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Commentaire de Joe Chip

sur "Ils avaient la bave aux lèvres" : un journaliste de BFM TV visé par des "gilets jaunes" à Toulouse raconte son agression


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Joe Chip Joe Chip 26 novembre 2018 11:55

Je crains que le mouvement des gilets jaunes ne connaisse le même sort que celui des mineurs britanniques face au gouvernement conservateur de Thatcher au début des années 80. Les points communs sont nombreux, tant dans les revendications que le mode de confrontation choisi avec le pouvoir qui avait malheureusement conduit à la rupture entre les grévistes et l’opinion publique effrayée par les violences (et leur mise en scène médiatique).

Isolés politiquement, les mineurs s’étaient enfermés dans une révolte catégorielle et crépusculaire que Thatcher a pu ensuite facilement réprimer, avec le consentement implicite de la population.

Après cet épisode, il n’y a plus eu aucun mouvement social d’ampleur en Angleterre, et les néolibéraux conservateurs ou travaillistes ont pu dérouler leur programme sans entraves jusqu’au Brexit (qui comme la guerre de Troie, n’a en fait pas eu lieu). 

Il n’est donc pas impossible que le pouvoir macronien, conscient de sa faible représentativité politique, soit à la recherche de son "moment Thatcher" à travers cette mise en scène BFMisée d’une opposition frontale et verticale avec une partie soigneusement ciblée de l’électorat, poussée à une révolte du ventre de plus en plus violente. Malheureusement, les gilets jaunes ont largement prêté le flanc à cette récupération politico-médiatique en rejetant certaines catégories assimilées à des "pauvres non méritants" ("les gilets ne sont pas la France des assistés mais celle qui veut vivre de son travail") et en s’attaquant par ailleurs bêtement à des sous-fifres du système médiatique venus à leur rencontre dans la rue.

Je ne serais d’ailleurs pas surpris de voir Macron dépasser tactiquement le mouvement sur sa droite en promettant de réformer les mécanismes de redistribution de l’aide sociale. Si j’étais un de ses conseillers, c’est ce que je lui dirais de faire : s’appuyer sur les revendications les plus dures et catégorielles du mouvement pour imposer une réforme d’ampleur dés mécanismes de redistribution, habilement présentée sous l’angle de la "justice sociale". Qui pourrait alors s’y opposer ?  

Comme l’a rappelé Michéa, un des conseilleurs économiques de l’ombre de Macron — Mathieu Laine, habitué des plateaux de Taddeï — est un thatchérien pur et dur qui a préfacé plusieurs ouvrages consacrés à la première ministre britannique. Ce dernier a sans aucun doute théorisé l’affrontement nécessaire avec la plèbe. Mais pas n’importe quelle population. Ce n’est pas le peuple qui doit descendre dans la rue, mais une populace ciblée dont on doit donner l’impression au reste du pays qu’elle est incontrôlée de l’intérieur et pourrait donc devenir incontrôlable, justifiant ainsi une sévère reprise en main du pouvoir au nom du maintien de l’ordre social. Vieille tactique bourgeoise consistant à laisser le peuple se diviser puis à cogner sur la partie la plus agitée pour servir d’exemple.

L’autre grosse limitation de ce mouvement, c’est son caractère apolitique dont attestent les nombreuses tentative de lecture et d’appropriation par des courants divers et parfois contradictoires. Chacun semble projeter son idéologie sur les gilets jaunes et réinterpréter le "message" à l’aune de son propre prisme politique : les identitaires style Qirroreur y voient l’embryon du réveil ethnique de la France des petits blancs, tandis qu’ER décèle dans cette mouvance un "antisionisme" non formalisé, en publiant une photo d’un gilet jaune ressemblant vaguement à Soral. Michéa et les marxistes y voient bien entendu un mouvement pré-révolutionnaire en mettant de côté les nombreuses contradictions internes du mouvement (ils exigent une meilleure répartition spatiale de la redistribution, et non la "justice sociale"). Les militants UPR quant à eux sont déjà en train d’expliquer aux gilets jaunes que tout leur malheur sont causés par l’UE et qu’ils devraient se "politiser" (comprendre, s’inscrire à l’UPR). Certains libéraux conservateurs saluent même une révolte salutaire de la base contre l’impôt et la spoliation par l’Etat.

Enfin, il y a l’agoragogo de base enfermé dans sa bulle, le dissident glandu du web un peu identitaire, un peu marxiste, un peu antisioniste, un peu nationaliste, un peu tout ça et surtout rien, qui tel un poisson rouge gobe tout ce qui passe à sa portée en adhérant superficiellement à toute idéologie "antisystaaaayymeeeuuuh" pour peu que celle-ci n’exige de sa part aucun effort matériel, éducatif ou militant. 

Bref, c’est un kaléidoscope idéologique dans lequel, pour ma part, je ne décèle aucun ferment d’une révolution positive ni même d’une issue au système actuel. Je peux me tromper, mais pour moi ce mouvement catégoriel connaîtra le même sort que les bonnets rouges et petits pulls rose de la manif pour tous dont on nous disait déjà à l’époque (ici, tout particulièrement) qu’ils marquaient le début de la révolte.... les premiers ont fini par être récupérés par les socialistes bretons, les seconds sont allés pleurnicher devant la CEDH après avoir beaucoup dénoncé les violences policières dont ils ont ou auraient été victimes. Et n’oublions pas les neuneus du jour de colère et leur tentative parodique de "coup d’Etat" du 14 juillet, qui s’est soldée par une errance parisienne et quelques insultes bien senties aux "corps constitués" et aux militaires.

La meilleure preuve de tout ça, c’est que tous ceux qui ont glorifié cette mouvance (à commencer par les agoragogo locaux) sont bien entendu abstenus de pousser la solidarité jusqu’à aller les soutenir sur le terrain. Non, évidemment, c’est mieux de suivre tout ça derrière sa télé (un nous a même détaillé son après-midi de zappage fiévreux sur les chaînes infos) et de contribuer à la cause en en gerbant à longueur de posts contre BFM et ses journalistes de terrain.

Ubu Roi peut dormir sur ses deux oneilles, la populace est sous contrôle...


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