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Commentaire de Emile

sur Rousseau et la science de l'homme


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Emile 17 septembre 2013 19:53

Pour ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir la pensé de Rousseau de façon claire, je les invite à se procurer le livre de Jean-Paul Jouary, qui s’intitule : Rousseau, citoyen du future
Je vous en fait partager un extrait :

C’est bien à nous, humains du XXIe siècle, que s’adresse Rousseau :

<< Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyen, et qu’ils aiment mieux servir leur bourse que leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine.Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.
[...] Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la Cité. Dans un Etat vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils payeront pour les remplir eux-mêmes. >>

N’est-on pas là au cœur des enjeux de notre époque ? Rousseau souligne comme une évidence qu’il ne saurait y avoir de souveraineté et de liberté politique sans l’intervention consciente et active de l’ensemble des citoyens. Cela suppose que la volonté d’un peuple ne puisse jamais être représentée. Ce qui re-présente est supposé rendre présent ce qui ne l’est pas, et rend donc possible toutes les distorsion, les dépossession, donc les pertes de souveraineté et de liberté. Rousseau le dit pour la représentation politique, et il le dit pour la représentation monétaire. La première peut se retourner contre la volonté réelle du peuple, la seconde peut se retourner contre sont économie réelle. Examinons ces deux questions qui sont intimement liées dans sa pensée comme dans notre réalité présente.

Première idée : Le peuple ne peut être représenté.
Rousseau n’ignore pas qu’il y a différentes formes de gouvernement comme la monarchie, l’aristocratie ou la démocratie. Mais il ni voit pas la distinction essentielle de la politique. Résumons en quelques mots. Rousseau prend ces trois mots au sens propre, et non au sens ou nous les entendons trop souvent aujourd’hui. Monarchie signifie prédominance d’un seul gouvernement (mono) et non pas la royauté. Ainsi l’actuelle Angleterre a-t-elle une reine sans aucun pouvoir et un parlement qui peut renverser l’exécutif, le premier ministre : il s’agit donc d’un régime parlementaire ; la France actuelle n’a pas de rois mais sont président peut dissoudre l’Assemblée et même supprimer les libertés publiques : il s’agit au sens propre d’une monarchie élective. Rousseau évoque donc la monarchie comme un système où le peuple confie le gouvernement à une personne qui se détache des autre dans sa considération, qu’elle soit ou non élue au suffrage universel. Il évoque aussi l’aristocratie, c’est à dire non pas le pouvoir de la noblesse mais, au sens propre, le pouvoir des meilleurs. En ce sens l’Angleterre est ainsi, comme les états unis ou l’Allemagne, une aristocratie élective puisque pour l’essentiel les pouvoirs sont confiés à un groupe de personnes. Il évoque enfin la démocratie au sens propre, c’est à dire le pouvoir exercé en totalité par l’ensemble du peuple. Et en ce sens il n’existe aujourd’hui que très peu de régimes démocratiques : ce fut le cas de la plupart des tribus qui palabraient avant de décider, comme c’est le seul cas de la suisse parmi les pays développés, puisque les élus y sont toujours soumis à la possibilité de référendums (les fameuses votation) imposés par un groupe de citoyens. Rousseau, ne n’oublions pas, était citoyen de Genève. En ce sens propre du mot démocratie la France, par exemple, n’en est pas une, puisqu’il est courant d’entendre ses gouvernants expliquer qu’ils ne veulent pas organiser de référendum auquel les citoyens risqueraient de répondre "non".

Rousseau évoque ces trois systèmes, mais l’essentiel se trouve pour lui ailleurs : la question décisive à ses yeux concerne la possibilité pour le peuple de conserver ou non sa pleine souveraineté. Écoutons ce qu’il disait du peu de suffrage qui existait alors de l’autre coté de la Manche : 

<<Le peuple anglais pense être libre il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien.>>

Et Rousseau ajoute sobrement : 

<<Dans les court moment de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.>>

C’est que, pour lui, la liberté ne saurait consister à confier par le suffrage tout le pouvoir à un ou plusieurs hommes. Ce prétendu contrat est un marché de dupe car dans un contrat, commercial par exemple, si la liberté de dénoncer le non-respect du contrat ne fait pas partie de l’échange, tout les vols sont possibles. C’est pourquoi il est liberticide d’élire des gouvernements de sorte qu’ils puissent après le vote considérer qu’ils peuvent décider ce que bon leurs semble sans que le peuple puisse se prononcer. Le "contrat social" de Rousseau n’est donc pas un contrat entre le peuple et le pouvoir, auquel on déléguerait le droit de diriger. C’est un contrat entre le peuple et lui même, une volonté qui émerge d’un débat conduit collectivement et rationnellement, et au terme duquel le peuple confie par suffrage à une ou plusieurs personnes non pas le droit de décider, mais le devoir d’appliquer les décisions prises. Gouverner c’est tenir le gouvernail, cela n’a rien à voir avec la définition du cap à suivre !
Pas de possibilité donc de re-présenter le peuple.

<< L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du gouvernement ont fait imaginer la voie de députés ou représentant du peuple dans les assemblés de la nation.C’est ce qu’en certains pays on ose appeler le tiers état. ainsi l’intérêt particulier de deux ordre est mis au premier et au second rang, l’intérêt public n’est qu’au troisième.
La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point, elle est la même ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaire ; ils ne peuvent rein conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. [...]
L’idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodale, de cet inique et absurde gouvernement dans le quel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentants ; on ne connaissait pas ce mot-là.>>

Ces paroles résonnent sans doute curieusement à nos oreilles de démocrates habitués à chercher des bergers providentiels pour leurs confier tous les pouvoirs. Mais Rousseau a lui les leçons de l’Antiquité et de la Renaissance italienne, et aussi le jugement de Montesquieu : 

<< À l’égard des élections du prince et des magistrats, qui sont, comme je l’ai dit, des actes complexes, il y a deux voies pour y procéder ; savoir, le choix et le sort. L’une et l’autre ont été employées en diverses républiques, et l’on voit encore actuellement un mélange très compliqué des deux dans l’élection du doge de Venise.
"Le suffrage par le sort, dit Montesquieu, est de la nature de la démocratie." J’en conviens, mais comment cela ? "Le sort, continue-t-il, est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie." Ce sont là des raisons.
Si l’on fait attention que l’élection des chefs est une fonction du gouvernement et non de la souveraineté, on verra pourquoi la voie du sort est plus dans la nature de la démocratie, où l’administration est d’autant meilleure que les actes en sont moins multipliés.
Dans toute véritable démocratie la magistrature n’est pas un avantage, mais une charge onéreuse qu’on ne peut justement imposer à un particulier plutôt qu’à un autre. La lois seule peut imposer cette charge à celui sur qui le sort tombera. car alors la condition étant également pour tous, et le chois ne dépendant d’aucune volonté humaine, il n’y a point d’application particulière qui altère l’universalité de la lois. >> 

La cause est entendue, le peuple ne peut être représenté : dès que le peuple considère qu’un gouvernant le représente, il cesse d’être gouverné pour être dirigé, dominé. C’est cette écart entre représentant et représenté qui rend possible la servitude, et c’est pourquoi dans la tradition démocratique, depuis l’antiquité, on s’est méfié de l’élection des gouvernants au suffrage universel et on lui a préféré le système du tirage au sort. Si je suis élu, j’aurais forcément tendance à considérer que l’on m’a choisi pour mes qualité et idées personnelles, et non pour appliquer les idées du peuple lui même. Au lieu de considérer la responsabilité de gouverner comme un devoir, je finirais vite par la considérer comme un pouvoir. Et le peuple des citoyens lui-même finira par considérer qu’il m’a choisi pour le diriger, et non pour lui obéir. C’est pourquoi l’idée même de re-présentation porte en elle le risque d’un transfert de pouvoir qui transforme les gouvernants en maîtres  : une fois re-présenté, le peuple lui-même cesse d’être présent. La prétendue représentation du peuple a pour conséquence l’absence politique du peuple, auquel se substitue le pouvoir de l’Etat.
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