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Le cochon de Gaza

 

Voici donc l’interview tirée du réalisateur Sylvain Estibal

 

Comment est née l’idée de faire ce film ?

Elle est comme tombée du ciel. Elle est née du télescopage de différentes anecdotes et de souvenirs diffus... J’habite à Montevideo, en Uruguay, et à certaines périodes de l’année, dans le port, on peut voir partir des bateaux gigantesques qui s’en vont traverser l’Atlantique, chargés de milliers de moutons, pour les fêtes de l’Aïd. Ces chargements sont spectaculaires, ils répandent une forte odeur dans la ville et ils font aussi partir l’imagination. Un jour, je me suis surpris à imaginer des cochons à la place des moutons, ça m’a amusé et cette idée est restée en suspens.
Parallèlement à cela, au cours d’une conversation, un ami photographe israélien m’a raconté qu’il connaissait des Juifs qui élevaient des cochons sur des estrades, car ces animaux ne devaient pas toucher le sol d’Israël. J’ai trouvé ça aussi ingénieux qu’absurde et là aussi, j’ai mis cette idée de côté.
Enfin, en 2004, j’ai réalisé un travail photographique à Hébron, en Cisjordanie, qui, lui aussi, m’a marqué. J’ai confié des appareils photo à deux familles, une pales- tinienne l’autre israélienne, vivant de chaque côté d’un grillage, à quelques mètres, et je leur ai demandé de photographier leur vie quotidienne. Aucune d’entre elles ne savait que de l’autre côté du grillage, le même scé- nario s’opérait. Au bout d’un an, j’ai montré les photos de chaque camp au camp opposé et recueilli leurs com- mentaires. Ils ont découvert l’intimité de leurs voisins, vu combien leurs vies étaient similaires, et, ce faisant, je crois qu’une certaine représentation mentale qu’ils se faisaient de leurs ennemis s’est trouvée modifiée. L’« autre » s’est trouvé malgré eux humanisé. J’ai exposé ce travail à Tel Aviv, nous y avons fait venir les deux familles qui se sont rencontrées et l’impact a été très fort sur nous tous. Ce travail a aussi été présenté au Festival de photojournaliste Visa pour l’image et au Festival de Bayeux des correspondants de guerre.
Alors voilà, je pense que ce sont toutes ces expériences et sûrement d’autres encore, qui ont fait naître inconsciemment le scénario du Cochon de Gaza.


Que souhaitiez-vous exprimer avec cette histoire ?

C’est d’abord un cri de rage comique... L’envie de changer les choses, de redonner de l’oxygène, de faire rire les deux camps, israélien comme palestinien, en montrant l’absurdité de la situation, en l’abordant sous un angle humain et burlesque, sans agressivité mais sans ménager qui que se soit. Ce que j’exprime dans mon film, c’est une révolte contre les représentations sclérosées, l’envie de secouer des discours politiques trop figés pour revenir au destin d’un simple individu. Dans le film, ce qui unit les deux camps, c’est le rejet commun du cochon. Le cochon devient alors le passeur, le lien entre les deux communautés, et de ce plus petit dénominateur commun va naître un début d’entente. Ce cochon vietnamien, c’est en quelque sorte, ma colombe de la paix !


Quelles ont été vos références pour ce film ?

Pendant la phase d’écriture, j’ai beaucoup pensé à Chaplin bien sûr.


Quelle est votre légitimité sur ce sujet du conflit israélo-palestinien ?

Je ne pense pas qu’il faille appartenir à une communauté pour pouvoir parler d’elle. Le meilleur exemple est justement donné par Chaplin qui n’était ni Allemand, ni Juif, et qui pourtant a réalisé un chef d’œuvre : Le Dictateur. Je ne me compare pas à Chaplin, mais le montage financier du film a été difficile en raison de cette question de non-légitimité ; il aurait sans doute été plus facile à monter si j’avais été Israélien ou Palestinien, c’est absurde. Le conflit israélo-palestinien nous concerne tous, il fait hélas partie de nos vies et nous en subissons tous d’une manière ou d’une autre les conséquences. Lorsqu’on cherche à faire de l’art, c’est pour retranscrire une réalité qui n’est pas nécessairement la nôtre mais qui nous touche. On ne peut pas le réduire à l’expression d’un communautarisme. Faire de l’art, c’est s’approprier des choses pour en donner une vision personnelle.


Quels sont les clichés que vous avez souhaité éviter ?

Avec Myriam Tekaïa, collaboratrice artistique et actrice dans le film, nous avons voulu éviter les clichés dans la distribution des rôles, éviter l’image de l’islamiste barbu. Nous tenions aussi à ce que la femme de Jafaar soit belle et digne plutôt qu’une femme caricaturale derrière ses fourneaux. De manière générale, il fallait qu’une forme de beauté transparaisse dans un cadre toutefois réaliste. Nous voulions que la beauté humaine apporte une part de rêve et de dignité sans pour autant effacer la misère qui existe là-bas. Il fallait que le spectateur perde un peu ses repères, qu’il soit dans un conte, tout en ayant le sentiment de voir pourtant la réalité. C’est un travail qui a été effectué au casting mais aussi dans le choix des décors, des costumes, etc. Nous avons été très attentifs à cela. En confiant le rôle de Jafaar, le pêcheur palestinien, à un acteur israélien d’origine irakienne (Sasson Gabay) et celui de la jeune femme israélienne à Myriam Tekaïa, qui est Tunisienne, c’était aussi une manière de brouiller les pistes et les identités.


Comment et pourquoi avez-vous choisi Sasson Gabay pour interpréter Jafaar ?

J’ai écrit sans aucun visage en tête. Et puis au moment de chercher l’acteur principal, j’ai pensé au formidable interprète de La Visite De La Fanfare : Sasson Gabay. Je cherchais quelqu’un d’attachant avec qui l’on puisse facilement tomber en empathie. Je souhaitais un visage profondément humain.


Vous êtes écrivain et journaliste. Dans quelle mesure le journa- lisme a orienté votre travail de cinéaste sur ce sujet ?

L’influence de mon expérience a joué dans l’écriture du scénario. J’ai pris garde d’être juste dans le traitement des réalités, comme dans un traitement journalistique. Bien sûr, il existe de petits anachronismes, comme l’apparition d’Obama, mais les réalités sont dans l’ensemble crédibles. Par ailleurs, comme je voulais que ce film soit un conte, une fable, je ne voulais pas non plus que ce réalisme prenne trop d’importance. Bref, je ne voulais pas commettre d’erreurs sur la réalité mais en même temps, j’ai tout fait pour m’en distancer.


L’homme et l’animal forment un duo très cinématographique, pourquoi avoir choisi ce modèle ?

J’ai pensé bien sûr à La Vache Et Le Prisonnierque je voulais d’ailleurs intégrer dans une scène lorsque Jafaar regarde la télévision. J’aime la simplicité de ce film, et l’idée d’un homme démuni s’appuyant sur l’animal pour sortir d’un contexte difficile. Dans Le Cochon de Gaza, le cochon a une valeur symbolique, il est sombre, inquiétant, il représente le préjugé, l’inconnu, la peur qu’il nous faut apprivoiser.


Il y a une dimension poétique dans le film, pourquoi ?

Je voulais que le film soit onirique, qu’il ouvre sur un rêve possible, d’où la séquence notamment où les quatre personnages principaux s’enfuient et partent en mer. Néanmoins, je ne voulais pas que le film finisse sur cette scène car la solution politique n’est pas l’exil mais plutôt la cohabitation sur une même terre. Alors j’ai choisi, pour la fin du film, cette danse hip-hop de jeunes danseurs handicapés. Je pense que ces deux peuples d’Israël et de Palestine sont un peu à leur image, deux peuples blessés qui se font face. Ils symbolisent, à mes yeux, la souffrance d’Israël et de la Palestine, de laquelle peut surgir toutefois une entente. Je voulais terminer sur une image symbolique et belle, sur une vision d’espoir.


Le burlesque est-il votre moyen d’expression naturel ?

Mon entourage proche dit de moi que je suis un rêveur éveillé et je pense que cela me correspond bien. Mon film aussi est comme ça, je crois.


Le Cochon de Gazaest-il un film politique ?

C’est un point de vue sur le conflit israélo-palestinien, donc il y a forcément un aspect politique. C’est un film sur un individu pris dans un conflit. Je pousse un cri face au gâchis, face à la haine, face à une religion trop souvent prise au pied de la lettre en négligeant son message fraternel. J’ai participé à l’écriture de quelques ouvrages avec Théodore Monod. J’ai admiré le détachement et l’approche intelligente qu’il avait des textes religieux. Lui pourtant très croyant et descendant d’une grande famille de pasteurs, gardait un recul face à sa propre religion, ne voulant garder du texte sacré que ce qui l’inspirait en oubliant le reste. À propos des différentes religions, il disait aussi : « Il y a une montagne unique que nous grimpons chacun par un sentier différent ». C’est une image simple, mais inspirante.


Le film penche-t-il pour un camp en particulier ?

Il n’est évidemment pour aucun camp, ni contre d’ailleurs... Il est contre l’absurdité de la situation, il est pour la dignité humaine. Avant d’accepter de travailler sur le film, les acteurs ont voulu savoir quel était son objectif. Faire ce film, c’était aussi une forme d’engagement pour les acteurs palestiniens ou israéliens. Moi je suis une main extérieure. La situation à Gaza est totalement absurde et je me contente de pousser d’un degré le surréalisme pour mieux le dénoncer. Il est arrivé sur le tournage à certains acteurs de penser que, parfois, le film penchait pour un camp plus qu’un autre. Mais c’est arrivé aux acteurs des deux camps, ce qui est plutôt rassurant ! Au fond, nous sentions tous, je crois, que nous portions un message de paix. L’équipe, composée d’une vingtaine de nationalités, s’est mise totalement au service de ce message avec un vrai dévouement. C’est un cinéma qui se veut utile, même s’il faut tout de même relativiser tout ça. On ne peut pas trop se prendre au sérieux quand on fait une comédie avec, pour acteur principal, un cochon…"

http://medias.unifrance.org/medias/204/222/57036/presse/cochon-gaza-dp.pdf

http://www.commeaucinema.com/notes-de-prod/le-cochon-de-gaza,189709-note-90039

 

Tags : Cinéma Culture




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8 réactions à cet article    


  • 4 votes
    Gael 18 août 2011 13:06

    C’était un commentaire !


  • 4 votes
    Captain Brother Tolkien 18 août 2011 13:07

    Le Coran interdit la consommation du porc dans au moins 4 versets différents : 2:173, 5:3, 6:145 et 16:115.

    La Torah interdit la consommation du porc dans le Lévitique 11:7-8, le Deutéronome, 14:8, et dans Isaïe, 65:2-5.

    Ce film a l’air génial, je vais m’empresser d’aller le voir. smiley


  • 1 vote
    Captain Brother Tolkien 19 août 2011 11:21

    @ enkidou

    J’ai compris mais à vous d’apporter des preuves. Et même avec des preuves vous ne convaincrez pas plus d’1 milliard de musulmans. Pour eux le Coran est incréé ! L’interdiction de manger du porc est une loi divine !


  • 5 votes
    Frida FRIDA 18 août 2011 19:00

    Bonsoir à tous,

    On peut aimer ou non, c’est une question de sensibilité. Le réalisateur n’appartient à aucun des antogonistes.
    C’est un point de vue, plutôt artistique (donc abstrait). Il n’y a rien avoir avec la réalité (me semble-t-il). Mais d’après les explications du réalisateur, il met l’accent sur les points commun chez les deux camps.
    J’en aurai une idée plus précise le jour où je l’aurai visionné, ce que je ne manquerai de faire.


    • 3 votes
      Frida FRIDA 19 août 2011 20:41

      @Barre_de_rire

      "l’Éternelle entre deux eaux, l’éternelle je ne sais pas",

      et vous l’eternelle "choisir son camps", même quand il s’agit d’une oeuvre non politique. Je n’ai pas vu le film, mais une oeuvre artistique (c’est le cas pour l’art en général) peut ne pas avoir de position tranchée sur une question. Et on ne dicte pas à un artiste comment il doit traiter un sujet, (êtes vous pour l’art engagé ?).
      Et attondons de voir le film, comment peut-on avoir une idée avant de l’avoir vu ? Vous jugez avec des a priori.


    • 2 votes
      Nisseratos 20 août 2011 15:18

      Non Frida

      Ce film c’ets de la propagande et je l’ai vu.
      On endort le palos, comme ils disent, avec de fausses bonnes intentions.
      Les israéliens n’ont jamais eu l’intention de rendre ce qu’ils ont volé.

    • 2 votes
      Frida FRIDA 20 août 2011 16:27

      @Nisseratos

      Vous l’avez vu, la sortie est prévue pour le 21 septembre !

      C’est possible ce que vous dites, je n’ai pas d’idée arrêtée pour le moment, je n’ai faut que relayer l’info.

      En tout état de cause, c’est l’occasion pour que chacun présente son avis aussi bien sur le film que sur la réalité.


      • vote
        VicleViking VicleViking 24 août 2011 21:48

        Faites pas du boudin ! écoutez l’interview du réal sur France Inter : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=120031 
        Quand la colombe de la Paix se transforme en cochon vietnamien --- 



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