J’entends bien les propos du reportage, mais deux choses me dérangent pas mal dans ce ce dernier : 1. Le scientisme, cette volonté de tout quantifier, même les choses les plus intimes, sans se rendre compte que cette approche légitime la conquête autoritaire et capitaliste de toutes les sphères de nos existences, sans se rendre compte que cette vision du bonheur est elle-même biaisée, occidentale, libérale (il n’est point un hasard que ce documentaire est Suisse) 2. Le journaliste qui se voit comme neutre, alors qu’il n’est que vecteur d’une idéologie particulière et dominante.
Alors qu’on croit être objectif (et donc supérieur aux autres civilisations) en faisant appel à la science jusque dans la quantification du bonheur (ce qui est parfaitement ridicule), on est en fait dans la pure foi. Si l’Etat et l’Eglise sont officiellement séparés, l’Etat a gardé la foi, la religiosité. Elle n’est plus chrétienne, elle est capitaliste, libérale, utilitariste (l’exemple de la sainte croissance est parlant). Si la nouvelle religion est le capitalisme, alors les archevêques sont les scientifiques et les prêtres sont les journalistes. L’exemple du riche qui est malheureux est édifiant, il est l’exact transposition du prêtre qui fait de la pauvreté une vertu, laissant les riches à leur occupation. "L’argent ne fait pas le bonheur mais continuez à travailler 8h30 par jour toute votre vie pour quelqu’un d’autre, tout va bien !".
Finalement, ce que les scientifiques de tout bord et les journalistes des mass médias ne perçoivent pas après 100 ans de recherches intensives et des milliards de dollars payés par la populace, le philosophe le sait depuis longtemps. La définition de l’émancipation humaine se trouve quelque part entre philosophie matérialiste et idéale. Je développerai la première et laisserai le soin de développer la seconde à plus avancé que moi.
Le malaise occidental moderne ne vient pas de ce que l’argent fait ou non le bonheur, mais de ce qu’une société libérale ne fait effectivement pas société. Or ce n’est qu’au sein d’une société, à partir de ses relations sociales, voulues et obligées à la fois, au milieu de ses semblables que l’homme peut atteindre la liberté. La société libérale, elle n’est qu’un amas d’individus. Comme le disait Bakounine, une société est dirigée par des moeurs, des us et coutumes, des traditions, des habitudes, et non pas par des lois. Là où la loi juridique est nécessaire, c’est déjà l’échec. Là où la police est présente, c’est déjà l’échec. Si elle a une présence temporaire pour certains problèmes, soit, mais notre non-société est en guerre permanente, interne et externe.
Alors une société, comme la nôtre libérale, qui veut éliminer toute tradition, toute coutume (car il serait nécessaire pour atteindre l’émancipation individuelle d’éliminer toute chaîne communautaire obligée), et être régie par le Droit (et donc les lois) et le Commerce (donc les liens impersonnels) ne peut aspirer au bonheur. Ma liberté ne s’arrête pas là où commence celle de l’autre, mais se prolonge lorsque l’autre est également libre. La science n’a donc aucun rôle là-dedans. En ce sens, ce reportage ne sert à rien.
L’étude du bonheur, en tant que phénomène social total (économique, politique, anthropologique...) et phénomène spirituel, ne peut être quantifié. Le reportage passant à côté de ça, il n’est à mon sens d’aucune utilité, sauf à propager une certaine vision du bonheur, une certaine idéologie. En d’autre terme, se cachant sous des airs d’objectivité, il est un instrument de propagande : invisible pour l’ignorant, subtile pour l’indécis, vulgaire et grossier pour celui qui veut voir.