@maQiavel
Tu ne m’as pas convaincu. Je pense que tu poses
mal le problème, ou du moins tu le poses en des termes qui faussent
le débat. Connaissant ta rigueur et ton honnêteté intellectuelles,
je ne pense que ce soit intentionnel. En toute rigueur, je ne devrais
donc pas dire que tu commets des sophismes
mais que tu commets des
paralogismes.
En effet, et encore une fois sans
vouloir t’offenser, ton raisonnement est un faux dilemme en même
temps qu’un homme de paille.
Faux dilemme : soit la catégorie « bobo »
est un cliché, un stéréotype, qu’elle n’a pas de fondement
rationnel mais qu’elle est basée, non pas sur des éléments
factuels mais sur du ressenti, des intuitions vagues et subjectives
et qu’elle relève en gros de l’instinct1 ; soit on
est rationnel et alors la catégorie
« bobo » n’existe pas, la
preuve étant qu’elle n’est pas
identifiable en termes de catégorie sociologique. Et
là on flirte avec le scientisme.
En plus court : le concept de « bobo »
ne correspond pas à une catégorie sociologique que l’on peut
identifier en tant que classe sociale, donc il n’est pas
rationnel, donc les bobos n’existent pas.
Autre version courte :
soit on est irrationnel et on croit que les bobos existent, soit on
est rationnel et on affirme que les bobos n’existent pas. Tu
avoueras que, une fois cette thèse mise à poil, elle n’est plus
très sexy...
Version remixée :
non, je plaisante.
Homme de paille : tu
caricatures la position de celui qui pense que les bobos existent, en
la taxant de cliché, comme si elle ne pouvait être que cela et rien
d’autre, comme si elle était par nature étrangère à toute
rationalité. Après cela, effectivement,
il t’est facile de la critiquer.
Je comprends que ce qui te tient à cœur, ici,
c’est de démasquer l’usage
politique propagandiste et électoraliste qui est fait
de cette notion et qui consiste à
stigmatiser une
catégorie de gens pour mieux rallier
à sa cause un électorat qui se considère
comme n’appartenant pas à cette catégorie.
Petite remarque : je n’aime pas moi non
plus le terme « bobo », je lui préfère « bourgeois
de gauche » car le bourgeois de
gauche n’est pas nécessairement bohème (il
peut même être très sédentaire et casanier),
et que le critère de l’aisance matérielle n’est pas
nécessairement corrélé à la mentalité « bourgeois de
gauche » (cet argument n’invalide
nullement la catégorie bobo, contrairement
à ce que tentent de nous faire croire les anti-non-bobos).
Personnellement, je me
fiche complètement de l’usage électoraliste et manipulatoire qui
est fait du concept de bobo (bourgeois de gauche). Si je veux
examiner une corde pour savoir comment elle
est faite, je ne vais pas me demander si
elle sert à attacher des objets ou bien à pendre quelqu’un à un
arbre. Je ne dis pas que tu utilises le sophisme de l’argument par
la conséquence, mais je sens (là, oui on peut parler de ressenti)
que ton argumentation en est imbibée.
La meilleure description que je connaisse du
bourgeois de gauche nommé improprement « bobo » c’est
celle qu’en fait, avec talent et intelligence, François Bégaudeau
dans son dernier livre, Histoire de ta bêtise. C’est factuel et
rationnel. On est très loin, ici, du stéréotype : c’est une
description fine, souvent drôle, et qui atteint si bien sa cible que
ça a valu à Bégaudeau de se faire virer du magazine Transfuge.
1 C’est le cas pour certains.