La captation de l’électorat populaire par le FN
Marine le Pen, en influant son discours, a installé son parti dans le paysage politique français d'une façon inédite ; aux antipodes des positions ultralibérales de son père, elle emprunte un discours anticapitaliste et "altermondialiste" emprunté à la gauche critique
Dominique Vidal, historien et journaliste au Monde Diplomatique, revient sur le virage social du discours de la candidate de Front National
L’entretien débute en précisant la situation de l’extrême droite européenne, composée de trois familles différentes :
- Les mouvements néofascistes nostalgiques, tout à fait marginaux
- Les "ovnis" apparus spontanément, à l’image du PVV aux pays bas
- Les partis d’extrême droite qui cherchent à muter pour rompre le "cordon sanitaire" et accéder au pouvoir en alliance avec les mouvements de droite traditionnels. Le FN appartient à cette catégorie, comme la ligue du Nord en Italie ou le FPO en Autriche
Puis Vidal revient sur le triple discours qui structure ces nouvelles droites radicales :
- Un discours nationaliste anti européen, anti mondialisation, proposant le repli de l’Etat Nation comme solution miracle
- Un discours xénophobe voire raciste, l’islamophobie ayant pris le pas sur l’antisémitisme
- Un discours teinté de social, emprunt à la gauche radicale, qui a fait le succès du fascisme dans l’entre deux guerre
Concernant ce discours anticapitaliste d’extrème-droite, Vidal précise qu’il ne relève pas de la simple démagogie, il s’agit aussi d’une tradition historique.
En Allemagne, le national socialisme a incarné une colère populaire aux dépends de la gauche qui n’a pas été capable d’offrir une alternative politique aux millions de chômeurs allemands.
Il s’agit de prendre l’analogie avec des pincettes : la stratégie des extrêmes droites d’avant guerre et celles d’aujourd’hui n’ont aucun rapport. Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir pour soi, en pratiquant la terreur de masse. Le but de le Pen est de faire progresser ses idées pour que partie de la droite fasse alliance avec elle et l’intègre dans le pouvoir. Il n’est pas question de totalitarisme.
S’il est stupide et dangereux de comparer Hitler et le Pen, il est en revanche frappant de voir la similitude du coktail "nationalisme, xenophobie, et démagogie ouvrieriste"
Le tournant social du discours du FN a été initié par Jean Marie le Pen. Le but est triple : draguer l’électorat ouvrier, redonner plus de respectabilité au FN, faire avancer l’idée de l’alliance possible entre une partie de la droite républicaine avec le FN. Une forte partie de l’electorat UMP est sensible à cette éventualité.
Vidal revient enfin sur l’évolution du vote ouvrier en France.
Il y a eu l’époque des conquêtes héroïques, le front populaire, la résistance. Il s’en est suivi la période de modernisation à partir des années 60/70, où déjà un malaise est palpable - mais le mouvement reste encadré par le PC et la gauche. Et enfin avec la génération du libéralisme, la sociologie du travail change en profondeur. Les populations sont précarisées, le travail parcellisé. C’est la base même de l’effondrement de la gauche, indépendemment des erreurs imputables au PC et au PS
Jusqu’en 1973 70 % des ouvriers votent à gauche. En 2002, 43 % seulement avec 23 % du vote ouvrier pour le FN
Printemps 2011 sondage d’avril le Front National cumule 36 % de l’électorat ouvrier. A la gauche de la gauche, il ne reste quasiment rien.
La gauche s’est montrée incapable de répondre à la situation. Il n’y a pas eu de discours de gauche qui s’adresse à cette population qui souffre de la crise. L’idée que la misère conduit le peuple à gauche est une idée reçue. Dans les années 2000 le PC n’offre aucune perspective enthousiasmante, le PS a trahi tous les espoirs mis en lui notamment en 1981, et le Pen opère le "rassemblement des cocus", ceux de Sarkozy (2/3 de l’électorat frontiste), et ceux du PS pour un tiers, passés par une phase d’abstention.
En terme de positionnement économique, le FN est passé de l’ultralibéralisme déchaîné, à une sorte d’altermondialisme fustigant les multinationales et les paradis fiscaux. Mais l’équilibre est difficile à tenir car le gros de leur base électorale n’est pas la classe ouvrière. L’attention portée aux artisans, aux petits patrons, à la classe moyenne est maintenue. Le discours teinté de social relève d’un camouflage démagogique qui attire une part de l’electorat ouvrier comme force d’appoint tout en légitimant le FN comme parti respectable.
D’ou l’embarras de le Pen quand on l’interroge sur la question des retraites par exemple.
En conclusion, Vidal insiste sur ce point : on ne peut pas se contenter de diaboliser, de rejeter en se pinçant le nez : c’est non seulement inefficace mais parfaitement contreproductif. On ne peut faire reculer le FN et ses idées qu’en apportant des réponses concrètes aux problèmes rencontrés par la population.
Tags : Politique Altermondialisme FN Marine Le Pen
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