau contre peau ! Tout ce qu’un homme possède, il est prêt à l’échanger contre sa vie. Mais porte donc la main contre lui, touche à ses os et à sa chair, et je suis sûr qu’il te maudira en face.’ L’Eternel dit à Satan : ’ le voici, je te le livre. Seulement, épargne sa vie.’ Satan se retira alors de la présence de l’Eternel. Puis il frappa Job d’un ulcère purulent, depuis la plante des pieds jusqu’au sommet du crâne. Job prit un tesson pour se gratter et s’assit sur de la cendre. Sa femme lui dit : ’tu persévères dans ton intégrité ? Maudis donc Dieu et meurs !’. Mais Job lui répondit : ’tu tiens le langage d’une folle. Nous acceptons le bien de la part de Dieu, et nous n’accepterions pas aussi le mal ?’. Dans tout cela, Job ne pécha pas par ses lèvres.’
Job 2 4-10
Pourquoi un tel acharnement contre un homme qui a déjà tout perdu ? Cet acharnement étant d’autant plus incompréhensible que, comme déjà précisé, Job ne "pécha point contre Dieu" malgré les terribles épreuves déjà subies.
2 - La colère et la révolte de Job
Suite à toute cette série d’épreuves, arrivent ensuite les "amis" de Job avec qui il entame une série de dialogues et où il "crache" (enfin) toute sa colère jusque là contenue. Il se met à interpeller Dieu et même à le défier. Job, sur son "tas de fumier" s’adresse alors à Dieu avec toute l’énergie et le panache qui lui restent :
"Pourquoi donner tant d’importance à un humain ? Oui, pourquoi le prends-tu tellement au sérieux ? Or tu viens l’inspecter matin après matin ; à chaque instant, tu le soumets à une épreuve ! Quand donc cesseras-tu de t’occuper de moi ? Quand me laisseras-tu avaler ma salive ? Si je me suis rendu coupable à ton égard, que t’ai-je fait, dis-moi, inspecteur des humains ? Pourquoi fais-tu de moi la cible de tes coups ? Serais-je devenu une charge pour toi ? Pourquoi refuses-tu de supporter ma faute, de pardonner mes torts ? Me voilà presque mort couché dans la poussière ; quand tu me chercheras, je ne serai plus là."
Job 7 17-21
Cette révolte et cette incompréhension, qu’il a si longtemps enfouies et intériorisées, en présence de ses amis (qui lui expliqueront que s’il subit tout ça c’est parce qu’il a "forcément" quelque chose à se reprocher...) a fini par sortir ! Et les mots de Job, outre la qualité littéraire de ce récit, entrent en résonnance avec toutes les personnes qui, à travers l’humanité, ont souffert et souffrent aujourd’hui. Souffrance qui est ici décuplée par une injustice :
" L’émotion ne cesse de bouillonner en moi depuis que j’affronte cette vie de misère. Je marche dans le deuil ; pas de soleil pour moi ! Même en public, je lance des appels à l’aide. Par mes lugubres cris, me voilà devenu compagnon des chacals et frère de l’autruche. Sur moi, ma peau noircit, au plus profond de moi, la fièvre me dévore. Ma guitare ne joue que des airs pour le deuil, ma flûte ne soutient que le chant des pleureurs."
Job 30 27-31
Et c’est suite à de longs échanges entre Job et ses "amis", Job leur ayant "claqué le bec", que Dieu finit par apparaître à Job "Du coeur de la tempête" (à partir du chap 38 —> fin).
Alors pourquoi ? Pourquoi un "Dieu d’amour" fait-il subir à l’une de ses créatures de tels tourments, qui plus est lorsque ladite créature est considérée comme "juste" à ses yeux ? La seule explication évidente qui me soit apparue, après maintes et maintes lectures est que Dieu a fait subir toutes ces épreuves à Job précisément dans le but que celui-ci craque ! Le lecteur va certainement bondir en lisant ce qui va suivre mais si Dieu a voulu que Job craque et finisse par le défier, lui Dieu, ce n’est pas par une quelconque jouissance sadique, mais tout simplement par amour !
3 - De la "religion" à la "relation".
Pour comprendre cette (folle) explication, il est important de bien savoir "qui" est vraiment Job. Que dit le texte à son sujet dès le commencement (Job 1 5) :
"Quand les festivités étaient achevées, Job faisait venir ses enfants pour les purifier. Il se levait tôt le lendemain et offrait à Dieu un sacrifice complet pour chacun d’eux, car il se disait : ’mes fils ont peut-être commis une faute, ils ont peut-être offensé Dieu en pensée’. c’est ainsi que Job agissait chaque fois".
Job, à l’instar de tous les "religieux", entrevoit Dieu comme une sorte de justicier qui scrute le moindre faux pas. Il vit dans cette crainte permanente d’un "châtiment" et essaie donc en permanence de respecter "à la lettre" toutes les règles, un peu à l’image des pharisiens du Nouveau Testament et plus généralement à l’image de tous les "bigots" de toutes les religions. Mais, en réalité, comme le fait justement remarquer Satan : il n’aime pas Dieu, il n’a aucune relation "de coeur" mais juste de soumission d’un esclave envers son maître. Or précisément, le Dieu biblique ne cherche pas des "champions" de l’obéissance et de la soumission, il cherche à établir, non pas une relation de maître à esclave avec les hommes mais de père à fils !
Ainsi, lorsque Dieu apparaît à Job pour la première fois, il établit là une relation personnelle avec lui ! Et à ce moment là, Job s’aperçoit qu’il s’est complètement trompé ! Il s’est construit durant toute sa vie une image de Dieu, celle de ce justicier implacable, mais qui n’est PAS Dieu ! Il vivait alors dans une relation hypocrite, espérant s’attirer "les bonnes grâces de Dieu"...C’est d’ailleurs si vrai que Job lui-même, lorsqu’il se trouve face à Dieu, finit par lui avouer au-travers d’une formule absolument sublime :
" Je ne savais de toi que ce " qu’on" m’en avait dit, mais maintenant c’est de mes yeux que je t’ai vu." (Job 42 5)
Par conséquent, Dieu a voulu ces souffrances pour Job, car c’était le seul moyen de le sauver de lui-même, c’est à dire de pouvoir enfin établir une relation, non plus basée sur une hypocrisie purement religieuse mais sur une relation de coeur, authentique et véritable. Job, dans sa colère a enfin été vrai avec Dieu. En résumé, Job, au-travers de sa révolte, a accompli un veritable acte de foi !
4 - CONCLUSION
Ce (superbe) récit, d’après moi, permet de tirer plusieurs enseignements :
1) Les souffrances n’ont strictement rien à voir avec les actes, bons ou mauvais, des individus au-cours de leur vie, contrairement à ce que pensent encore beaucoup de croyants
2 ) Ce récit bat en brèche certains discours morbides qui estiment que la "souffrance" serait rédemptrice ! Il n’y a rien de pire que ceux qui expliquent qu’il faut "accepter" la souffrance (surtout si l’on est croyant) ! Ce qui est "inacceptable", par définition, n’a pas à être accepté !
3) La soumission est l’ennemie de la foi chrétienne ! Un père exerce, certes, une relation d’autorité envers son fils mais AUSSI une relation d’amour ! Et le fils, pour grandir, doit apprendre à affronter son père. Il en va de même pour la relation entre Dieu et le croyant
4) Enfin la figure de "Satan" n’est peut-être pas tout à fait celle que l’on croit habituellement. L’une de ses mutliples fonctions est aussi " d’éprouver", de "tester" la foi des individus. Il ne faut pas oublier que Satan n’est pas " l’égal" de Dieu, il n’est qu’une créature ! Satan n’est pas le "mal" face à Dieu qui représenterait le "bien". Satan est, comme toutes les créatures, soumis à Dieu. Donc vouloir accuser Satan de tous les maux n’est qu’un subterfuge pour ne pas oser s’adresser à Dieu lui-même. Et là, on en revient au point 3).
Tags : Culture
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