Myret
Zaki
Le capitalisme n’existe pas
Des Etats qui récompensent l’échec de firmes capitalistes avec notre
argent, c’est tout sauf du capitalisme. Comment faire confiance à de
tels Etats ?
La crise financière a fourni l’occasion, à maints commentateurs, de
faire le procès du capitalisme. C’est pour contester les abus du
capitalisme financier qu’est né le mouvement Occupy Wall Street. Sauf
que le coupable, ce n’est pas le capitalisme. Car le capitalisme
n’existe pas.
Nos économies sont hyperadministrées
C’est un mythe que nous vivons dans un tel système. Cela fait une
quinzaine d’années que les Etats-Unis, parangon du capitalisme
occidental, ont dérivé vers un système très différent, bien plus
dangereux. Celui-là répond aux vœux d’une oligarchie politico-financière
de tirer tous les bénéfices du capitalisme, sans jamais plus en payer
le tribut. C’est ainsi que Washington pense maintenir sa suprématie
contre Pékin ; en cédant à la tentation de trafiquer elle aussi les lois
et les réalités de son économie pour ne jamais paraître en déclin. A
l’origine, notre capitalisme occidental se veut démocratique et libéral.
Il repose sur les notions d’individualisme, de libre entreprise et
d’auto régulation des marchés. Or sous l’influence du Trésor américain
et de la Fed, et en vertu de la doctrine « too big to fail », nos
« économies de marché » sont devenues les plus administrées de toutes.
Même le mot libéralisme n’a plus la cote, tant il trahit l’écart
vertigineux entre théorie et réalité. Nos Etats ont fait voler en éclats
les lois du marché, faussant le jeu pour empêcher les banques de
faillir. Dans un capitalisme libéral, une entreprise doit pouvoir
réussir sans limites, mais aussi échouer sans limites. C’est seulement
ainsi que le système s’auto-régule et se nettoie. Et l’individualisme,
pilier du capitalisme anglo-saxon, veut que chaque acteur jouisse des
fruits de son labeur, et paie aussi ses risques de sa poche. Or
aujourd’hui, on laisse les lois du marché s’exercer uniquement en phase
de hausse, lorsqu’elles permettent aux firmes de s’enrichir au plan
privé sans limites. Et quand ces mêmes firmes défaillent suite à leurs
propres abus, l’Etat canalise des ressources publiques illimitées pour
les dédommager. Récompenser l’échec, c’est tout sauf du capitalisme
libéral. C’est de l’économie planifiée. Sauf qu’ici, l’Etat ne planifie
pas pour le plus grand nombre, comme le faisait l’URSS ; il planifie
pour le plus petit nombre. C’est le pire des deux mondes : du socialisme
inversé, du capitalisme assisté par l’Etat, de la spéculation
subventionnée, de l’individualisme entretenu, de l’irresponsabilité
financée à crédit. Un système perverti où l’Etat, au lieu de jouer
l’unique rôle qui justifie son existence – à savoir veiller au maintien
de conditions de vie décentes pour la majorité des habitants de son
territoire – n’est plus là que pour redistribuer le bien collectif en
faveur de firmes puissantes. Dès lors, ces dernières gagnent à double :
sur les marchés financiers lors des hausses, et sur le dos de la
collectivité lors des baisses. L’essence même du capitalisme libéral a
été violée.
Un système étatiste en guerre
L’exemple le plus évident est l’immunité dont jouit Goldman Sachs. Le
10 août, on apprenait que la justice américaine avait renoncé à des
poursuites pénales contre le géant de Wall Street, « faute de preuves ».
La justice n’a pu prouver ce que tout le monde sait, à savoir que la
firme pariait contre les actifs subprimes qu’elle vendait à ses propres
clients. Quelle quantité de scandales suffirait à incriminer une banque
aux Etats-Unis ? Aucune. C’est un véritable exploit pour un pays que
d’arriver, suite à une crise de cette gravité, à ne trouver aucune
banque ni aucun individu responsables. Une telle situation ne pourrait
exister dans une économie de marché, car le respect de la règle de droit
y garantit la pérennité même du monde des affaires. Le même
interventionnisme qui veille à l’impunité absolue des fleurons de
l’économie américaine se traduit par un protectionnisme évident à
l’encontre du reste du monde. Même les banques britanniques ne sont pas à
l’abri sur sol américain, à l’instar de l’enquête dirigée à présent
contre Standard Chartered. Le débat qui oppose des penseurs de droite
empressés de défendre le capitalisme, à des penseurs de gauche empressés
de le dénoncer est parfaitement dépassé. Le vrai débat doit opposer les
étatistes aux libéraux. Se réclamer aujourd’hui du capitalisme libéral
et défendre en même temps des firmes capitalistes vivant aux crochets de
l’Etat relève de l’imposture. Quant aux Etats du monde capitaliste, qui
(à part leurs clients minoritaires) peut encore leur faire confiance ?