Un article incroyable, vraiment
ahurissant.
« La personne responsable au sein
de McKinsey de contracter les marchés avec l’administration
française est un proche d’Emmanuel Macron. »
"Si McKinsey est si puissant,
c’est parce que Macron est l’idole des consultants."
Marianne : Pourquoi le cabinet de
conseil McKinsey est-il accusé par une commission d’enquête du
Sénat de ne pas payer ses impôts en France ?
Matthieu Aron : Le Sénat a mis au jour
un système d’optimisation fiscale mis en place par McKinsey France.
Un montage fiscal de frais facturés via la maison mère de McKinsey
dans le Delaware, aux États-Unis. Ce mécanisme est légal, mais le
problème est que le groupe ne paye pas d’impôts en France, tandis
que son chiffre d’affaires a atteint les 330 millions d’euros.
« Le cabinet McKinsey est bien assujetti à l’impôt sur les
sociétés en France mais ses versements s’établissent à zéro
euro depuis au moins 10 ans », dénoncent les sénateurs. C’est
pour cette raison qu’ils ont saisi les enquêteurs de Bercy.
« Toutes les procédures sont
déjà engagées par la direction générale des Finances publiques,
McKinsey paiera », a expliqué à son tour Bruno Le Maire.
L’utilisation du futur dans la voix du ministre laisse entendre que
Bercy a déjà examiné le dossier mais que sont actés les méfaits
jusqu’ici… Plus largement, le rapport du Sénat révèle un
doublement de dépenses pour les cabinets de consultants sous le
quinquennat d’Emmanuel Macron. Et il ne s’agit pas que d’un pic de
dépenses lié au Covid, mais d’une tendance exponentielle…
Dans quels secteurs de nos politiques
publiques est présent McKinsey ?
On a beaucoup parlé de McKinsey au
sujet de la pandémie. Et à juste titre, car rien que pour ce qui
est de la crise sanitaire, les contrats engagés ont dépassé les
12 millions d’euros. C’est le cabinet de conseil qui a suivi
la logistique de toute la vaccination en France. Les consultants de
McKinsey se sont en effet installés au cœur de Santé publique
France, et ont décidé comment organiser cette vaccination.
Mais on retrouve plus globalement ce
cabinet de conseil dans de nombreux secteurs : économie, défense,
santé, éducation. Un marché qui dépasse les 18 millions
d’euros a notamment été passé avec Bercy en 2021 pour identifier
des coupes budgétaires de l’État français. Et le même Bercy ne
s’est pas rendu compte, à ce moment-là, que McKinsey ne payait pas
ses impôts, c’est tout de même extraordinaire… Dans
l’éducation, les sénateurs ont mis au jour un contrat de
plus de 500 000 euros pour lequel McKinsey était chargé
réfléchir au « métier d’enseignant de demain ». Or en
quoi un consultant de McKinsey a-t-il plus de compétences qu’un
inspecteur d’académie ou un chercheur pour penser « l’enseignement
de demain » ?
En dehors de la question de leur
efficacité, ces contrats ne posent-ils pas un problème de nature
politique ?
Nous racontons en effet dans « Les
infiltrés, Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de
l’État » (Allary) que la personne responsable au sein de
McKinsey de contracter les marchés avec l’administration française
est un proche d’Emmanuel Macron. Karim Tadjeddine, de son nom, est
directeur associé de McKinsey au bureau de Paris, co-responsable de
« l’activité Secteur public », dans le langage associé.
C’est lui qui, devant la commission d’enquête du Sénat, était
incapable de détailler le contenu de la note de 500 000 euros
pour réformer l’éducation, et a dit que McKinsey payait ses
impôts en France, ce qui a conduit les sénateurs à saisir le
procureur pour savoir si ce dernier s’était rendu coupable d’un
faux témoignage.
Karim Tadjeddine siégeait avec
Emmanuel Macron à la Commission Attali. Ils avaient notamment rédigé
316 propositions « non partisanes ». Emmanuel Macron, en
2016, a préfacé un livre qui s’appelle « L’État en mode
start-up », dont Karim Tadjeddine était le co-auteur. Un an
plus tard, en 2017, Karim Tadjeddine a appartenu au staff de la
campagne d’Emmanuel Macron. Il s’était engagé, entre autres, à
monter un site Internet. On retrouve le nom de Karim Tadjeddine dans
les Macronleaks, et ce dernier a d’ailleurs reconnu que c’était
une erreur d’envoyer des mails à l’équipe de campagne du
candidat avec son adresse McKinsey…
Donc, oui, le problème est évidemment
politique, et les liens étroits entre la Macronie et Mc Kinsey
questionnent. Nous racontons d’ailleurs dans « Les
infiltrés » que d’autres cabinets sont concernés, comme le
Boston Consulting Group, qui a bénéficié de nombreux marchés avec
l’État, Accenture, qui est très présent dans le secteur
informatique, ou bien Roland Berger, le cabinet allemand. Nous avons
estimé à au moins un milliard et demi d’euros le chiffre annuel
des contrats, en prenant les agents de l’État, les opérateurs
publics, ainsi que quelques grandes entreprises publiques. La
commission sénatoriale arrive quant à elle au chiffre d’un
milliard d’euros pour l’ensemble des entreprises de conseil. Dont
plus de 324 millions pour quatre grandes entreprises publiques
EDF, RATP, La Poste et la SNCF. L’emprise des cabinets de conseil a
vraiment explosé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Est-ce parce que sa vision politique
penche en faveur de cette « consultocratie » ?
« Emmanuel Macron ? C’est
l’idole des consultants ! Tout simplement parce qu’il est comme
eux. Au ministère de l’Économie, il les fait déjà rêver. Il
s’habille comme eux, il pense comme eux, il connaît leurs codes,
les fondements de leurs métiers… » Alain Minc nous a livré
ce diagnostic en octobre 2021, lorsque nous l’avons interrogé
sur le rapport singulier du chef de l’État avec les « infiltrés ».
Il faut revenir au logiciel d’Emmanuel Macron en 2017 pour
comprendre. Il conçoit le monde comme les consultants, avec une
approche très pragmatique, qui ne se veut pas idéologique, même si
elle l’est aussi. Une manière de concevoir le monde par des
« process », une approche stylistique qui ressemble un
peu à une approche PowerPoint.
Le fait de faire passer les
travailleurs « en mode agile », pour reprendre le sabir
des cabinets de consultants, celui qu’on retrouve peu ou prou chez
Emmanuel Macron, surtout en 2017. Cette pensée repose sur la
défiance des fonctionnaires et de l’État. La croyance, pour
résumer, que ce sera toujours mieux dans le privé. D’autant qu’à
force de réduire les coûts, cela crée des failles. Et pour pallier
ces failles, on fait appel aux cabinets de conseil. C’est « le
paradoxe du serpent » : l’État paie deux fois des consultants
privés : pour lui faire faire des économies, puis pour suppléer
aux carences de ces mêmes consultants.
Car l’État pourrait assumer ces
missions...
Oui, et cela nous a conduits à la
situation totalement absurde de confier à des cabinets de
consultants des missions qui pourrait parfaitement être assumées
par des hauts fonctionnaires. Certains inspecteurs des finances nous
ont parfois raconté avoir été désavoués dans des missions
doubles : on demandait la même mission au haut fonctionnaire et à
un consultant, puis choisissait les préconisations rendues par le
consultant. Si les autorités politiques confient à des consultants
la politique qu’ils souhaitent mettre en place, c’est aussi pour
éviter de se heurter à des réticences de l’administration :
passer par le privé pour imposer les biais de ce même secteur
privé. C’est devenu un réflexe, on ne s’interroge même plus de
savoir si on a les moyens.
Pourtant, on ne compte plus échecs
dont les consultants sont responsables, qui se chiffrent en centaines
de millions d’euros. D’ailleurs, à chaque fois que la Cour des
comptes s’est penchée sur le travail de ces consultants, elle s’est
montrée très sévère…
https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/si-mckinsey-est-si-puissant-cest-parce-que-macron-est-lidole-des-consultants