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La réponse de Mikhail KHAZIN au discours de Vladimir POUTINE

Le 12 août dernier, nous avions publié une très intéressante interview vidéo de l’économiste russe Mikhail Khazin à propos de Poutine, des sanctions et ce qui allait en découler. Aujourd’hui nous vous proposons sa réaction au discours prononcé par Vladimir Poutine le 4 décembre dernier devant l’Assemblée fédérale de la Russie. Pour la petite histoire, Khazin préside une société de consulting russe qui s’appelle Neocon. Étonnant que les Faucons n’aient pas déposé le nom mondialement. Accrochez vos ceintures, ça décoiffe.

 

Le Saker francophone

 

 

Transcription

Il est maintenant clair pour tout le monde, même pour un intellectuel d’exception comme le Premier ministre britannique Cameron, que la crise mondiale prend de l’ampleur. Il a dit que la prochaine grosse crise était devant nous. On note une hystérie grandissante chez divers dirigeants occidentaux.

 

Lorsque, immédiatement après le sommet du G20 à Brisbane, Frau Merkel a commencé à promouvoir la zone de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis qui aurait pour conséquence la désindustrialisation de l’Europe de l’ouest comme cela s’est produit en Bulgarie et dans les états Baltes il devint clair que seuls des événements de grande ampleur pouvaient pousser ces pays à s’engager dans des voies aussi dangereuses, des voies qu’ils n’oseraient pas autrement emprunter. C’est un coup trop puissant contre leur statut et leur position. En d’autres termes, ils n’anticipent pas les conséquences à long terme, car certains événements futurs vont les contredire.

 

Quels sont ces événements ? Nous devons comprendre les événements en cours à partir d’une perspective économique dont le modèle actuel est le système financier et économique créé à Bretton Woods. Beaucoup de gens pensent, à tort, que ce système est mort le 15 août 1971, lorsque les États-Unis d’Amérique ont déclaré leur second défaut sur la dette au XXe siècle en refusant la conversion des dollars en or. Mais cela n’est pas vrai du tout.

 

Le système de Bretton Woods est un mécanisme qui a été mis en place pour étendre la taille de la zone dollar en créant ses propres institutions, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), aujourd’hui devenu l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Toutes ces institutions sont encore là. Elles définissent le système de Bretton Woods, dans lequel tous les actifs sont libellés en dollars.

 

Le modèle économique mondial fonctionne de la façon suivante : C’est un mécanisme pour la redistribution des richesses, qui se manifeste lorsque la Réserve fédérale des États-Unis imprime des dollars pour acquérir de nouveaux actifs qui deviennent alors une partie de la zone dollar. À l’origine, ce sont les pays d’Europe de l’ouest, puis le Japon, Taiwan, la Corée, la Chine, et plus tard les pays de la communauté socialiste. Aujourd’hui ce modèle a atteint ses limites naturelles.

 

Tous les actifs mondiaux, y compris le pétrole russe sont libellés en dollars. C’est à dire qu’ils font partie de la capitalisation en dollars détenue par les compagnies propriétaires des gisements pétroliers. Le monde n’a plus de nouveaux actifs réalisables en dollar, tout est déjà converti. Cela signifie qu’il n’est plus possible d’imprimer des dollars, il n’y plus d’actifs à libeller en dollars. Une tentative a été faite en créant des actifs fictifs, ce que l’on appelle les dérivés. Cependant, il s’est avéré que cela ne pouvait plus fonctionner car il y en avait trop. Il n’y a plus aucun profit à tirer de l’économie mondiale.

 

Certains participants dans ce processus, y compris la Russie et la Chine, disent : « Eh les gars, où est notre part ? On s’était pas mis d’accord pour ce résultat ». De fait, dans le passé, le profit de ces opérations était partagé par tous. Évidemment les États-Unis d’Amérique avaient la plus grosse part mais les autres avaient aussi une partie du gâteau. En particulier, la Russie qui avait sa part grâce au prix élevé de l’énergie.

 

Alors les élites nationales pouvaient décider de tout accaparer, comme cela se passe au Nigéria, ou de se le partager avec leur peuple. La situation dans laquelle des participants ne reçoivent plus rien ne peut plus coller.

 

Qui plus est, afin de protéger leur économie, les États-Unis d’Amérique ont commencé à utiliser les institutions de Bretton Woods, essentiellement son système financier, non pour donner mais pour prendre. L’une des significations du résultat des élections aux États-Unis était le choix entre deux concepts. Le premier était de sauver le système financier global aux dépens des ressources des États-Unis, en d’autres termes, tout le monde obtient quelque chose ; le second était de sauver l’économie étasunienne aux dépens de tous les autres. Autrement dit, dépouiller tout le monde au profit des États-Unis. Le second concept, que les électeurs américains associent au Parti républicain a gagné.

 

Maintenant nous avons un monde dans lequel les pays du Tiers Monde n’ont plus droit aux investissements en dollars, mais à l’inverse voient leurs capitaux s’envoler vers les États-Unis d’Amérique. Dans cette situation qui ne satisfait personne, il est impossible d’espérer de la stabilité. Plus probablement, chacun va essayer de secouer le bateau, et les États-Unis ne proposent que des réponses symboliques. Obama, pour ce que nous en savons, était partisan de l’autre approche. Il pensait qu’il était préférable de sauver le monde entier plutôt que les États-Unis d’Amérique seulement.

 

De ce fait, j’incline à penser qu’une explosion qui mettra en pièces ce qui reste de Bretton Woods va se produire très prochainement. Peut-être dans les douze ou dix-huit prochains mois. Le conflit interne en Russie aujourd’hui va probablement se manifester dans le discours du Président.

 

Il y a des rumeurs persistantes d’une bataille actuelle entre les deux forces et les deux versions concernant la partie économique du message sont en cours d’élaboration.

 

La situation est la suivante. Il y a un groupe libéral qui soutient le modèle de Bretton Woods, le FMI. Il travaille exclusivement à partir des scénarios dictés par le FMI. De ce fait, il ne faut pas attendre de la part de gens tels que Nabiullina, Ulyukaev, Shuvalov,ou Dvorkovich des révélations en faveur d’un soutien à l’économie russe. Ils reçoivent des instructions qu’ils mettent en œuvre scrupuleusement et fidèlement. La logique derrière leur comportement est très simple. Ils disent : « Nous avons notre part du gâteau, pourquoi devrions-nous détruire ce modèle ?  ». Ils ne peuvent pas admettre qu’ils ne recevront plus leur part du gâteau, car il n’existe plus. Ils ne peuvent pas être d’accord avec ça. Leur seul avantage par rapport aux autres c’est qu’ils ont l’opportunité de négocier avec le FMI.

 

Donc, si le FMI, dans le cadre du système de Bretton Woods n’a rien de plus à leur donner, alors personne n’a plus besoin de ces gens-là. Pour cette raison, ils essaient de sauvegarder les restes de ce système à tout prix. Je ne sais pas s’ils le comprennent ou non, mais la conséquence c’est l’aliénation de notre capital et cela porte préjudice à notre condition. Peut-être qu’ils comprennent mais ne peuvent l’accepter, car alors ils doivent s’enfuir ensemble avec leurs capitaux.

 

Mais qu’est-ce qui les attend dans le Pays de la Liberté, des postes pouilleux de professeurs associés dans des universités étasuniennes minables ? Cela choque. En Russie, les plus puissants sont vice-ministres, gouverneurs de Banque centrale et ainsi de suite. Mais là-bas ? Pour vivre effectivement des revenus acquis ? Imaginez un ministre russe tout à fait moderne qui devrait vivre avec un salaire et payer des impôts ! De leur point de vue c’est tout simplement outrageusement cynique.

 

Un autre concept, au contraire, dit que nous devrions construire notre propre système financier régional. Si nous n’avons plus accès au système d’investissement lié au dollar alors nous devons construire nos propres centres de gestion régionale ainsi qu’un mécanisme d’investissements.

 

J’ai parlé de cela avant-hier à Astana dans une grande conférence organisée sur le sujet du début du second plan quinquennal d’industrialisation.

 

Le Kazakhstan, à la différence de la Russie, travaille depuis cinq ans sur les substitutions aux importations. Bien qu’au départ les conditions au Kazakhstan soient pires qu’en Russie car c’est une économie plus petite, leur croissance est de 4 % à 5 % alors que la nôtre a plongé dans les deux dernières années. Ceci est la conséquence de l’industrialisation.

 

Nous avons discuté de ce problème avec le président du Kazakhstan lors de la table ronde, prévue pour durer 30-40 minutes, et qui s’est prolongée pendant deux heures. C’était une vraie discussion, car Nazarbayev posait des questions sur ce qui pouvait être fait de façon réaliste. J’ai dit que nous avions besoin d’avoir nos propres moyens d’investissement car nous n’en disposons plus dans le cadre du système de Bretton Woods (FMI, etc.). La confrontation qui suivit a essentiellement concerné la stratégie à adopter, et il ne peut pas y avoir de compromis.

 

D’où les rumeurs que le discours présidentiel a été préparé seulement par l’administration et que le gouvernement n’est pas concerné. Le gouvernement, en accord avec ses crédos économiques scolaires, écrit ses propres thèses libérales, à, savoir que Dieu n’existe pas hors du FMI et de ses prophètes, Lagarde et Janet Yellen.

 

Je ne sais pas comment cela va finir, mais il est absolument évident pour moi que le départ précipité de Poutine de Brisbane n’était pas causé par le sentiment d’une quelconque offense. Pardonnez-moi, mais quelqu’un qui a été éduqué comme un agent des services de renseignement, a été entraîné, depuis l’enfance, à ne pas réagir à ce genre de choses. Il est parti, non parce qu’il était offensé, mais parce qu’il s’est rendu compte qu’il était sans intérêt de parler à des gens comme eux. Ils ne peuvent pas discuter, et ne discutent pas, des problèmes critiques, car ils font juste partie du spectacle. S’ils agissent comme des marionnettes, nous devons nous adresser à ceux qui tirent les ficelles, qu’ils ne le comprennent pas c’est une autre affaire. J’ai tendance à croire que ce sont des marionnettes, mais pas selon la politique des marionnettistes, mais plutôt dans le cadre de certaines règles du jeu libéral politiquement correct qui est si bien refoulé dans leur conscience qu’ils ne peuvent plus y échapper. Ils continuent à tourner en rond dans leur manège pour aller nulle part. Leur parler est inutile, nous devons donc créer nos modèles alternatifs.

 

En règle générale, nous devons oublier l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique pour un moment. L’Union européenne n’est pas une entité viable. Comment ils vont sombrer est une autre question. Ils peuvent essayer de s’en tirer en créant une Europe à deux vitesses. Une partie des vieux pays de l’Europe occidentale deviendra une Union européenne de première classe et l’Europe de l’est sera en seconde classe. Globalement, je pense que le sujet peut être clos. En disant qu’il faut forcer la zone de libre-échange avec les États-Unis, Frau Merkel a vraiment mis un point final à l’Union européenne. Vous pouvez l’oublier à partir de maintenant.

 

Le conflit aigu entre les forces pro-occidentales et les forces eurasiennes, qui a débuté en Russie au début des années 90, a atteint aujourd’hui son paroxysme, lorsque les forces anti-FMI, finalement non rattrapées par les libéraux, ont au moins été entendues. Nous verrons bien si les forces libérales sont capables de présenter, à tout le moins, des arguments à la société. Jusqu’ici tous leurs arguments venaient d’une position de pouvoir. Ils disaient : « Eh les mecs, on copine avec le FMI, alors vous avez besoin de nous ». Aujourd’hui, il est clair que le FMI ne nous donnera plus rien. Alors ils ont besoin de choisir une autre approche. Mais qu’ont-ils à offrir ? Détruire l’éducation, la médecine, le système de retraites ? Le système bancaire ? En réalité, le système libéral transforme en poussière tout ce qu’il touche.

 

Si le Président de la Fédération de Russie choisit l’option libérale lors de son discours, je crains que son pouvoir ne devienne que poussière.

 

Mikhail Khazin (? ????? ?????)
Traduction en français par Jean-Jacques, corrigée par Alex et Sylvain pour Le Saker francophone

 

Tags : Economie International Russie Vladimir Poutine




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7 réactions à cet article    


  • 2 votes
    michel-charles 9 décembre 2014 08:45

    Intéressante analyse de l’économie internationale...ou comment des pays au travers de la monnaie se font unr guerre sans pitié...

    Le dérèglement général vient des marchés..de la bourse..ou reigne le chaos le plus total pour qu’une petite minorité de puissants volent le reste du monde...La bourse c’est un grand casino...
    Normal que tout ça finisse mal..très mal.. !

    • 2 votes
      anti.JudaZisme 9 décembre 2014 09:06

      Brillant et pertinent mais il omet une chose.


      Le caractère délibéré de rendre tout poussière...
      La destruction de tout par la maîtrise de tout.

      Le système du dollar et plus globalement le notion de croissance, a été inventé pour financer le progrès, puis asservir l’Humanité et la détruire après avoir acquis la maîtrise génétique de celle-ci et après avoir rassemblé/pillé les réserves d’or mondiale.

      C’est tout une religion qu’il ne faut pas omettre dans les événements ...

      • 3 votes
        howahkan hotah howahkan hotah 9 décembre 2014 11:33

        je retiens ceci : En règle générale, nous devons oublier l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique pour un moment. L’Union européenne n’est pas une entité viable. Comment ils vont sombrer est une autre question. Ils peuvent essayer de s’en tirer en créant une Europe à deux vitesses. Une partie des vieux pays de l’Europe occidentale deviendra une Union européenne de première classe et l’Europe de l’est sera en seconde classe. Globalement, je pense que le sujet peut être clos. En disant qu’il faut forcer la zone de libre-échange avec les États-Unis, Frau Merkel a vraiment mis un point final à l’Union européenne. Vous pouvez l’oublier à partir de maintenant.

         smiley..........


        • 2 votes
          nymeo nymeo 9 décembre 2014 14:44

          On dirait plutôt une mise en garde préalable qu’une réponse...


          • 2 votes
            Joe Chip Joe Chip 10 décembre 2014 16:04

            Les Russes devraient cesser de se prendre pour des sorciers omniscients de la géopolitique qui auraient une compréhension intuitive et supérieure de la "grande histoire" et des courants qui transformeraient le "dessous des cartes" à l’insu des autres pays (sauf des USA et de la Russie, comme au bon vieux temps de la guerre froide) qui n’auraient aucune prise sur la réalité.

            Poutine, c’est un peu Tartuffe s’exclamant : "Cachez cette Allemagne que je ne saurais voir".

              
            Il y clairement un abus d’intelligence stratégique dans les discours des élites russes, un "géopoliticisme" outrancier qui tend à minimiser ses propres faiblesses (notamment économique et politique) et à se dissimuler la réalité d’un rapport de force en réalité peu favorable à la Russie par une fuite permanente dans l’abstraction des cartes et du "macro". La géopolitique contemporaine n’est plus celle de la guerre froide. L’ordre international, n’en déplaise aux Russes amateurs d’échecs, n’est pas un jeu disputé entre des Etats stratèges et des "forces" essentialisées (atlantiques, eurasiennes) qui pousseraient méthodiquement leurs pions pour déstabiliser l’adversaire ou l’acculer dans une impasse.

            C’est une perception typiquement dialectique, pour ne pas dire soviétique, de l’histoire qui ne tient pas compte de la complexité mouvante de la mondialisation et des acteurs qui y prennent part. Poutine peut discourir pendant des heures, en réalité il ne contrôle même pas les oligarques russes... ceux qui applaudissaient son discours sous les ors du Grand Palais du Kremlin sont les premiers à organiser la fuite de leurs capitaux et à spéculer contre le rouble... ici prend fin le délire messianiste russe et la vision chère à Douguine de la citadelle tellurique eurasienne dressée contre l’ordre "thalassocratique". L’ennemi, si on doit le désigner par ce mot, est déjà dans les murs.

            La réalité dépouillée des oripeaux du néo-tsarisme est moins flatteuse pour la Russie. La Russie, c’est le PIB de l’Italie sur un territoire de 17 millions de km² et une population équivalente à celles de l’Allemagne et de la France. Les Russes peuvent jouer à Risk, gesticuler à la frontière et exhiber leurs pétoires face aux anciens pays du Pacte de Varsovie, la réalité est qu’ils sont en train de perdre leur bras de fer contre une Allemagne en pleine renaissance géostratégique - une Allemagne désarmée mais qui a recouvré sa puissance industrielle et économique - et, même si on n’ose pas trop se l’avouer, de se faire gentiment clientéliser par la Chine du côté oriental. Les Chinois, pragmatiques, et qui ont leur propre carte à jouer en zone pacifique, ne suivront pas les Russes dans une fuite en avant qui menacerait directement les pays européens (dont la Chine a besoin en l’absence d’un marché intérieur constitué pour maintenir son haut niveau de croissance, indispensable garant de la stabilité politique du régime...) 

            Bref, toutes ces analyses romantiques un peu échevelées que d’aucuns jugent "brillantes" (rutilantes ?) sont à mon sens porteuses d’une surenchère dialectique et géopolitique qui trahit une impuissance relative que la puissance militaire russe - conséquente mais limitée - ne peut que partiellement compenser.

            Et non, ce n’est pas un plaidoyer pro-atlantiste... je constate simplement que les raidissements souverainistes et nationalistes ont tous échoué depuis les années 60 face à la logique mondialiste et au pouvoir financier décentralisé.

            Brandir un glaive trempé dans l’eau bénite face à un condensé de micro-particules qui traversent les muqueuses de la peau et les défenses de l’organisme pour infiltrer la circulation sanguine, c’est vain et inutile...



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