Bon, la
réunion au sommet a eu lieu entre Moscou et Ankara et finalement Poutine a
complètement tordu le bras à Erdogan.
Et pourtant,
la stratégie d’Erdogan n’était pas stupide : pour arriver en position de force
à ces négociations, il a tout fait pour obtenir l’aide militaire américaine
pour contester la suprématie aérienne russe dans l’espace aérien syrien et le
soutien diplomatique des européens pour accentuer la pression sur la Russie,
quitte à faire un chantage aux réfugiés. Malheureusement pour lui, ça n’a pas vraiment
fonctionné. Erdogan a voulu convier Emmanuel Macron et Angela Merkel pour faire
de cette réunion bipartite une rencontre à quatre sur la Syrie mais Poutine a refusé.
Erdogan a voulu que le sommet se déroule à Ankara plutôt qu’à Moscou mais
Poutine a aussi décliné, il ne voulait pas se retrouver face à des emmerdeurs de
chefs occidentaux comme invités surprise. Donc c’était finalement un mano à
mano et Erdogan n’avait aucun atout dans sa manche, pour le dire autrement il
était à poil face à Poutine.
Et comme
prévu, les négociations ont été un désastre pour Erdogan, Poutine l’a éparpillé
façon puzzle. Dire qu’il n’y a même pas un mois, Erdogan se frappait la
poitrine comme un dos argenté et exigeait le retrait des troupes syriennes tout
en hurlant des ultimatums. Eh ben non, Poutine, entre deux coupes de champagne,
lui a fait comprendre que le retrait de l’armée syrienne n’était pas
envisageable. A un tel point que dans le document conjoint sur règlement en
Syrie, le sort de l’autoroute M5 n’est pas mentionné. De fait, la Turquie
accepte sa perte de l’axe routier et pour cause, ce renard de Poutine a fait déployer
la police militaire russe à l’embranchement des deux autoroutes M4 et M5, pour
parer à toute tentative turque de la reprendre. Genre « Tu veux récupérer
la M5 ? Vient la chercher. T’as plus trop envie ? Bon, passons au
point suivant alors. Un petit four ? Tiens, ils sont délicieux ceux-là ».
Mais pire,
non seulement la résolution entérine les récents gains territoriaux de l’armée
syrienne mais en plus Erdogan a dû céder du terrain sur la M4 : il a
été convenu de mettre en place un corridor de sécurit de six kilomètres de part
et d’autre de l’autoroute M4 et de mener des patrouilles conjointes de l’armée
turque et russe dans cette nouvelle zone
tampon. Autrement dit, les rebelles qui contrôlent en grande partie cette zone
devront l’évacuer et Ankara ne pourra plus se servir de ses postes
d’observation comme points d’appuis à ses pions de la rébellion syrienne. J’imagine
Poutine au calme « Bon, ça, c’est fait. T’inquiète, on se connait bien
maintenant, je vais te sauver la face, je te laisse mettre dans la résolution que
la Turquie ripostera de toutes ses forces à toute attaque du régime syrien. Au fait,
si tu n’aimes pas les petits fours, tu devais essayer ce caviar mon petit Tayyip,
celui là a été récolté tout fraichement pour toi de la mer caspienne ».
Sérieusement,
je me disais bien qu’Erdogan serait en difficulté lors de ces négociations mais je
n’imaginais pas que le résultat serait aussi catastrophique pour lui , ça
montre à quel point le rapport de force est en faveur de Poutine dans ce duo
de marchands de tapis. Si Erdogan a tant cédé, c’est qu’il est conscient de la vulnérabilité
de l’armée turque face au renforcement du dispositif militaire Russe, le scénario
d’une confrontation militaire était bien trop risqué. Mais c’est loin d’être
terminé, on sait déjà que tôt ou tard, ce cessez-le-feu sera rompu et que les
opérations vont redémarrer. Erdogan devra mettre ce temps de cessation des hostilités
à profit pour se rapprocher du bloc américano-occidental et revenir en position
de force quand ça va redémarrer. Côté russe, l’heure n’est pas au triomphalisme,
Erdogan n’est pas du genre à abandonner ses objectifs, quoi qu’on puisse penser
de lui, c’est un véritable homme d’Etat, il sait reculer pour mieux sauter, les
Russes doivent poursuivre leur politique qui consiste à tout faire pour éviter
une confrontation directe avec la Turquie et à bâtir un semblant de relation de
confiance ne serait-ce que sur le court terme pour se servir de la Turquie
comme d’une épine dans le pied de l’OTAN ( sur le moyen et long terme c’est
impossible, les ambitions des parties sont trop éloignées et inconciliables ).