@Joe Chip
Cela dit, on
retrouve tout de même une littérature anti-étatiste chez les nazis. Est-ce que
cette théorie a eu un impact, même limité, sur la pratique du pouvoir des nazis ?
C’est une question très intéressante à laquelle je n’ai pas le niveau de
connaissance requis pour répondre. Cependant, ce que je peux dire, c’est que l’Etat
nazis est très particulier et ne correspond pas à la conception qu’on se fait
de l’étatisme.
On est avec
le système nazi en présence d’une régression vers une forme étatique et
administrative « pré-moderne » (au sens de Max Weber) appliquée sur
une société et une économie moderne. Pour Max Weber, l’Etat bureaucratique est
une forme d’organisation générale caractérisée par la prépondérance des règles
et de procédures qui sont appliquées de façon impersonnelle par des agents
spécialisés. Le pouvoir est exercé et transmis par l’appareil administratif
lui-même, qui gomme la plupart des défauts et qualités individuelles et met en
valeur celles de l’organisation. En outre, les comportements des individus sont
fondamentalement modelés par les institutions ( le terme
« institution » provient du latin « institutio » équivalent
à « ce qui est institué, règle »).
Alors bien sûr, il s’agit d’un
idéal type, les choses ne se présentent jamais de façon aussi pure mais la
spécificité du système nazi, c’est qu’ils ont détruit volontairement les processus
institutionnels au nom du « culte du chef ». Il s’en est suivi, tout
le long de l’édifice nazi, l’établissement de relations d’homme à homme,
fondées sur la fidélité réciproque, l’échange de services et l’absolue dévotion
du « vassal » envers son « suzerain », mimant les relations d’allégeance qui se
sont établies entre les dirigeants et le Führer. On est donc passé des
relations institutionnelles à des relations interpersonnelles. Bien sûr, ces
relations d’allégeance existent dans toutes les bureaucraties, y compris celle
de la France d’aujourd’hui mais les nazis ont poussé cette logique à un tout
autre niveau. Et en plus de cela, le darwinisme social des nazis a encouragé l’émergence
de comportements violemment antagoniques au sein de l’élite et les éléments de
rationalité technique se sont de plus en plus enfouis dans des comportements de
concurrence entre personnes et institutions qui n’étaient pas réglementés. On
se retrouve donc avec un État Nazi qui régresse vers un modèle archaïque semi-féodal alors qu’il doit gérer une économie et un système militaire développés, cela a
été à l’origine de beaucoup de problèmes, notamment pendant la guerre.
Avec le
fascisme italien, on est tout de même dans une autre configuration. Et c’est certainement
lié au fait que le fascisme s’est construit en réaction à la fragilité de
l’Etat italien et va compenser cette fragilité en créant en Italie un Etat fort
et unitaire. Et c’est cette fragilité qui va les pousser à idolâtrer l’Etat (tout
dans l’Etat, rien contre l’Etat, rien en dehors de l’Etat). Idolâtrie de l’Etat
que les nazis ont substitué par l’idolâtrie de la race.