Dostoïevski : quand la haine de soi devient "un plaisir amer et désespéré" qui vous enferme au sous-sol
Connaissez-vous les Carnets du sous-sol de Fédor Dostoïevski ? En quoi ce texte est-il porteur d'une théorie du désir ? Pourquoi le plaisir et la souffrance sont-ils liés ? Pourquoi l'amour et la haine de soi sont-ils incompatibles ?
Lire les grands écrivains, c'est être lu par eux. Les comprendre, c'est avoir la sensation étrange de nous retrouver dans ce qu'ils disent, et dans les personnages qu'ils décrivent, comme si ils parlaient de nous, ou de quelqu'un de notre connaissance. Et que eux-mêmes, ces écrivains, nous comprenaient. Du coup, malgré le temps, les siècles même, qui nous séparent d'eux, on peut avoir ce sentiment qu'ils sont toujours aussi vivants. C'est ainsi qu'un Classique, c'est un auteur, ou une oeuvre, qui est toujours aussi actuelle qu'à son époque. Il n'est pas dépassé, il n'a pas vieilli. En clair, il perçoit si bien la psychologie humaine, qu'il est de toutes les époques et de tous les pays. En l'occurence, Dostoïevski, écrivain russe du 19ème siècle, fait partie de ces auteurs, je devrais dire de ces génies, qui parlent de nous, même si cela ne va pas forcément nous faire plaisir, comme nous allons le voir.
En 1864, il publie un petit texte, d'environ 150 pages à peine, intitulé les "Carnets du sous-sol". Et dans lequel sont déjà présents tous les grands thèmes qu'il abordera ensuite dans ses grands romans fleuves ; à savoir : "Crime et châtiment", "L'Idiot", "Les Démons", et bien sûr "Les frères Karamazov".
Alors, quel est l'enseignement de Dostoïevski dans cette nouvelle ?
Que nous dit-il de nous ?
Et pourquoi ce qu'il nous apprend est-il si important ?
DOSTOÏEVSKI - C'est quoi LA HAINE DE SOI ?
Kosmos :
"Le personnage du sous-sol est pathétique... végétant dans sa haine et sa rancoeur."
"En réalité, le sous-sol est aussi la métaphore du ressentiment que le personnage éprouve envers lui-même, et dans laquelle il est enfermé.""Le narrateur est persuadé qu'il est supérieur aux autres... Il se voit comme un héros de roman. Mais quand il sort de chez lui, il est craintif et faible."
"Il est parfaitement conscient de son propre ridicule. Et c'est précisément ce qui le fait souffrir."
"Cette relation entre plaisir et souffrance, cette jouissance du personnage à se faire du mal à lui-même et dans le même temps le dégoût qu'il s'inspire, est ici le point culminant de tout le propos de l'auteur. Et c'est ce qui fera dire à Nietzsche, par exemple, que Dostoïevski est le seul à lui avoir appris quelque chose en psychologie."La seconde partie du roman (à 8:35) : "c'est là que le personnage raconte les événements qui l'ont conduit à vivre dans un sous-sol."
"On est toujours attiré par ceux qui nous font souffrir."
"Derrière ça, il y a pour Dostoïevski une critique farouche d'un courant de pensée très important au 19ème siècle : l'utilitarisme. Ce courant repose sur l'idée simple, on pourrait même dire sommaire, que les Hommes sont toujours à la recherche de leur bonheur. Et que tout ce qu'ils font, ils le font pour être heureux, quitte à ce que cela prenne la forme d'un calcul d'intérêts ; à savoir : quelle action dois-je faire pour être le plus heureux possible et que les autres le soient avec moi ?"
"Pour Dostoïevski, les Hommes jouissent de leur amour-propre blessé."
"Pourquoi le narrateur éprouve du plaisir à être rejeté ?"
Désir mimétique (René Girard)
"L'obstacle devient à la fois celui que l'on déteste et celui qui nous fascine.""D'une certaine manière, Dostoïevski permet de comprendre qu'un amour véritable exige un oubli pur et simple de soi-même ; un abandon, et cela quel qu'en soit le prix. A commencer d'arrêter de jouer à être un personnage de roman. Et donc de cesser de se haïr si on n'en est pas un. Ce qui est impossible pour le narrateur."
(à 23:42) Lecture de "quelques lignes magnifiques"
...
Fin de la vidéo : "Je me pose une question complètement oiseuse : que vaut-il mieux ? Un bonheur bon marché, ou une souffrance qui coûte cher ?"
- Complétons cette vidéo avec ces extraits du livre de Marguerite Souchon : "Le Dieu de Dostoïevski"
Extraits (pages 54 à 56) :
« Le héros lui-même, d'ailleurs, sent intuitivement qu'il existe une issue meilleure que la sienne, quelque chose de confus mais qui a un lien avec la "vie vivante"... Drôle d'expression, certes, mais ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Le chemin, la vérité, la vie ? Notre ami a soif de transcendance. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Dostoïevski, qui notait dans ses brouillons des Carnets du sous-sol :
L'Évangile prévoit que l'instinct de conservation et les lois de la science ne découvriront rien et ne satisferont jamais les Hommes, qui ne peuvent trouver de satisfaction non dans le progrès et la nécessité, mais dans l'acceptation morale d'une beauté supérieure.
(Cité par Jones, M. (2002). Dostoevskii and religion, in W. Leatherbarrow (dir.), The Cambridge Companion to Dostoevskii, Cambridge University Press, Cambridge, p.161)
[...]
Si le héros a compris qu'il fallait lutter contre le rationalisme, il n'a en revanche pas réusi à trouver l'échappatoire dont il sent pourtant confusément qu'elle existe. Et puis, comment l'atteindre, depuis le fond d'un sous-sol ?
[...]
Souffrir pour se racheter
Bien entendu, les Carnets du sous sol comportent plus d'une idée et ne sont pas un pamphlet monomaniaque, Dostoïevski est plus fin que ça. Un autre passage doit attirer notre attention :
Écoutez-moi : le plaisir consistait justement en une intense conscience de la dégradation, justement en ceci que je me sentais descendre au dernier degré de l'avilissement [...]. J'ai beaucoup d'amour-propre. Je suis toujours en méfiance et je m'offense facilement, comme un bossu ou un nain. Eh bien, à certaines heures, n'importe quoi, d'injurieux ou de douloureux, voire un soufflet, m'eût rendu heureux. Je parle sérieusement : cela m'eût causé un réel plaisir, il va sans dire un plaisir amer et désespéré, mais c'est dans le désespoir que sont les plaisirs les plus ardents, surtout quand on a conscience de ce désespoir...
(Carnets du sous-sol, Chapitre II) »
"Le Dieu de Dostoïevski", Marguerite Souchon, Éditions Première Partie
- Fiodor Dostoïevski : Les Carnets du sous-sol par Patrice Chéreau (2002 / France Culture)
Fiodor Dostoïevski : Les Carnets du sous-sol par Patrice Chéreau (2002 / France Culture). Seul dans son souterrain, un homme parle et parle encore. Une lecture d’extraits par Patrice Chéreau de ce texte longtemps méconnu, le 1er mars 2002 au Théâtre de l'Odéon. Portrait de Fiodor Dostoïevski par Vassili Perov, 1872. Traduit du russe par André Markowicz. Réalisation de Jean Couturier. Lecture de Patrice Chéreau. Publié en 1864, "Les Carnets du sous-sol", longtemps méconnu, est pourtant un texte central dans l'œuvre de Dostoïevski. Réfugié dans son sous-sol, le personnage que met en scène Dostoïevski parle et parle encore. Cet homme parle de lui et dit la haine, la solitude, l'humiliation. Il ne cesse de conspuer l’humaine condition pour prôner son droit à la liberté. Et il n’a de répit qu’il n’ait, dans son discours, humilié, diminué, vilipendé les amis de passage ou la maîtresse d’un soir. Un monologue féroce et imprécatoire, magnifiquement rendu par la traduction d’André Markowicz.
Source : France Culture
Chaîne YouTube Le Sémaphore
Fédor DOSTOÏEVSKI
Babel - Actes Sud
Traduit par André MARKOWICZ
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Sur Twitter :
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Tags : Livres - Littérature Philosophie Culture Russie Psychologie
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