@Sutter Kane
En effet,
aucun principe ne doit être absolu, surtout lorsqu’on parle de liberté (un
terme que je n’aime pas utiliser quand on parle de principe d’organisation car
on le se confond souvent avec son sens métaphysique, je préfère généralement
utiliser le terme de « droit »), la liberté sans limite c’est la loi
du plus fort.
Ce que vous
dites est vrai, pour protéger l’ordre social, et assurer la survie même de la
société, celle-ci doit limiter l’expression. La liberté d’expression
« réelle » n’existe pas et n’existera probablement
jamais tant que nous resterons des animaux sociaux. L’expression
d’opinions sera toujours limitée par les normes sociales en vigueur, parce que
les individus vont s’autocensurer ou parce que leur communauté d’appartenance
fera pression sur eux. Toute communauté humaine a des normes et des interdits qu’elle
aura tendance à conserver et l’individu qui va à leur encontre se mettrait la
communauté à dos et serait traité comme
un pestiféré par les siens. Et heureusement il faut un minimum de
mœurs communes et une dose de conformisme dans une société pour qu’elle ne plonge pas dans le chaos.
Une fois
qu’on a dit cela, il y’a d’importantes nuances qui doivent être
introduites et c’est sur ces nuances
qu’il existe des divergences de perspectives assez radicales dans l’application
du principe de la liberté d’expression.
- Il
faut faire la distinction entre la
censure d’Etat et la censure au niveau interindividuel (dans laquelle on
pourrait mettre aussi l’autocensure). Ces deux types de censures, quand bien même
elles mèneraient à un résultat similaire n’impliquent pas du tout la même
chose. Rousseau avait énoncé un très bon principe : « C’est à
l’estime publique (opinion publique) à mettre la différence entre les méchants
et les gens de bien. Le magistrat n’est juge que du droit rigoureux mais le
peuple est le juge des mœurs ».
-La liberté
totale n’existe pas mais le vrai débat consiste à déterminer quelles expressions
devraient être interdites par la loi ? Quelles sont ces expressions que l’appareil
d’Etat qui dispose du monopole légal de la violence devrait réprimer ? En ce
qui me concerne , mon opinion est que les seules expressions qui entrent dans
ce cadre sont l’incitation à la violence (on ne doit pas pouvoir invoquer le
droit à l’expression lorsqu’on dit ou qu’on écrit « il faut exterminer les
Bretons » par exemple) , la calomnie (on ne doit pas pouvoir, par exemple,
invoquer son droit à l’expression quand on accuse publiquement son voisin
d’être un pédophile sans l’aube d’un début de commencement de preuve, surtout
s’il s’agit en réalité d’un mensonge fait dans la volonté de nuire à sa
réputation) et les expressions qui atteignent à la vie privée ( la communication
d’informations personnelles portant atteinte à l’intimité d’autrui comme la
divulgation du dossier médical par exemple ). En dehors de ces cas très spécifiques,
je considère que l’Etat n’a pas à intervenir, toute autre limite est liberticide
de mon point de vue. Par contre des groupes de pressions peuvent appeler l’opinion publique à marginaliser des
individus ayant tenus certains propos qu’ils jugent très négativement, et si
réellement ces propos vont à l’encontre des mœurs, des valeurs morales, philosophiques
et idéologiques en vigueur dans la société, cette pression fonctionnera, tout
va dépendre de l’état des rapports de force et de leur évolution au sein de
cette société.
Pour donner
un exemple concret la pédophilie est l’une des choses les plus ignobles qu’il
soit à mes yeux, pas seulement pour des raisons morales et philosophiques mais
aussi parce que durant mon enfance j’ai connu dans ma
classe en primaire une fille qui avait vécu un abus sexuel sur la route de l’école et ça avait particulièrement marqué mon esprit d’enfant. Il y’a peu de choses
que je trouve aussi détestables.
Et pourtant,
si un écrivain faisait dans ses textes l’apologie de la pédophilie (sans pour
autant inciter explicitement ses lecteurs à pratiquer la pédophilie), je serais
contre la censure étatique de cet écrivain. Ce dernier exprimerait une opinion
que je jugerais ignoble, néanmoins, je considérerai que ce n’est pas à l’Etat d’intervenir
pour le faire taire , à la police de l’arrêter et à un juge de le condamner. Par contre, je serais en faveur d’une campagne
médiatique pour informer l’opinion publique du contenu de ce livre, pour
expliquer par un raisonnement rigoureux et précis en quoi ce livre pose
problème et pour que des pressions sociales soient exercés contre cet écrivain,
contre son éditeur, contre les responsables commerciaux des lieux dans lequel
ce bouquin serait vendu , en espérant que le résultat serait que personne
ne veuille cautionner ce livre , que le bouquin soit marginalisé , que
plus personne n’accepte d’acheter , de vendre et de le diffuser , que l’ écrivain renonce de lui-même à faire l’apologie de cette pratique sexuelle
illégale et abjecte à l’avenir.
C’est la différence
entre la censure étatique et interindividuelle. L’une est extrêmement
dangereuse pour les droits fondamentaux, les libertés individuelles et l’Etat
de droit, l’autre relève du cours normal de la vie en société, de ses valeurs et de l’ordre moral public …