@maQiavel
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Oui, je n’arrivais
pas à me caler avec les explications de homo fabulus qu’il appuie sur une
présentation réifiée de la morale (un algorithme dans le cerveau et son schéma).
C’est la
confusion entre le modèle et la réalité, comme vous le dites, sur le fonctionnement de la morale, c’est aussi la posture difficile
de faire de l’objet de son étude, son préalable.
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Pour l’état
de nature, là aussi les philosophes des Lumières devaient trouver moyen de sortir
du cadre, qui était la raison et le fonctionnement de la société et pour ce
faire, le point d’observation était de partir de l’homme hors de la société. L’exercice
était d’autant plus difficile qu’il fallait aussi le sortir de sa condition de
créature divine, heureusement qu’ils avaient en réserve les penseurs grecs.
Mais on
tombe facilement alors dans la construction binaire de l’envers et de le
polariser : l’analyse critique devenant une analyse de rejet, alors que l’appui
est artificiel au point de transformer l’état naturel descriptif en normatif,
un investissement par compensation sur un possible et un ailleurs.
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Il y a un
autre niveau : Rousseau a pris connaissance des pensées de Hobbes (il en
parle dans son Discours). Et l’état naturel de l’homme, selon Hobbes, est la
"sauvagerie", l’expression mécanique de ses passions, l’agressivité permanente et
la destruction des autres pour se préserver et capter les biens nécessaires à l’existence.
On sait que son obsession était, à juste raison, les guerres de religions. Or
la guerre de tous contre tous ne s’exprime pas parce qu’on devient sauvage, qu’on
tombe dans un autre état d’existence, mais parce que l’état de confiance entre
les individus est détériorée au point qu’un nouvelle nécessité s’impose et
se répande : il vaut mieux tuer son voisin avant que celui-ci nous tue. Cela va
au-delà d’une affaire d’hostilité ou de ressentiment. C’est la loi des guerres
civiles.
Rousseau
présente un état de nature opposé : un homme placide, à l’agressivité
limitée aux situations de défense de son intégrité et de ses proches, aux moments sexuels.
On a donc
deux images de l’état de nature, parce-que deux rapports à la société : celle est Hobbes est une nécessité, une
solution pour l’homme, pourvu que la contractualisation civile soit bien
organisée, celle de Rousseau est au minimum un problème (il pose dans son
Discours que « la manière de vivre simple, uniforme, et solitaire qui nous
était prescrite par la nature » épargne l’homme les mollesses physiques et
les mauvaises passions inhérentes à la vie en société).
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Lucien
Malson, qui a justement repris le journal du docteur Itard dont le je parlais
plus haut, a montré qu’il n’y a pas de définition naturelle de l’homme. A l’état
sauvage, il n’est rien d’autre qu’un animal comme les autres, éventuellement
modifié par son éthologie s’il vit avec des loups ou des singes. L’humanité n’a
rien non plus de naturelle : elle n’est que construction culturelle.
Il y a donc
bien des lois naturelles, qui sont celle du vivant et des écosystèmes. Il n’y a
guère d’état naturel de l’homme, hormis son éthologie (les dispositions
physiques, les instincts, l’environnement de son espèce, des autres espèces, de
la nature). Il n’y a pas de droits naturels : ils ne sont que culturels.
Même si on est bien d’accord que la frontière est poreuse entre l’état animal
et la construction sociétale, il n’en reste pas moins qu’il y a déplacement
entre adaptation à l’environnement naturel, et adaptation à une organisation co-créée.
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Une autre
différence, sans doute, et un vecteur éminemment culturel, (plus que le cerveau ?) est la main (devenue libre depuis qu’elle ne s’accroche plus aux branches) qui
permet à l’homme de stocker, fabriquer, échanger, gérer. En ce sens, il est le
seul animalus oeconomicus.