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Du patriotisme en sport à l’esprit sportif (1/2)

 

Pour les membres de l’hyperclasse à l’idéologie mondialiste jugeant les réalités nationales dépassées – qu’elles soient politiques ou, plus largement, culturelles – et souhaitant la dissolution de tout ce qui représenterait encore leurs spécificités, il est très mal vu d’être patriote. Pour ces personnages – par utopie d’un gouvernement mondial et, pour les plus vicieux d’entre eux, en rêvant fort égoïstement de soumettre tous les peuples du monde à un racket bancaire généralisé –, il faut supprimer l’échelon territorial national. Pour ce faire, il faut logiquement anéantir les sentiments nationaux, culpabiliser ceux qui en sont encore porteurs – en les comparant, par exemple, à des partisans du repli sur soi par xénophobie ou racisme. Il n’y a pas que le mondialiste pur et dur qui a pour ennemis les nations libres – donc les peuples autodéterminés – et les patriotes assumés. Il y a également son cousin l’impérialiste. En effet, il existe ce temps où notre pays est sous l’influence d’un empire s’appuyant sur notre sentiment national afin de convaincre nos militaires à partir à la guerre au seul bénéfice d’intérêts privés et définis par cet empire. Le reste du temps sinon, ce sentiment – soit l’amour du pays – doit être moqué voire voué aux gémonies.
Par contre, il existe un domaine à travers lequel il est tout le temps bien vu d’être patriote : c’est en sport. Pourquoi ? Car il fait vendre ! Le meilleur exemple de compétition rentable est, bien entendu, la coupe du monde de football dont la prochaine – au moment où j’écris ceci – doit se produire au Qatar, avec ses émirs très argentés. Le football est le sport le plus populaire au monde et celui qui fait vendre le plus – avec places, produits dérivés pour les supporteurs, messages publicitaires entrecoupant les retransmissions télévisées des matches. Le philosophe contemporain Jean-Claude Michéa, dans une entrevue pour les Inrockuptibles le 18 mai 2014, craint même que « le football d’élite ne finisse un jour par se transformer en une nouvelle variante hollywoodienne de Rollerball [nom d’un film de 1975], sur fond de pom-pom girls déchaînées, de coupures publicitaires incessantes et de vente industrielle des reliques marchandes appropriées ». Nous n’en sommes pas tout-à-fait là, mais…
Il ne s’agit pas, bien sûr, de critiquer ce que l’organisation d’une coupe du monde de football peut fournir en emplois aux populations autochtones. Néanmoins, ils risquent fort d’être à durée déterminée, naturellement bornée par la durée de la compétition. Dans ce cas, un peuple relativement pauvre, au lendemain du coup de sifflet final de cette dernière, reste dans sa misère. Comme nous le dit Michéa dans son livre sur le football, intitulé Le plus beau but était une passe (1), n’oublions pas non plus que « ces grandes cérémonies mondialisées » comme cette coupe mais aussi « les expositions universelles » ou « les jeux olympiques » permettent, telles « une catastrophe naturelle ou une guerre », de faire table rase du passé et d’installer « en un temps record – dans une région donnée du monde – certaines des infrastructures (urbanisme adapté à l’automobile, complexes hôteliers géants, centres commerciaux tentaculaires, nouveaux systèmes de transport et de communication, etc.) exigées par une économie « moderne » et « compétitive », autrement dit, capitaliste ». Ces espaces risquent, pourtant, de rester déserts au terme des précédents événements. Absurdité…
Il s’agit de dénoncer également la récupération du sport professionnel par des logiques commerciales déracinantes et rendant narcissiques des sportifs à qui sont versés des salaires exorbitants et qui nous fournissent un jeu si intensif qu’il en devient crispant. D’où, puisque l’exemple par excellence reste le football, la peur au ventre à propos d’une éventuelle mauvaise passe conduisant un joueur à se mettre à dos les sponsors qui, jusqu’ici, veillaient sur lui comme la prunelle de leurs yeux ; sans oublier les supporteurs surexcités, se comportant comme des consommateurs hystériques qui exigent – sinon c’est le caprice avec éventuelle violences verbales et physiques –, que leur équipe gagne. Dans l’ouvrage précédent, Michéa trouve – en reprenant l’intellectuel marxiste uruguayen Eduardo Galeano – que « l’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir ». Autrement dit, « le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable ». Car, plus largement, « à mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer ».

 

Le philosophe français Albert Camus a joué comme gardien de but en junior dans le club du Racing universitaire d’Alger. Dans un entretien tiré du bulletin du club et datant de 1953, Camus déclare sa flamme au football puisqu’il y retrouve des valeurs de camaraderie, de partage. Par ailleurs, en 1959 – dans Pourquoi je fais du théâtre ? –, il écrit : « Vraiment le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. » Le football en question est, bien entendu, de niveau amateur.
Quelques années auparavant, l’écrivain anglais George Orwell, dans un article de journal appelé L’esprit sportif, nous parle du comportement des spectateurs « et, derrière ceux-ci, des peuples qui se mettent en furie à l’occasion de ces absurdes affrontements et croient sérieusement – du moins l’espace d’un moment – que courir, sauter et taper dans un ballon sont des activités où s’illustrent les vertus nationales ». Ses propos peuvent sembler exagérés et trop méprisants vis-à-vis de la pure pratique sportive. Il évoque pourtant des pays qu’il connaît, « comme l’Inde ou la Birmanie », dans lesquels, à l’époque (c’est-à-dire en 1945), « de solides cordons de police doivent être mis en place, lors des matchs de football, pour empêcher la foule d’envahir le terrain ». En Birmanie, Orwell, alors sergent, a vu des « supporteurs d’une des équipes déborder la police et mettre le gardien de but de l’équipe adverse hors de combat à un moment critique ». Orwell ajoute que, une fois suscité « un violent sentiment de rivalité, l’idée même de jouer selon les règles devient caduque. Les gens veulent voir un des adversaires porté en triomphe et l’autre humilié, et ils oublient qu’une victoire obtenue en trichant ou parce que la foule est intervenue n’a aucun sens. Même lorsque les spectateurs n’interviennent pas physiquement, ils tentent au moins d’influencer le jeu en acclamant leur camp et en déstabilisant les joueurs adverses par des huées et des insultes. ». Je pense que, dans le but de rendre moins caricatural le témoignage d’Orwell ne manquant pas non plus d’intérêt, ce sentiment de rivalité peut être mis en relief avec la violence économique relative à l’évolution du capitalisme. Une violence qui ne date pas d’hier. D’autant que, comme nous le rappelle l’écrivain contemporain David Peace dans une entrevue pour Libération le 27 août 2014, si le football naît au sein de la classe ouvrière britannique à l’ère industrielle, il n’a jamais, en réalité, appartenu aux supporteurs. Effectivement, les clubs « ont toujours appartenu à la bourgeoisie capitaliste » (2). Orwell, lui, nous dit bien que c’est à un certain niveau que « le sport n’a plus rien à voir avec le fair-play » c’est-à-dire l’esprit sportif, cet esprit qui nous ancre dans le respect du règlement du jeu, de l’adversaire et de son éventuelle victoire. Le niveau en question, nous pouvons le confondre avec le niveau professionnel moderne, beaucoup trop adapté à l’utilitarisme marchand, à la confusion entre relation humaine et relation commerciale, à la pression des sponsors ainsi que des médias – ayant leurs propres sponsors, quand ce n’est pas le gestionnaire d’une banque qui en est l’actionnaire principal. Peace – auteur de Rouge ou mort, livre sur Bill Shankly (3), l’entraîneur communiste du F.C. Liverpool des années 1960 – nous dit bien dans la précédente entrevue : « Aujourd’hui, le lien entre la communauté des supporteurs et les clubs a totalement disparu, et à mes yeux les clubs ne sont plus que des marques. Et les supporteurs se sont mués en clients.  » Envers et contre tout, Shankly, justement, défendait, pour sa part, (je le cite) « une sainte trinité » footballistique, rassemblant « les joueurs, le manager et les supporters ». Il ajoutait : « Les présidents n’ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste là pour signer les chèques. »

 

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(1) Hommage au jeu en passes (football)

 

Une remarque intéressante à propos du titre du livre de Jean-Claude Michéa, Le plus beau but était une passe. Il fait allusion à la réplique d’Éric Cantona quand, dans le célèbre documentaire Looking for Éric, on lui demande quel est le plus beau but de toute sa carrière. Notre très populaire ancien joueur de l’équipe de France de football répond : « Mon plus beau but ? C’était une passe ! » Pour celui qui a écrit le précédent ouvrage, cela (je le cite) constitue un bel hommage au « passing game qui définit, depuis la fin du XIXe siècle, l’essence même du football ouvrier et populaire – autrement dit, construit et tourné vers l’offensive ». Le passing game – le jeu en passes – s’oppose au dribbling game – le jeu en dribbles, encore appelé kick and run – ayant, ces dernières années, pris une certaine ampleur par l’individualisation des joueurs professionnels qui prennent la grosse tête en étant pris pour des mégavedettes médiatiques aux salaires exorbitants.

 

Si le football est une invention anglaise, le jeu en passes sera réellement développé par les ouvriers écossais dès les années 1870. En effet, comme nous l’explique un article de ballon-football.com, une équipe est, jusqu’à cette époque, « en très grande partie composée d’attaquants. Pour preuve, en 1872, l’Angleterre affronte l’Ecosse en alignant un arrière, un milieu et huit avants tandis que son adversaire place deux joueurs en défense, deux au milieu et six en attaque. Un match comme celui-là se compose surtout de longues échappées en solitaire des avants. L’attaquant conserve la balle au maximum et essaie de se débarrasser des arrières en les dribblant pour ensuite tenter de marquer ». Les Ecossais vont, par la suite, développé un jeu en passes qui va s’avérer être un grand succès. En 1878, ils battent l’Angleterre 7 à 2. Ce nouveau style de jeu va alors se répandre à travers l’Europe puis le monde. D’où les triomphantes équipes nationales telles l’Autriche des années 1930, la Hongrie des années 1950, le Brésil des années 1970.
Notons qu’à la dernière coupe du monde (2014) les deux plus belles équipes ayant évolué sur le terrain ont développé un jeu en passes. Je veux parler de la Colombie – soient les « néo-Brésiliens » du football, mais leurs bonnes performances vont-elles s’ancrer dans la durée ? – et évidemment l’Allemagne, l’équipe victorieuse de la compétition, avec une formation en 4-5-1 misant sur la possession de balle en milieu de terrain et l’esprit collectif. Je me souviens avoir entendu des journalistes télés affirmer que les Allemands d’aujourd’hui jouent comme les Brésiliens d’autrefois. Tant mieux, donc, que les gagnants soient les Allemands afin qu’encore en 2014, contre toute attente, le monde entier voie, devant lui, se dérouler une leçon de jeu en passe ». A condition, bien sûr, d’être plus sensible à ce dernier qu’au jeu en dribbles. Or, si devenir adulte c’est notamment devenir altruiste alors, dans le domaine du football, c’est pratiquer le jeu en passe.

 

(2) Au nom de la justice et de l’esprit sporitf, nous pourrions défendre une organisation de clubs autogérés par les joueurs et les supporteurs fidèles. Ce qui demande de rompre avec l’actuel système économique ultra dominant. Il ne faut pas, par ailleurs, oublier, en termes de référence historique, la belle expérience du club brésilien des Corinthians, dans lequel évoluait le célèbre joueur Sócrates, autogéré au début des années 1980.

 

(3) Bill Shankly : de l’esprit sportif au socialisme

 

En savoir plus sur Bill Shankly : http://next.liberation.fr/livres/2014/08/27/shankly-a-applique-ses-convictions-au-football-et-a-toute-sa-vie-pour-moi-il-est-un-saint-sur-l-entr_1088162

 

Tags : Société Sport




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6 réactions à cet article    


  • 1 vote
    DJL 93VIDEO DJL 93VIDEO 15 septembre 2015 11:20

    Petite correction, la prochaine coupe du monde en 2018 se jouera non pas au Qatar mais bien en Russie. En 2022, ce sera le tour du Qatar. Platini, le prochain président de la FIFA à la place de Seb Blatter, veut décaler la coupe du monde du Qatar en hiver 2022 car il fait trop chaud en été au Qatar, ce petit pays artificiel, ridicule, désertique et bélliqueux !

    Je suis d’accord avec toi, les valeurs humaines que véhiculent le sport sont superbes. On voit tout de suite comment est une personne quand on l’a regarde jouer en équipe sur un terrain. Le comportement d’un joueur permet de voire si cette personne est généreuse, altruiste, si elle ne pense qu’à elle en bouffant les ballons, si elle fait des éfforts pour défendre. On voit ce que vaut cette personne dans les duels homme-homme, si elle est correct dans le jeu. On voit si cette personne est mauvaise, si elle fait mal aux autres ou non. C impressionnant, on voit beaucoup de chose sur une personne en l’a regardant jouer sur un terrain.


    • vote
      Anthony Michel Anthony Michel 16 septembre 2015 11:40

      @DJL 93VIDEO

      Merci de cette rectification, aussi pour la remarque concernant le comportement des joueurs sur le terrain. :)



      • 1 vote
        Joe Chip Joe Chip 15 septembre 2015 11:59

        Le sport, et le foot en particulier, sont devenus des exutoires du sentiment national. En France, le stade de foot est le dernier endroit (avec les mairies) où il est possible d’exhiber un drapeau bleu-blanc-rouge sans être aussitôt soupçonné d’accointances fascistes. Mais c’est un patriotisme en carton-pâte - quasiment parodique - que l’on ressuscite le temps d’une rencontre sportive : drapeau, visage peinturluré, Marseillaise gueulée... on est plus proche du carnaval en réalité. Et encore, les crispations sont nombreuses : il y a 30 ans tout le monde se foutait de savoir si les joueurs chantaient ou non la Marseillaise, car les sentiments patriotiques des uns et des autres ne faisaient aucun doute. Il était donc inutile de tomber dans le registre démonstratif de la preuve. Aujourd’hui, le fait de chanter ou de ne pas chanter a pris en soi une connotation politique : ne pas chanter c’est implicitement refuser l’assimilation à la nation française, car la Marseillaise est désormais associée à une violence et on sait, ou on sent, que quelqu’un qui ne chante pas n’y croit pas vraiment. 

        L’équipe de France est devenue en elle-même un enjeu politique car elle se doit d’être la vitrine de la diversité : le problème, c’est que cet investissement symbolique est une arme à double-tranchant depuis 1998 et son orgie de symboles. Ironiquement, l’équipe des années 80 était au moins aussi "diverse", avec ses ritals, ses polacks, ses métisses, ses guadeloupéens... et tout le monde s’en foutait, comme de savoir s’ils chantaient ou non la Marseillaise. Tout le monde mouillait le maillot avec entrain, et les supporters ne ressentaient pas encore le besoin de se peinturlurer la figure ou de revêtir des déguisements grotesques pour assumer un patriotisme de moins en moins bon enfant et de plus en plus crispé. L’antiracisme institutionnalisé n’avait pas encore semé le trouble puis la terreur dans les consciences. On pouvait aimer son pays sans se poser un cas de conscience.

        Quant à la beauté... elle est l’autre ennemie du "système" qui exalte à la fois la fonctionnalité de la laideur et la laideur de la fonctionnalité, et ce à tous les niveaux. La beauté est inutile et coûteuse, c’est un peu la leçon de l’art contemporain qui est profondément iconoclaste. Le "beau geste" comme le beau jeu sont des notions d’amateur, de looser magnifique, pas assez rentable... 



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