Pour ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir la pensé de Rousseau de façon claire, je les invite à se procurer le livre de Jean-Paul Jouary, qui s’intitule : Rousseau, citoyen du future
Je vous en fait partager un extrait :
C’est
bien à nous, humains du XXIe siècle, que s’adresse Rousseau :
<<
Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des
citoyen, et qu’ils aiment mieux servir leur bourse que leur personne,
l’Etat est déjà près de sa ruine.Faut-il marcher au combat ? ils
payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ?
ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et
d’argent ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des
représentants pour la vendre.
[...]
Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de
finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la Cité. Dans un
Etat vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien
avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils
payeront pour les remplir eux-mêmes. >>
N’est-on
pas là au cœur des enjeux de notre époque ? Rousseau souligne comme
une évidence qu’il ne saurait y avoir de souveraineté et de liberté
politique sans l’intervention consciente et active de l’ensemble des
citoyens. Cela suppose que la volonté d’un peuple ne puisse jamais
être représentée. Ce qui re-présente est supposé rendre présent
ce qui ne l’est pas, et rend donc possible toutes les distorsion, les
dépossession, donc les pertes de souveraineté et de liberté.
Rousseau le dit pour la représentation politique, et il le dit pour
la représentation monétaire. La première peut se retourner contre
la volonté réelle du peuple, la seconde peut se retourner contre
sont économie réelle. Examinons ces deux questions qui sont
intimement liées dans sa pensée comme dans notre réalité
présente.
Première
idée : Le peuple ne peut être représenté.
Rousseau
n’ignore pas qu’il y a différentes formes de gouvernement comme la
monarchie, l’aristocratie ou la démocratie. Mais il ni voit pas la
distinction essentielle de la politique. Résumons en quelques mots.
Rousseau prend ces trois mots au sens propre, et non au sens ou nous
les entendons trop souvent aujourd’hui. Monarchie signifie
prédominance d’un seul gouvernement (mono) et non pas la royauté.
Ainsi l’actuelle Angleterre a-t-elle une reine sans aucun pouvoir et
un parlement qui peut renverser l’exécutif, le premier ministre : il
s’agit donc d’un régime parlementaire ; la France actuelle n’a pas
de rois mais sont président peut dissoudre l’Assemblée et même
supprimer les libertés publiques : il s’agit au sens propre d’une
monarchie élective. Rousseau évoque donc la monarchie comme un
système où le peuple confie le gouvernement à une personne qui se
détache des autre dans sa considération, qu’elle soit ou non élue
au suffrage universel. Il évoque aussi l’aristocratie, c’est à dire
non pas le pouvoir de la noblesse mais, au sens propre, le pouvoir
des meilleurs. En ce sens l’Angleterre est ainsi, comme les états
unis ou l’Allemagne, une aristocratie élective puisque pour
l’essentiel les pouvoirs sont confiés à un groupe de personnes.
Il évoque enfin la démocratie au sens propre, c’est à dire le
pouvoir exercé en totalité par l’ensemble du peuple. Et en ce sens
il n’existe aujourd’hui que très peu de régimes démocratiques : ce
fut le cas de la plupart des tribus qui palabraient avant de décider,
comme c’est le seul cas de la suisse parmi les pays développés,
puisque les élus y sont toujours soumis à la possibilité de
référendums (les fameuses votation) imposés par un groupe de
citoyens. Rousseau, ne n’oublions pas, était citoyen de Genève. En
ce sens propre du mot démocratie la France, par exemple, n’en est
pas une, puisqu’il est courant d’entendre ses gouvernants expliquer
qu’ils ne veulent pas organiser de référendum auquel les citoyens
risqueraient de répondre "non".
Rousseau
évoque ces trois systèmes, mais l’essentiel se trouve pour lui
ailleurs : la question décisive à ses yeux concerne la possibilité
pour le peuple de conserver ou non sa pleine souveraineté. Écoutons
ce qu’il disait du peu de suffrage qui existait alors de l’autre coté
de la Manche :
<<Le
peuple anglais pense être libre il se trompe fort ; il ne l’est que
durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont
élus, il est esclave, il n’est rien.>>
Et
Rousseau ajoute sobrement :
<<Dans
les court moment de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien
qu’il la perde.>>
C’est
que, pour lui, la liberté ne saurait consister à confier par le
suffrage tout le pouvoir à un ou plusieurs hommes. Ce prétendu
contrat est un marché de dupe car dans un contrat, commercial par
exemple, si la liberté de dénoncer le non-respect du contrat ne
fait pas partie de l’échange, tout les vols sont possibles. C’est
pourquoi il est liberticide d’élire des gouvernements de sorte
qu’ils puissent après le vote considérer qu’ils peuvent décider ce
que bon leurs semble sans que le peuple puisse se prononcer. Le
"contrat social" de Rousseau n’est donc pas un contrat
entre le peuple et le pouvoir, auquel on déléguerait le droit de
diriger. C’est un contrat entre le peuple et lui même, une volonté
qui émerge d’un débat conduit collectivement et rationnellement, et
au terme duquel le peuple confie par suffrage à une ou plusieurs
personnes non pas le droit de décider, mais le devoir d’appliquer
les décisions prises. Gouverner c’est tenir le gouvernail, cela n’a
rien à voir avec la définition du cap à suivre !
Pas
de possibilité donc de re-présenter le peuple.
<<
L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt
privé, l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du
gouvernement ont fait imaginer la voie de députés ou représentant
du peuple dans les assemblés de la nation.C’est ce qu’en certains
pays on ose appeler le tiers état. ainsi l’intérêt particulier de
deux ordre est mis au premier et au second rang, l’intérêt public
n’est qu’au troisième.
La
souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle
ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la
volonté générale, et la volonté ne se représente point, elle est
la même ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés
du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne
sont que ses commissaire ; ils ne peuvent rein conclure
définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée
est nulle ; ce n’est point une loi. [...]
L’idée
des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement
féodale, de cet inique et absurde gouvernement dans le quel l’espèce
humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur.
Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais
le peuple n’eut de représentants ; on ne connaissait pas ce
mot-là.>>
Ces
paroles résonnent sans doute curieusement à nos oreilles de
démocrates habitués à chercher des bergers providentiels pour
leurs confier tous les pouvoirs. Mais Rousseau a lui les leçons de
l’Antiquité et de la Renaissance italienne, et aussi le jugement de
Montesquieu :
<<
À l’égard des élections du prince et des magistrats, qui sont,
comme je l’ai dit, des actes complexes, il y a deux voies pour y
procéder ; savoir, le choix et le sort. L’une et l’autre ont été
employées en diverses républiques, et l’on voit encore actuellement
un mélange très compliqué des deux dans l’élection du doge de
Venise.
"Le
suffrage par le sort, dit Montesquieu, est de la nature de la
démocratie." J’en conviens, mais comment cela ? "Le sort,
continue-t-il, est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il
laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la
patrie." Ce sont là des raisons.
Si
l’on fait attention que l’élection des chefs est une fonction du
gouvernement et non de la souveraineté, on verra pourquoi la voie du
sort est plus dans la nature de la démocratie, où l’administration
est d’autant meilleure que les actes en sont moins multipliés.
Dans
toute véritable démocratie la magistrature n’est pas un avantage,
mais une charge onéreuse qu’on ne peut justement imposer à un
particulier plutôt qu’à un autre. La lois seule peut imposer cette
charge à celui sur qui le sort tombera. car alors la condition étant
également pour tous, et le chois ne dépendant d’aucune volonté
humaine, il n’y a point d’application particulière qui altère
l’universalité de la lois. >>
La
cause est entendue, le peuple ne peut être représenté : dès que
le peuple considère qu’un gouvernant le représente, il cesse d’être
gouverné pour être dirigé, dominé. C’est cette écart entre
représentant et représenté qui rend possible la servitude, et
c’est pourquoi dans la tradition démocratique, depuis l’antiquité,
on s’est méfié de l’élection des gouvernants au suffrage universel
et on lui a préféré le système du tirage au sort. Si je suis élu,
j’aurais forcément tendance à considérer que l’on m’a choisi pour
mes qualité et idées personnelles, et non pour appliquer les idées
du peuple lui même. Au lieu de considérer la responsabilité de
gouverner comme un devoir, je finirais vite par la considérer comme
un pouvoir. Et le peuple des citoyens lui-même finira par considérer
qu’il m’a choisi pour le diriger, et non pour lui obéir. C’est
pourquoi l’idée même de re-présentation porte en elle le risque
d’un transfert de pouvoir qui transforme les gouvernants en maîtres
: une fois re-présenté, le peuple lui-même cesse d’être présent.
La prétendue représentation du peuple a pour conséquence l’absence
politique du peuple, auquel se substitue le pouvoir de l’Etat.
...
22/09 09:31 - Éric Guéguen
Pourquoi les penseurs perses musulmans du Moyen Âge se sont-ils plus à citer et commenter (...)
22/09 09:29 - Éric Guéguen
22/09 02:53 - cass_la gauloise
Guegen " Les Grecs, eux, ont pensé l’universel de manière spontanée, comme allant de soi." (...)
20/09 10:00 - Éric Guéguen
Cher micnet, merci pour votre commentaire. J’ai compris la même chose que vous. En définitive, (...)
19/09 22:26 - micnet
19/09 22:24 - micnet
@Eric Gueguen Merci beaucoup pour le partage ! Pour ma part, voici en synthèse ce que j’en ai (...)
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