@guepe.
La suite 2.
Les secrets ressortent des cartons
secret-défense des archives. Ni le temps ni même le
secret qui les entoure depuis des décennies n’ont
effacé de la mémoire collective, l’encre séchée sur
ces pages jaunies et sombres de l’Histoire entre la
France et certaines de ces anciennes colonies.
Massacre de Thiaroye, livraison d’armes dans la guerre
du Biafra ou réarmement trouble de la métropole dans
le génocide au Rwanda... En dépoussiérant les
archives, la revue « XXI » rappelle ces inavouables
crimes français en Afrique et pose, par la même
occasion, l’épineuse question de la déclassification
des archives françaises.
Si
les murs de l’Elysée pouvaient parler, ils nous
diraient tant. Pour l’heure, ce sont ses archives
qui parlent en tout cas pour l’Afrique. Dans son
numéro 39 d’automne 2017, la revue XXI revient sur
les pages sombres de l’histoire franco-africaine
avec un dossier intitulé « Nos crimes en Afrique ».
Trois dossiers sont exhumés en dépoussiérant les
cartons secret-défense des archives françaises.
Rwanda,
l’ordre immoral de réarmer les génocidaires
Sous
la lumière tamisée du sous-sol des archives, deux
hauts fonctionnaires sont chargés d’éplucher, entre
1990 et 1994, des documents se rapportant à
l’Afrique. Mais face à l’horreur retranscrite sur
les pages, ils referment les cartons. Qu’ont-ils vu
? Sans doute cette note manuscrite confiée par un
haut-fonctionnaire au journaliste Patrick de
Saint-Exupéry, qui intime l’ordre aux soldats
français de réarmer les Hutus. Ceux-là mêmes qui
venaient de massacrer, selon un bilan à jamais
provisoire, quelque 800 000 Tutsis.
Trois
mois après le début du génocide, la France de
François Mitterrand, engagée au début aux côtés du
président rwandais Juvénal Habyarimana contre les
rebelles tutsis, envoie 2 500 soldats au Rwanda lors
de l’opération « Turquoise », lancée en juin 1994.
Officiellement,
il faut « mettre fin aux massacres partout où cela
sera possible, éventuellement en utilisant la
force », selon le mandat de l’ONU. Officieusement,
selon Patrick de Saint-Exupéry, les militaires
français reçoivent l’ordre de remettre des armes aux
Hutus, qui se ruent pour passer la frontière, mis en
difficulté par les rebelles du Front patriotique
rwandais (FPR), constitué d’exilés tutsis dont Paul
Kagamé.
En
plus de poser une clause de conscience aux
militaires, cet ordre immoral se fait en violation
flagrante de l’embargo sur les armes décrété par
l’ONU en mai de la même année. De quoi relancer les
spéculations sur le rôle sombre de la France dans le
pays des mille collines. En tout cas pour l’heure,
en dépit des promesses, des enquêtes, des appels à
un devoir de mémoire, les archives restent secrètes
sur le Rwanda. Une boîte de Pandore ? Seule leur
déclassification permettrait d’avoir des réponses
précises.
Sénégal,
les tombes sans nom des tirailleurs massacrés à
Thiaroye
image :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6c/Thiaroye_Mural_DSCN1029. jpg
Après
avoir promis de donner au Sénégal les archives sur
le massacre de Thiaroye, François Hollande se rend
dans cette banlieue dakaroise en novembre 2014 pour,
dit-il, « réparer une injustice et saluer la mémoire
d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur
lesquels les Français avaient retourné leur fusil ».
A
la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France
entreprend le « blanchiment » des troupes en
remplaçant les tirailleurs issus du Sénégal, du
Dahomey (actuel Bénin), du Soudan français (actuel
Mali), de la Côte d’Ivoire, de l’Oubangui-Chari
(actuelle Centrafrique), du Niger, du Tchad, du
Gabon et du Togo, par des soldats français de
souche. Des milliers de soldats sont alors
démobilisés des villes françaises vers le camp de
Thiaroye. Avant d’embarquer, certains réclament le
paiement intégral de leur pécule, leurs indemnités,
leurs arriérés de solde et leurs économies
enregistrées dans des livrets d’épargne, et ne
partiront pas.
Sur
le camp de la banlieue dakaroise, la contestation
des tirailleurs gagne en ampleur, notamment lors de
la visite d’un général. La suite ? Des gendarmes
français, appuyés de tirailleurs coloniaux, ouvrent
le feu sur les soldats noirs. Bilan, 70 morts au
total dont 35 suite à leurs blessures, selon les
archives. Une version de l’Etat français que
contestent, tant sur les chiffres, les
circonstances, les origines, les motifs et le
déroulé, plusieurs spécialistes qui indiquent que
des archives ont été en partie soustraites pour ne
pas donner une idée sur l’ampleur des faits. Malgré
la nationalité française récemment octroyée par
François Hollande à des tirailleurs, l’ouverture
complète des archives tarde à venir. Elle
permettrait pourtant de mettre des noms sur les
tombes de ces soldats inconnus qui meublent le
cimetière qui leur est dédié.