Jésus dans le désert, par Jean Yves Leloup
Voici une interprétation du récit de la tentation du Christ dans le désert par le théologien orthodoxe Jean-Yves Leloup. 'Quel type de messie Jésus choisira-t-il d'incarner ?' Telle est la question qui se pose au Christ, soumis à l'épreuve de la tentation. Tentation qui revêt une triple forme : la tentation liée au "matérialisme" où le diable lui propose de changer les pierres en pain, la tentation de '"l'uniformité" pour laquelle le diable propose d'unifier 'tous les royaumes de la terre' sous sa bannière et enfin la tentation liée à 'l'ivresse de la puissance' où Satan demande au Christ de se jeter dans le vide, afin que 'les anges le portent sur leurs mains'.
En parallèle de cette interprétation, Jean-yves Leloup, au-travers de son roman Un homme trahi, a imaginé cette scène, au cours de laquelle la figure de 'Satan' est incarnée par Judas l'Iscariote et où il s'ensuit un dialogue entre lui et le Christ. un dialogue qui traduit 2 visions du monde qui se répondent l'une à l'autre.
Et voici, en complément de cette vidéo quelques extraits tirés du roman de Leloup de cette scène dans le désert, scène qui confronte 2 visions du monde incarnées par Jésus et Judas.
"Yeshoua proposa à Judas de l’accompagner au désert pour réfléchir lui aussi à sa mission et demeurer à l’écoute de YHWH afin qu’il ne cherche qu’en lui la force pour accomplir ce qui devait être accompli à Jérusalem...Yeshoua, toujours silencieux, le regarda, puis vint s’asseoir à son côté. Dans le désert, au loin, on ne distinguait qu’une seule silhouette, ou les deux versants d’un même monticule, l’un sombre, l’autre éclairé par le soleil levant. Ils se reconnurent. Tous deux étaient là, conduits par l’Esprit, pour discerner quelle devait être leur mission, quel genre de Messie ils choisiraient d’incarner. Quel Dieu, quel infini Pouvoir ou infinie Présence avaient-ils à manifester aux hommes pour que ceux-ci soient sauvés et que toutes les nations connaissent enfin la paix ?
C’est Judas qui, le premier, prit la parole :
’- Il suffit de transformer ces pierres en pain, donner à manger à tous...Que souhaiter de plus aux hommes ? Qu’ils aient le ventre plein et il n’y aura plus de guerre, plus de riches, plus de pauvres, plus d’injustice ; assez de nourriture pour tous, il n’y a rien d’autre à désirer, nous n’avons pas d’autres problèmes à résoudre, pas d’autres béatitudes à souhaiter que celle d’une longue et bonne digestion et un sommeil tranquille sous le ciel clément...
- L’homme ne vivra pas seulement de pain. L’homme n’est pas que matière et ventre, il a faim d’autres nourritures, faim d’amitié, de poésie, de beauté, de vérité. Ne crois pas qu’on puisse réduire le désir de l’homme à ses besoins immédiats. La satiété n’est pas le bonheur, regarde les plus riches, les plus gras parmi nous, regarde leurs yeux ; ils ne manquent de rien et, pourtant, c’est l’essentiel qu’il leur manque. L’homme ne se nourrit pas seulement de pain mais aussi de vrai silence et de vraies paroles d’amour et de lumière, il y a en lui un désir infini qui ne se laisse rassasier par rien, un désir infini que seul l’Infini seul peut combler...’
Judas haussa les épaules et soupira : "Pauvre Messie, doux rêveur, il me faudra m’atteler à une tâche plus utile et plus solide que la tienne...". Ils restèrent ainsi côte à côte, absorbés l’un et l’autre par leurs pensées. Tout à coup, Judas se tint debout face à Yeshoua :
’- En l’honneur de YHWH notre Dieu, Yeshoua, nous devons rassembler toutes les nations et n’en faire qu’une seule ; sous l’étendard de son Nom, il ne faut qu’un seul chef, un seul maître du monde, et que tout lui soit soumis, c’est la juste solution. Tant qu’il y aura des différences de nations, de cultures, de langues, de races, de religions, nous ne serons pas à l’image de l’Unique. Voilà le Messie que le monde attend, quelqu’un qui lui dise ce qui est bien, ce qui est mal, et qu’il n’y ait plus qu’à suivre la loi, une loi unique pour tous...’ Judas s’exaltait : ’ Que vienne le Règne de Dieu, que son Nom soit imposé à tous ; dehors les infidèles, les impies, les impurs, que justice soit faite ! Il n’y a pas d’autres solutions, yeshoua. Prosternons-nous devant l’Unique, Yeshoua, incarnons-le, il n’y a pas d’autre réalité, pas d’autre Dieu !
- Ton Dieu unique n’est pas Dieu, Judas. C’est une idole, une idole du pouvoir, une idéologie...Notre Dieu n’est pas unique, il est Un. l’Un respecte le multiple et les différences - l’Unique les détruit. La vie prend de multiples visages, des corps sans ressemblances, et pourtant la vie est une...C’est le même air, le même souffle pour tous mais chacun le respire à sa façon. Tous les hommes ont le même squelette, la même structure, c’est vrai, et tu voudrais les réduire à ça...Pourquoi voudrais-tu les faire entrer dans un seul moule...Ne faut-il pas au contraire sauver les hommes de l’uniformité, de leur réduction au même par un seul pouvoir qui s’impose ?...Imagine un monde où les frontières n’arrêteraient personne, où les murs ne nous sépareraient pas les uns des autres, mais nous serviraient d’abri commun...
- Il ne suffit pas d’imaginer, Yeshoua ! Il faut obliger les hommes à faire le Bien, détruire toutes les frontières, abattre tous les murs, ne parler qu’une seule langue : nous devons imposer notre vision de la paix. Tu traites les hommes comme si, dans le fond, ils étaient libres, adultes et bons - tu rêves, Yeshoua ! Regarde l’histoire de notre peuple et celle de tous les peuples : les hommes sont mauvais, ce sont des enfants capricieux, si tu leur donnes trop de caresses, ils deviennent des bêtes stupides et féroces. C’est seulement en les menant par le fouet qu’ils deviendront doux et humbles.
- Je ne te crois pas Judas, on ne guérit pas le mal par le mal, la violence par la violence. On ne cueille pas des raisins sur des épines...Si on reconnaît un arbre à ses fruits, comment imagines-tu que de la haine naisse l’amour, que de la guerre vienne la paix ?
- Regarde l’histoire, Yeshoua ! répéta Judas. ’ Il se tint silencieux un moment puis s’approcha du puits. Après avoir regardé à quelle profondeur était le fond, il se tourna vers Yeshoua et lui dit :
’ - Un fils de Dieu ne devrait pas avoir peur de se jeter au fond du puits car il sait que Dieu est avec lui et que ses anges le soutiennent pour qu’il ne se fasse aucun mal...Voilà le messie qu’il nous faut, Yeshoua. Quelqu’un qui subjugue le peuple par son pouvoir, par sa magie. On ne pourrait pas ne pas le voir, il aurait le grand pouvoir de l’évidence, il serait la preuve indubitable de l’existence de Dieu.
- il serait la preuve indubitable d’un pouvoir qui se prend pour Dieu, ou qui surtout veut se faire prendre pour tel - un usurpateur, ton messie, Judas. Un grand magicien, un fiseur de miracles, lui répondit Yeshoua.
- Mais c’est ce qu’il nous faut, Yeshoua. Quelqu’un qui nous délivre du doute. Les hommes aiment être fascinés, séduits, obligés. Qu’est-ce qu’un messie qui nous laisserait un seul doute ? Qui ne nous aveuglerait pas de la lumière de son évidence ?
- Un Messie qui aime l’homme libre, Judas, qui ne le force ni à aimer, ni à croire !’
Yeshoua et Judas se rapprochèrent l’un de l’autre, fatigués comme après un vain combat. Chacun restait sur ses positions, chacun était sincère. Yeshoua s’approcha de Judas et lui donna un baiser en disant : " à bientôt mon ami..Maintenant, allons prier."
Un vrai dialogue d’ordre philosophique sur le sens de la Vie. A méditer !
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