Osons le dire
« BHL, les cons vous saluent bien ! » Pierre ASSOULINE
[NDLR
: ce texte a été publié avant le scandale provoqué par l’illustre "faux
philosophe BOTUL" et dévoilant ainsi aux yeux de tous " la pensée
BHL toute nue", c’est pas beau !]
Attendez-vous dans les jours et les semaines à venir à un raz-de-marée d’images, de pensées, d’articles, d’interviews made in
Bernard-Henri Lévy. Son réseau étant sa plus belle réussite, c’est le
cas chaque fois qu’il publie un livre. Un bonheur ne venant jamais seul,
cette fois-ci, il en publie deux d’un coup. Ce qui nous devrait valoir
double ration d’hagiographie dans la grande et la petite presse. Pour
les “critiques” de De la guerre en philosophie (140 pages, 12,50 euros, Grasset), version remaniée d’une conférence, et de Pièces d’identité (1344 pages, 29 euros, Grasset), épais recueil de textes, articles, conférences, interviews, communciations urbi et orbi,
toutes choses déjà connues. Reportez-vous à vos gazettes favorites. Je
n’ai pas le goût d’acheter ces oeuvres et encore moins celui de les
lire, d’autant que je suis actuellement plongé dans un vertigineux
dictionnaire Tout Bach dont je compte vous entretenir bientôt -dix BHL nouveaux ne suffiraient pas à m’en sortir. Le dernier numéro du mensuel Transfuge nous
a donc dissuadé de céder à l’entreprise de béhachéilisation des
esprits, à supposer que l’intention nous en vînt. Pourtant, tout y était
en place pour en faire la réclame. Mais il est des effets pervers qui
échappent aux esprits les mieux intentionnés.
Il faut déjà passer l’épreuve de la
couverture du magazine, certainement visée par l’intéressé, tant elle
exprime le contentement d’être au monde, front métaphysique sur mine
marrackchie. Une fois digérée la photo à l’éclat nord-coréen, il faut
avaler le titre :”Bernard-Henri Lévy le dernier engagé”. C’est mauvais
signe pour la suite. 8 pages d’anthologie à la rencontre d’un personnage
si exceptionnel que la présentation en fait sans rire un “extraterrestre”. Il faut le lire pour le croire. Alors,
cet entretien ? Le philosophe-sic n’a pas bien connu Eric Rohmer mais
commence par consacrer quinze lignes à nous l’expliquer ; puis il
embraye sur Moravia méconnu parce que pas asez mort y compris de son
vivant car le clergé littéraire ne pardonnerait pas aux vivants d’être
vivants et Moravia n’a pas assez fait semblant de mourir de sa belle
mort mais de son vivant (vous êtes toujours là ?) ; après quoi il
prévient que si la littérature devait tourner le dos au “roman à idées” elle entreterait
dans un âge sombre ; il refuse le lamento sur la disparition des grands
écrivains au motif qu’il en connaît personnellement au moins trois
(Sollers, Kundera, Houellebecq) ; puis l’ancien combattant rappelle que
lorsqu’il accompagnait une unité combattante au front pendant la guerre
de Bosnie (!), il voyageait léger mais sans jamais oublier un exemplaire
du Kaputt de Malaparte dans son paquetage ; après quoi le
grand lecteur avoue son indifférence pour Kafka, Pessoa, Robbe-Grillet
au motif qu’ils ne seraient pas assez physiques ni incarnés ; et que
parmi les jeunes écrivains d’avenir, il tient à distinguer Yann Moix,
Christine Angot et Justine Lévy ; et il avoue chercher des traces de
Proust dans le Talmud (?) ou encore, ce qui n’est pas moins excitant, en
quoi Céline rivalise avec le Talmud ; il révèle s’appeler Bernard à
cause du Bernard Profitendieu des Faux-monnayeurs de Gide (et Henri, à cause d’Henri IV ?) ; il assure savoir de quoi il parle lorsqu’il s’exprime sur le Aurélien d’Aragon
puisqu’il l’a jadis interprété à la télévision ; il reprend à son
compte les vieilles lunes sollersiennes sur la nécessité pour l’écrivain
d’avancer masqué et de ruser en société afin de mieux y conduire
sa guerre ; enfin, car il faut savoir finir une interview malgré les
bonheurs qu’elle procure à l’individu lettré, BHL confesse ne pas
comprendre qu’il y en ait sur cette terre qui ne lisent pas, ce qui le
pousse à croire que seules la misère absolue et l’insensibilité à la
littérature séparent les humains. Voilà. Si après cela vous ne vous
précipitez pas sur ses deux nouveaux livres, c’est que vous êtes bouchés
à l’émeri. On allait oublier le meilleur. Un détail mais qui résume
bien l’esprit de notre intellectuel : Sartre. Passe encore l’apologie,
la thèse de la renaissance du vieux philosophe au contact de Benny Lévy,
sa supériorité sur Camus et Dos Passos (!), sa fausse réputation de
protestant coincé. Mais ça… :
“Les cons parlent tout le temps des Mots,
qui est son plus mauvais livre et qui est, surtout, une exécution en
règle de la littérature, un adieu sonore aux lettres, un texte
terroriste qui dit : on ferme, on éteint la lumière, on éteint tout
-tout cet imaginaire de la postmodernité, toute cette façon de dire le
dernier livre, le dernier tableau, etc. je n’aime pas ça. Mais La Nausée, par exemple… C’est tellement bien, La Nausée… Ca vaut le Voyage au bout de la nuit ! (…) L’Etranger, c’est très beau, mais ça n’a pas la puissance de La Nausée“
Les cons apprécieront. Quant à ceux
qui prétendent vivre en dehors de toute littérature, ils sont déjà morts
de leur vivant mais ils l’ignorent. Au fond, le magazine a raison :
c’est un extraterrestre. Les autres planètes doivent nous l’envier.
SOURCE :
http://passouline.blog.lemonde.fr/2010/02/04/bhl-les-cons-vous-saluent-bien/