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Commentaire de Joe Chip

sur La réponse de Mikhail KHAZIN au discours de Vladimir POUTINE


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Joe Chip Joe Chip 10 décembre 2014 16:04

Les Russes devraient cesser de se prendre pour des sorciers omniscients de la géopolitique qui auraient une compréhension intuitive et supérieure de la "grande histoire" et des courants qui transformeraient le "dessous des cartes" à l’insu des autres pays (sauf des USA et de la Russie, comme au bon vieux temps de la guerre froide) qui n’auraient aucune prise sur la réalité.

Poutine, c’est un peu Tartuffe s’exclamant : "Cachez cette Allemagne que je ne saurais voir".

  
Il y clairement un abus d’intelligence stratégique dans les discours des élites russes, un "géopoliticisme" outrancier qui tend à minimiser ses propres faiblesses (notamment économique et politique) et à se dissimuler la réalité d’un rapport de force en réalité peu favorable à la Russie par une fuite permanente dans l’abstraction des cartes et du "macro". La géopolitique contemporaine n’est plus celle de la guerre froide. L’ordre international, n’en déplaise aux Russes amateurs d’échecs, n’est pas un jeu disputé entre des Etats stratèges et des "forces" essentialisées (atlantiques, eurasiennes) qui pousseraient méthodiquement leurs pions pour déstabiliser l’adversaire ou l’acculer dans une impasse.

C’est une perception typiquement dialectique, pour ne pas dire soviétique, de l’histoire qui ne tient pas compte de la complexité mouvante de la mondialisation et des acteurs qui y prennent part. Poutine peut discourir pendant des heures, en réalité il ne contrôle même pas les oligarques russes... ceux qui applaudissaient son discours sous les ors du Grand Palais du Kremlin sont les premiers à organiser la fuite de leurs capitaux et à spéculer contre le rouble... ici prend fin le délire messianiste russe et la vision chère à Douguine de la citadelle tellurique eurasienne dressée contre l’ordre "thalassocratique". L’ennemi, si on doit le désigner par ce mot, est déjà dans les murs.

La réalité dépouillée des oripeaux du néo-tsarisme est moins flatteuse pour la Russie. La Russie, c’est le PIB de l’Italie sur un territoire de 17 millions de km² et une population équivalente à celles de l’Allemagne et de la France. Les Russes peuvent jouer à Risk, gesticuler à la frontière et exhiber leurs pétoires face aux anciens pays du Pacte de Varsovie, la réalité est qu’ils sont en train de perdre leur bras de fer contre une Allemagne en pleine renaissance géostratégique - une Allemagne désarmée mais qui a recouvré sa puissance industrielle et économique - et, même si on n’ose pas trop se l’avouer, de se faire gentiment clientéliser par la Chine du côté oriental. Les Chinois, pragmatiques, et qui ont leur propre carte à jouer en zone pacifique, ne suivront pas les Russes dans une fuite en avant qui menacerait directement les pays européens (dont la Chine a besoin en l’absence d’un marché intérieur constitué pour maintenir son haut niveau de croissance, indispensable garant de la stabilité politique du régime...) 

Bref, toutes ces analyses romantiques un peu échevelées que d’aucuns jugent "brillantes" (rutilantes ?) sont à mon sens porteuses d’une surenchère dialectique et géopolitique qui trahit une impuissance relative que la puissance militaire russe - conséquente mais limitée - ne peut que partiellement compenser.

Et non, ce n’est pas un plaidoyer pro-atlantiste... je constate simplement que les raidissements souverainistes et nationalistes ont tous échoué depuis les années 60 face à la logique mondialiste et au pouvoir financier décentralisé.

Brandir un glaive trempé dans l’eau bénite face à un condensé de micro-particules qui traversent les muqueuses de la peau et les défenses de l’organisme pour infiltrer la circulation sanguine, c’est vain et inutile...


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